Noé Bex, humoriste français installé en Hongrie : « J’ai commencé l’humour parce que j’ai toujours aimé ça, j’avais envie de tenter moi aussi »
Café dans la main gauche, crayon dans la main droite, concentré sur ses carnets... Noé Bex semble productif attablé au café Babka Deli où il nous a donné rendez-vous. Ce 29 novembre dernier, nous avons pu nous entretenir avec le jeune humoriste franco-hongrois installé à Budapest depuis 2019. Il nous a parlé de sa nouvelle vie hongroise, son quotidien en tant qu’humoriste.
JFB : Après vos études à Science Po, vous faites un master de médiation culturelle aux Pays-Bas. Vous débutez votre carrière en Autriche avant de vous installer à Budapest. Pourquoi décider de faire de l’humour après de grandes études ?
Noé Bex : Je ne trouvais pas de travail en France. J’ai voyagé avec ma copine et ici nous avons tous les deux eu des opportunités professionnelles qui nous ont permis de rester. J’ai commencé l’humour parce que j’ai toujours aimé ça, j’avais envie de tenter moi aussi. Je ne faisais cela qu’en anglais de base, mais à Budapest les spectacles en anglais ne se bousculent pas. Alors j’ai voulu faire mes sketchs en hongrois, mais au début j’apprenais surtout mot pour mot, je faisais un peu semblant. Début 2020, on me parle de la grande troupe Dumaszínház qui recherche de nouveaux talents et je me dis que je pouvais tenter ma chance. Mais le COVID est arrivé, et tout s’est figé. J’ai profité de cette période pour apprendre le mieux possible le hongrois, et lorsque l’émission a eu lieu j’ai été parmi les gagnants. C’est comme ça que je suis arrivé dans le monde de l’humour.
JFB : Comment s’organise le travail d’humoriste auprès d’une troupe ?
N. B. : La troupe s’occupe de trouver des salles, ils organisent les spectacles également pour intégrer les nouveaux talents. Au sein de Dumaszínház, nous sommes une trentaine d’humoristes. C’est un petit milieu en Hongrie, les humoristes professionnels doivent être une quarantaine maximum. La différence par rapport à la France, c’est qu’on doit beaucoup plus écrire parce que c’est un tout petit public. On passe à la télé deux fois par an, et on doit réaliser un sketch inédit de 12 minutes à chaque fois. A côté de ça, je suis aussi en première partie d’un grand humoriste hongrois qui se nomme KAP (Kovács András Péter, ndlr). Je n’ai pas encore de spectacle prêt, peut-être un jour -il sourit-.
JFB :Vous cumulez près de 20 000 abonnés sur Instagram, 24 000 sur Tiktok... Quand est-ce que vous vous êtes lancé sur les réseaux sociaux ?
N. B. : Je m’y suis mis il y a un peu moins d’un an. Je suis aussi Facebook, et Tiktok c’est pour atteindre les plus jeunes -rires-.
JFB : Quels sont vos sujets de prédilection dans vos sketchs ?
N. B. : Je parle de ma vie comme la plupart des humoristes. Mais j’ai l’impression qu’en Hongrie il est plus difficile d’avoir un public de niche comme on peut le voir en France. Globalement ici, les sujets sont : la drague pour les plus jeunes, ensuite la vie de famille, puis le fait d’être parent. C’est ce qui parle le plus au public. C’est difficile de connecter tout le monde ensemble, je sais que j’aurais en face de moi un étudiant, une jeune mère, une personne âgée... On doit davantage parler à tout le monde par rapport à la France où c’est dirigé vers les jeunes. Et puis en Hongrie les artistes sont moins jeunes, ils ont pour la plupart entre 40 et 50 ans.
JFB : Parlez-vous de la France dans vos sketchs ? Parlez-vous de la politique ?
N. B. : Oui bien sûr que je parle de la France ! Et je parle aussi de la Hongrie. J’évite la politique, je serais mal à l’aise de parler de la politique d’un pays alors que je suis un étranger. Et lorsque je mentionne seulement un fait d’actualité, j’ai souvent des réactions assez vives en commentaires.
JFB : Y a-t-il d’autres humoristes étrangers installés en Hongrie ? Recevez-vous des critiques pour cela ?
N. B. : Non, il n’y en a pas qui ont appris le hongrois, certains ont voyagés mais je crois bien que je suis le seul à être originaire d’ailleurs. Concernant les critiques, oui j’en reçois un peu mais cela reste quand même minoritaire. En comparaison, les rares femmes qui font de l’humour se prennent cent fois plus de critiques que moi. Et puis souvent les insultes sont tellement absurdes que ça devient risible.
JFB : Vous êtes arrivé en 2019. Comment s’est passé l’intégration ?
