Le Barbier de Séville au Théâtre Erkel

Le Barbier de Séville au Théâtre Erkel

Barbier de Séville

Froidement accueillie dans un premier temps, la pièce de Beaumarchais, moyennant quelques coupes et remaniements, se tailla un vif succès dès sa seconde représentation le 26 février 1775 (1). Dès lors, plusieurs compositeurs s’emparèrent du livret pour en réaliser un opéra. Le plus connu fut celui donné par Paisiello le 26 septembre 1782 à Saint-Petersbourg. Connaissant un large succès, l’opéra de Paisiello fut aussitôt donné dans de nombreuses villes, notamment à Vienne où la pièce connut près de cent représentations de 1783 à 1804.

Paisiello, dont les partisans montèrent une cabale lors de la première représentation qu’en donna Rossini à Rome le 28 février 1816. L’anecdote est bien connue. Chahut, sifflets de la galerie, sans compter les incidents involontaires (chute et saignement de nez du ténor, corde de guitare cassée…) ou volontaires, envoi d’un chat sur la scène provocante des miaulements dans la salle. Mais cela fut de courte durée, Rossini se voyant fêté le soir même par une partie du public venu l’acclamer sous ses fenêtres. Dès lors, la pièce se tailla un immense succès à travers l’Europe, succès non démenti de nos jours où l’œuvre de Rossini est considérée comme le chef-d’œuvre de l’opéra-comique italien. (A noter que Paisiello n’était pour rien dans cette cabale.)

On ne compte plus les représentations de qualité données de nos jours. En donner une énième version sur la scène de Budapest relevait donc de la gageure. Pour ce faire, il fallait innover. Ce qu’a tenté le metteur-en-scène Csaba Káel, ayant choisi de placer l’œuvre dans l'ère du cinéma muet. « Magnifiant les situations humoristiques dans un cadre plus léger, cherchant à dépoussiérer les traditions séculaires pour présenter l’opéra dans sa fraîcheur originelle « (sic). « Cette légère touche de modernité était indispensable, pour rendre l’œuvre plus agréable et digeste.» (Káel). La distribution : le Comte Almaviva : Gyula Rab, Bartolo : András Kiss, Rosina: Gabriella Balga, Figaro: Zsolt Haja, Basilio: László Szvétek, Berta : Zita Váradi. Accompagnés par l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra placés sous la direction de Sámuel Csaba Tóth.

Barbier de Séville

Une production donnée avec succès en juin dernier à l’île Marguerite. Alors ?

Un résultat allant au-delà de nos attentes, une pleine réussite. Réussite en tous points. Les chanteurs, tout d’abord, tous sans exception excellents, tant par le chant que par le jeu. A commencer par la mezzo colorature Gabriella Balga incarnant une Rosine idéale. Une voix puissante et claire, habilement modulée, parfaitement à l’aise dans les aigus. Attendue dans la fameuse cavatine du 1er acte, elle s’en est tirée avec aisance et brio (2). Mais le comte également, incarné par le ténor Gyula Rab, au timbre tout aussi clair et agréable, tout aussi à l’aise dans les aigus. Mais pourquoi ne mentionner qu’eux ? Les autres, Figaro, Bartolo, Basilio (impayable dans l’air de la calomnie), Berta, au même niveau. Se donnant pleinement dans un jeu animé et hautement expressif : expression dans la démarche, expression des visages. Toutes et tous chaleureusement applaudis. Mais c’est peut-être au metteur-en-scène que revient la palme. Déjà apprécié dans des spectacles précédents, Csaba Káel, mélomane accompli (3), avait lancé ici un pari osé. Osé… et réussi. Car l’idée de présenter l’action sur fond de cinéma muet, originale, certes, n’était pas évidente, a priori surprenante. Consistant à placer sur chaque côté deux cameras sur trépied et un grand écran en fond de scène. Écran sur lequel apparaissaient, en noir et blanc, des commentaires relatant le contexte ou encore en gros plan le visage des acteurs lorsque ceux-ci se plaçaient devant l’une des caméras. Sans pour autant nuire à l’action, lui conférant au contraire un certain relief. Mais ce que je retiens du spectacle est surtout cette dose d’humour qu’y ont apporté acteurs et metteur-en-scène. Un humour tout en finesse - sans tomber dans le piège du burlesque -, presque discret, bien dans la note. Humour que Rossini lui-même n’aurait probablement pas désavoué. C’est là le plus grand éloge que l’on puisse en faire.    

Pour conclure et corroborer mon propos, je citerai le commentaire émis par un critique à la sortie du spectacle : «One of the best in my experience! Fantastic scenography, loads of humour, wonderful voices!! It's a real must.”  

Pierre Waline

(1): Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile.

(2): la cavatine - et l’ouverture  - étant partiellement reprise d’un opéra antérieur.

(3): Csaba Káel dirige le Palais des Arts (Müpa) réputé pour la qualité de ses concerts et soirées musicales.

 

Crédit photos: Berecz Valter

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