A (re)découvrir : „La Caravane du Caire” de Grétry à l´Opéra Royal de Versailles (1)
Lorsqu’en octobre 1783, le public de l’Académie royale de Musique applaudit à la première de La Caravane du Caire, il rendait un hommage supplémentaire à un compositeur qui pendant quinze ans avait inondé Paris de ses œuvres. Né à Liège en 1741, André-Modeste Grétry s´installa en 1767 à Paris où, après un premier échec, ses opéras obtinrent rapidement un accueil favorable, voire enthousiaste, du public et les faveurs de la Cour. Soixante-dix œuvres lyriques (essentiellement des opéras comiques) produites jusqu´en 1794, date où il se retirera définitivement de la scène pour se consacrer à la littérature jusqu´à sa mort survenue en 1813. Renommée célébrée par l´attribution d´un fauteuil à l´Institut dès sa fondation en 1795 et la remise de la Légion d´Honneur par Napoléon. Sans compter que son nom fut attribué de son vivant à une rue de Paris. Alors ? Et pourtant un homme qui connut une éducation musicale quelque peu laborieuse, voire non épargné par la critique de certains confrères lui reprochant des faiblesses dans le traitement de l´harmonie et du contrepoint (Méhul : „Il faisait de l´esprit, et non de la musique”). Quoi qu´il en soit, il n´en demeure pas moins que Grétry a su habilement associer dans ses œuvres la veine tragique issue de la tradition française aux charmes de la mélodie héritée des Italiens, conférant à ses œuvres une couleur particulière qui lui est propre et explique son succès. Qualités qui se retrouvent dans La Caravane du Caire, créée le 30 octobre 1783 au Théâtre Royal de Fontainebleau, reprise le 15 janvier suivant à Paris. Sans doute le plus grand succès de l’opéra français à l’aube de la Révolution, mêlant tous les genres avec un bonheur constant : opéra-comique, opéra-ballet, opéra seria, voire tragédie lyrique dans la lignée de la révolution gluckiste. Ce succès devint international et se maintint durant toute la période napoléonienne (500 représentations) au point que les armées impériales entonnaient régulièrement son air « La victoire est à nous”.
Retiré ensuite de l´affiche, essentiellement en raison des difficultés techniques liées à sa mise en œuvre, il est particulièrement bienvenu de le voir récemment réinscrit au répertoire, qui plus est dans le cadre fastueux de l´Opéra Royal de Versailles, en coproduction avec l´Opéra de Tours. Une distribution brillante (chanteurs et danseurs) prestement emmenée par Hervé Niquet à la tête du Concert Spirituel. Le livret (2) ? Une trame somme toute assez classique. En un mot, cette histoire rebattue du pacha (Osman) blasé et las de son harem, tombé amoureux d´une belle captive (Zélime) qu´il veut se réserver. Captive dont l´amant, intrépide personnage aux mille péripéties, condamné pour ses méfaits (Saint-Phar), se voit finalement libéré et rendu à sa belle, alors qu´au tout dernier moment, il s´avère être le fils du noble Florestan, ami du pacha, parti à sa recherche. Bref, happy end ! La distribution : Zélime: Hélène Guilmette, Saint-Phar: Pierre Derhet, Osman Pacha: Robert Gleadow, Florestan et Husca (marchand d´esclaves): Jean-Gabriel Saint-Martin, Almaïde (maîtresse du pacha): Marie Perbost. A signaler les costumes de Camille Sassaf, les décors d´Antoine Fontaine et, surtout, les danseurs du ballet de l´Opéra sur une chorégraphie de Jeannette Lajeunesse-Zingg.
Plus qu´un opéra, une véritable fête mêlant constamment, sur un rythme soutenu, chants et danses dans de merveilleux costumes et de beaux décors. Bref, on ne s´ennuie pas et, ce, deux bonnes heures durant. „Si l’on est sensible à l’esthétique zeffirellienne, on est ce soir gâtés : contrairement à la norme dans ce genre de production, débauche de costumes et toiles peintes ne servent pas à faire oublier l’absence de direction d’acteur. Marshall Pynkoski sait animer son plateau : les chanteurs sont dirigés avec verve et précision jusque sur le proscenium qui renforce la proximité avec le public, déjà excellente dans l’intimité de cette salle. Sans compter les ballets très bien réglés par Jeannette Lajeunesse-Zingg. Soin et qualité d’exécution trop rares dans ces mise-en-scène dites « traditionnelles” (Guillaume Saintaque).
« Grétry offre une orchestration colorée que renforcent costumes et décors. Les personnages de la Caravane sont nombreux. Le compositeur tenta de donner à chacun sa position exacte dans le drame tout en évitant la simplification. Les mouvements de foule lui permettent de raffiner sa technique des longs ensembles. Un succès inoui Dès la première à l’Académie royale de Musique, La Caravane du Caire reçoit tous les suffrages du public. Les comptes rendus du Journal de Paris ou du Mercure de France ne tarissent pas d’éloges, et la cabale menée par les Piccinistes fut vite étouffée” (Philppe Vendrix).
Bref, tout est dit.
Pratiquement méconnu du grand public, un opéra qui, après Rameau et Lully, constitue sans conteste une œuvre majeure de cette période prérévolutionnaire qui méritait largement d´être (re)découverte. Voilà qui est chose faite.
Pierre Waline
(1): Représentation du 11 juin 2023, actuellement sur la chaîne Mezzo. Reprises les 12,16 et 20 janvier.
(2): livret auquel apporta sa pierre le duc d´Orléans (futur Louis XVIII). Deux enregistrements (audio) en avaient été réalisés par Gustav Leonhardt (1980) et Marc Minkowski (1994)