Musique, ces femmes qui vous mènent à la baguette….
Ces „cheffes d´orchestre” qui n´ont pas fini de nous étonner (1)
Pratiquement passé inaperçu s´est récemment déroulé à Paris un concours international de femmes cheffes d´ orchestre. Le premier dans les annales. Se déroulant sous le nom de Maestra sur trois journées à la Philharmonie de Paris (15-18 septembre), il réunissait 12 candidates retenues parmi 200 postulantes réparties sur 51 pays. L´initiative en revient à Claire Gibault, connue des milieux de la politique (elle a été députée européenne), mais surtout elle-même cheffe d’orchestre. Le but affiché par son organisatrice : „Donner plus de visibilité à ces femmes qui ne représentent dans le monde que 6% des effectifs de direction d´orchestre”. Pratiquement inconnue du public, sinon pour sa carrière politique, Claire Gibault dispose pourtant de solides références. Assistante de John Eliot Gardiner à l´Opéra de Lyon (où elle dirigea elle-même des représentations), elle assista également Claudio Abbado pour trois représentations à Londres (Royal Opera), Milan (Scala) et Vienne. Que dire d´autre, sinon qu´elle dirigea Placido Domingo à Washington (Idoménée). Elle va avoir 75 ans ce mois-ci. Plus connue de nos compatriotes est Emmanuelle Haim, par ailleurs claveciniste spécialiste de la musique baroque, qui fonda en 2000 le Concert d´Astrée. Par ailleurs cheffe invitée auprès des plus prestigieux orchestres modernes (New York Philharmonic, Los Angeles Philharmonic, Berliner Philharmoniker, Wiener Staatsoper...). Également en passe de se forger une solide réputation et reconnue sur la scène internationale, sa contemporaine Laurence Equilbey, fondatrice de l´ensemble Accentus. Une belle entrée en matière, donc.
Mais, pour sortir de notre coquille hexagonale, voyons ce qu´il en est ailleurs. Pour le coup, les exemples ne manquent pas. Je commencerai, pour l´avoir entendue et appréciée à Budapest, par la Romaine Speranza Scappucci. Francophone et amie de la France, elle vient précisément de se produire à la tête de l´Orchestre du Capitole de Toulouse pour des représentations de Cosí fan tutte. Avec un franc succès (2). Et pourtant, elle n´avait pas la tâche facile, devant au dernier moment modifier la composition de la formation en raison des contraintes imposées par le virus (3), Accueillie à bras ouverts par les musiciens et le public de Toulouse, Speranzza Scappucci est également bien connue du public liégeois, ayant un temps occupé le poste de „premier chef invité” (une première) à l´Opéra Royal de Wallonie, dont elle est aujourd´hui la directrice musicale. Liège où elle nous a laissé un Carmen loué par la critique, qui restera dans les annales. (Elle a notamment été la première – probablement la seule - femme à diriger le Bal de l´Opéra de Vienne.)
Autre cas, la Canadienne Barbara Hannigan, également soprano. C´est comme chanteuse que je l´ai découverte (sur la chaîne Mezzo) dans un récital Ligeti totalement déjanté, faisant preuve d´étonnants talents de comédienne, à en faire pâlir d´envie notre Patricia Petibon, avec la Philharmonie de Berlin sous la direction de Simon Rattle. Elle a fondé en 2011 sa propre formation, le Ludwig Orchestra, auquel elle consacre la moitié de son temps. Je ne sais si ses qualités de comédienne y sont pour quelque chose, mais toujours est-il qu´elle est en train de se tailler, outre celle d´interprète (spécialisée dans l´opéra contemporain), une solide réputation de cheffe sur la scène internationale, de plus en plus sollicitée.
(Certains mettront probablement en doute l´autorité indispensable pour tenir une grande formation, généralement composée en majorité d´hommes. Réserve que nous rejetterons d´emblée, du moins pour les cas dont nous avons été témoin. Sans compter que le sourire, le charme et la douceur de ces dames contribuent sans nul doute à les faire accepter et adopter par ces messieurs. Tel vient d´être le cas de Speranza Scappucci à Toulouse. Ce que corrobore mon témoignage personnel suite à un concert donné à Budapest où, faisant preuve d´une direction précise et énergique, elle était suivie au doigt et à l´œil par quelque cent musiciens (3).)
Et nous pourrions en citer d´autres. Telle la Japonaise Kanako Abe, ou encore la Finlandaise Suzanna Mälkli qui dirigea un temps notre Ensemble inter contemporain. Mais peu importe la liste. Ce qui retient ici notre attention est de constater une tendance nouvelle qui semble avoir le vent en poupe. Certes, le rôle des femmes a toujours été important dans le monde de la musique, mais il est resté jusqu´ici confiné aux milieux des instrumentistes et solistes, du piano au violoncelle, en passant par le violon, la harpe ou la flûte. De Clara Haskil à Hélène Grimaud en passant par Jacqueline Dupré, Lili Laskine et Hilary Hahn…. et tant d´autres! Mais peu - à quelques exceptions près (5) - s´étant essayées (risquées ?) auparavant à la direction d´orchestre.
Voilà qui est chose faite. Pour notre plaisir… de l´oreille… et des yeux (car elles sont généralement charmantes).
Pierre Waline
(1): dans un premier temps rejeté, le terme „cheffe”, orthographié au féminin, semble désormais reconnu.
(2): “au plan musical, le bonheur le plus vif appartient à la direction d’orchestre de Speranza Scappucci.... mettant justement en relief les instrumentistes, explorant toutes les ressources de cette belle phalange.”
“Elle fut, disons-le d’emblée, la plus belle satisfaction de la soirée.”
(3) „En raison de la mise en isolement de la section des instruments à vent pour raisons de santé (prévention due au contact de certains musiciens avec un cas Covid), nous jouerons aujourd'hui une version arrangée par mes soins hier pour instruments à cordes, piano, cymbales et clavecin : je dirigerai et jouerai moi-même les récitatifs. La musique ne s'arrête pas, le théâtre c'est la vie, et la culture un baume pour l’âme ! Vive Mozart !!”
(4): compte rendu paru dans ces colonnes le 2 novembre 2019 („Concert de la Toussaint au Palais des Arts - Schubert, Donizetti”).
(5): la première fut en 1952 la Suissesse Hedy Salquin, formée au Conservatoire de Paris.
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