Budapest : Schubert et Donizetti réunis pour le temps d´une soirée

Budapest : Schubert et Donizetti réunis pour le temps d´une soirée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Concert de la Toussaint au Palais des Arts (Müpa)

Si vous me demandiez ce qu’il y a de commun entre Franz Schubert et Gaetano Donizetti, je serais bien en peine de vous répondre, sinon qu´ils furent tous deux nés la même année (1797). Avec cette différence que le second survécut vingt ans au premier. Et pourtant, deux compositeurs associés dans un même concert en cette soirée de la Toussaint. De plus, avec deux œuvres de caractères a priori foncièrement différents : une symphonie du premier et le Requiem du second. Pour combler le tout, agréable cerise sur le gâteau, des œuvres dirigées par une jeune femme, au demeurant charmante, l´Italienne Speranza Scappucci (46 ans).  

De Schubert, le choix s´est porté sur sa première symphonie en ré majeur, composée à l´âge de seize ans. L´œuvre d´un adolescent, donc, mais déjà accomplie, sorte de consécration de la formation musicale du jeune Franz. Une œuvre au climat empreint de fraîcheur, qui n´est pas sans rappeler Mozart, au point d´en constituer presque un pastiche, au demeurant réussi.

Composé 22 ans plus tard (1835), le Requiem de Donizetti fut écrit à la mémoire de son ami Bellini qui venait de décéder à l´âge de 33 ans (1). Une œuvre au destin malheureux, qui dut attendre plusieurs décennies pour être donnée en public (1870). Aujourd´hui encore reléguée dans l´ombre, pratiquement jamais jouée et inconnue du grand public. Et pourtant, une œuvre dont ceux qui la connaissent disent généralement le plus grand bien, tel Jean-Charles Hoffelé : „La partition est splendide de bout en bout, conclue par un Libera me que Verdi n’eût pas désavoué.”

Voilà pour les œuvres inscrites au programme de cette soirée. Et les interprètes, dans tout cela ? La chef, tout d´abord. Au départ pianiste, la Romaine Speranza Scappucci devint en quelques mois une chef d’orchestre reconnue et très demandée. Spécialiste de l´opéra, elle se produit régulièrement aux Etats Unis où elle semble appréciée du public, au point d´avoir été déclarée « Nouvelle artiste du mois » par le magazine Musical America (décembre 2014). Mais elle s´est également produite en Europe (Vienne, Salzbourg, Rome, Turin, Liège, Riga). Placé sous sa baguette, l´ensemble Concerto Budapest dont nous avons déjà dit le plus grand bien. Dans le Requiem, intervenaient en solistes Polina Pasztircsák (soprano), Dorottya Láng (mezzo-soprano), Alekseï Tatarintchev (ténor), Franco Vassalo (baryton) et István Kovács (basse), accompagnés par les chœurs de la Radio hongroise.

Une jeune chef réputée, accompagnée par une équipe de solistes internationale et un orchestre figurant parmi les meilleurs sur la place de Budapest. De plus, l´occasion de réentendre une symphonie qui n´est pas un chef d´œuvre, certes, néanmoins toujours agréable à écouter. Et surtout, l´occasion de découvrir, avec ce Requiem, une œuvre rarement jouée. Autant de bonnes raisons d´assister ce soir à ce concert de la Toussaint.

Qu’en fut-il donc ?

C´est la chef italienne que nous citerons en premier lieu, à qui revient incontestablement la palme de la soirée. Direction énergique, mais en même temps élégante, avec des gestes amples, mais précis, par moments soulignés pas de gracieux mouvements du corps. Suivie au doigt et à l´œil par une formation parfaitement rodée, visiblement sous le charme. Dans la symphonie en ré de Schubert, contrairement à cette impression d´épaisseur que nous laissent parfois les grandes formations, Speranza S. et ses musiciens nous ont ici offert une interprétation toute en légèreté, claire et lumineuse, je dirais „mozartienne”. Précisément comme il faut jouer cette symphonie. Une œuvre qui débute par un bref adagio majestueux, suivi d´un entraînant allegro vivace (habitude qu´il reprendra par la suite, notamment dans sa dernière „Grande” symphonie), une œuvre somme toute charmante, étonnement mûre de la part d´un adolescent de seize ans. Donc une belle entrée pour bien débuter cette soirée. Et la suite ?

Absorbé par la commande de ses opéras, Donizetti dut mettre à maintes reprises sa partition de côté pour ne l´achever qu´après de longues années. D´où un léger manque d´unité qui se ressent à l´écoute, mais à vrai dire sans trop déranger. Une œuvre ambitieuse que son auteur a visiblement voulue d´envergure. Alternant constamment recueillement et passages spectaculaires, la partition donne, comme on s´en doutera, la part belle aux solistes, mais sans jamais tomber dans la démonstration ostentatoire. Le rôle principal étant toutefois confié au chœur. Une partition qui fourmille de trouvailles et combinaisons originales Tel ce discret tremolo des violons dans l´introduction ou, pour clore le Dies irae, cette intervention inattendue du ténor accompagné en fond par un échange entre violon et violoncelle. Ou encore un trio inédit basse/ténor/mezzo-soprano. Une œuvre que d´aucuns ont comparée à Verdi, voire Mozart (!?). Pour notre part nous y voyons plutôt une partition unique, difficile à classer, qui occupe une place à part dans le répertoire.

Ici admirablement servie tant par l´orchestre, les solistes et surtout le chœur confronté à des sautes constantes du forte au pianissimo, difficulté dont les chanteurs se sont fort bien tirés. Bref, une partition imposante qui mérite largement d´être découverte, mais sans que nous partagions pour autant sans réserve l´enthousiasme de J.C. Hoffelé (cf supra).

Autre découverte : Spreranza Scappucci, promise à un bel avenir. Repérée par Riccardo Muti pour qui elle fit un remplacement au pied levé et qui l´invita à se produire à Salzbourg, Speranza Scappucci, pour ce qui nous concerne plus directement, est invitée à diriger l´été prochain à l´Opéra Bastille (2). De solides références, donc.

En un mot : une belle soirée pour entamer une saison qui s´annonce déjà prometteuse (3).

Pierre Waline

(1): toujours friands de joutes spectaculaires (Gluck-Piccini, Mozart-Salieri), les biographes se complaisent à mettre en exergue la rivalité entre les deux compositeurs italiens. Si, certes, Bellini ne fut pas toujours tendre envers son aîné Donizetti, ce dernier, par contre, ne tarissait pas d´éloges sur son cadet envers qui il manifestait une touchante affection.

(2): dans Rigoletto, du 2 juin au 12 juillet.

(3): avec notamment une journée-marathon Beethoven programmée pour début février. A noter encore la venue prochaine de la pianiste Elisabeth Leonskaïa qui se produira avec Iván Fischer et l´Orchestre du Festival dans deux concertos de Beethoven (les 4ème et 5ème).

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