N. B. : Je connaissais déjà un peu la Hongrie, je venais souvent pour rendre visite à ma compagne. Au début c’était difficile, je venais d’arriver et je n’avais pas de travail, j’avais 24 ans et je venais de finir mes études, je vivais chez les parents de ma conjointe. Mais je trouve que l’expérience hongroise est totalement différente quand on parle la langue. Je sais de quoi je parle, j’ai connu toutes les étapes ! Au départ quand j’ai commencé à apprendre, les gens étaient super sympas avec moi parce que j’avais un accent, c’était mignon. Mais au fur et à mesure que je parlais hongrois, les gens me traitaient moins bien. Ils devaient me prendre pour un des leurs et pas simplement un touriste -rires.
JFB : Comment s’organise votre travail ?
N. B. : Je joue presque tous les soirs, en fonction des semaines ça peut varier. Je n’ai pas encore mon heure, c’est mon objectif d’ici l’année prochaine. En Hongrie c’est difficile parce qu’à partir du moment où on a son heure, on nous dit « ok alors maintenant tu as cette date et cette date » et si on n’arrive pas à remplir la salle, c’est fini. On se débrouille pour remplir la salle, il n’y a pas de pub. Aussi, tous les ans je dois produire 24 minutes pour la télévision. Donc je dois beaucoup écrire, faire du nouveau contenu exclusif chaque année. Enfin, je joue en première partie de KAP et nous sommes en tournée dans toute la Hongrie en ce moment.
JFB : Avez-vous des anecdotes de scène à nous raconter ?
N. B. : Oh bah j’ai une tonne de choses horribles qui se sont passées –rires- ! J’ai eu des gens qui s’évanouissent, qui se battent près de la scène... Quand on est amateur et qu’on joue dans des bars, les gens peuvent être un peu ivres donc ça devient un peu la foire.
Une fois, je suis allé faire un sketch au lycée français de Budapest, mais je n’avais pas compris que le lycée français faisait aussi collège et primaire. Donc j’avais écrit des blagues destinées à un public de quinze ans, et au moment de monter sur scène je me suis rendu compte que c’était que des enfants de six ou sept ans qui pensaient voir un clown ! Ce fut trente minutes très longues, j’ai essayé d’adapter mon spectacle et je suis tombé très bas dans mon estime de moi-même. A un autre moment de ce spectacle-là, j’ai interagis avec une petite fille et je lui ai demandé si elle était Française. Elle m’a répondu qu’elle était Française, Hongroise, Espagnole et Italienne. Et comme j’ai l’habitude d’improviser avec des adultes dans des bars, j’ai répondu au tac au tac sans réfléchir « ah bah tu connais pas ton vrai père »... Il y a eu un gros blanc qui s’est suivi et en plus la mère était à côté, je me suis bien tapé la honte -rires.
JFB : Avez-vous déjà fait des sketchs en français ?
N. B. : On m’a proposé à Budapest mais j’ai dit non. Quand j’ai commencé, j’ai été de passage à Paris et donc j’ai essayé en français. C’était une scène ouverte avec deux minutes par humoriste, ce que je trouve horrible. C’est peut-être un peu bizarre mais ça ne m’attire pas trop de le faire en français, ça ne me pose pas trop de différence de le faire en français ou anglais ou hongrois. La langue n’est pas le plus intéressant. Je trouve l’humour français un peu plus agressif, sûrement parce qu’on s’adresse à un public plus jeune. En hongrois, du fait de la langue hongroise qui est un peu agglutinante avec de longues phrases, on se retrouve à plus faire d’anecdotes que d’enchaînement de blagues. Je fais parfois de l’improvisation, mais j’évite car mon objectif est quand même de faire du théâtre en hongrois. Il y a deux semaines j’ai joué devant 1500 personnes, on ne peut pas improviser et jouer avec le public quand ils sont si nombreux. A l’inverse, j’ai joué en scène ouverte hier devant dix personnes, on ne peut pas les ignorer quand ils sont si peu.
JFB : Comment qualifieriez-vous votre humour ?
N. B. : C’est une question difficile. J’ai l’impression de me rapprocher un peu plus de l’absurde, en tous cas davantage que les autres humoristes hongrois. C’est mon côté français, je crois que l’Histoire de l’humour français montre bien une tendance à l’absurde. En Hongrie, les gens parlent directement de ce qu’il se passe sans trop d’images.
JFB : Avez-vous des humoristes qui vous inspirent ?
N. B. : En France, j’aime beaucoup Baptiste Lecaplain même si je suis très différent de lui et bien incapable de reproduire ce qu’il réussit à faire. En Hongrie, c’est Zoltán Kőhalmi qui est mon préféré. Pour donner un point de comparaison, je dirais que KAP ressemblerait à Kyan Khojandi, à faire de très longues histoires avec beaucoup d’autoréférences. Cela se rapproche de ce que j’aimerais faire.
JFB : Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
N. B. : Faire mon heure ! Ça sera déjà bien.
L’heure est venue de se quitter, Noé Bex doit finir d’écrire le sketch qu’il réalisera le soir même sur scène. Il sera le 21 janvier à 19h au Mixat Dumaklub pour un spectacle, le « Kanapé Generáció », en compagnie d’autres humoristes du Dumaszínház. Il est à retrouver sur Instagram sous le pseudo @noebex.
Siloé Lemaître