Quand les musiciens d’Iván Fischer nous convient à une escapade dans l´ère baroque

Quand les musiciens d’Iván Fischer nous convient à une escapade dans l´ère baroque

Baroque

L’Orchestre du Festival de Budapest (BFZ) et son chef fondateur Iván Fischer ne sont plus à présenter, tant leur talent est reconnu de par le monde. Réputés pour leurs interprétations du répertoire romantique, voire contemporain, qui sait que ses musiciens ont également monté un ensemble baroque se produisant sur instruments anciens ?

Tel est le cas du concert récemment donné à l’Académie de Musique de Budapest (Zeneakadémia). Au programme : G.-Ph. Telemann, suite en sol mineur „La Musette”, concert en fa majeur pour trois violons, J.-Fr. Fasch, symphonie pour cordes en sol majeur, G.-Fr. Haendel, concerto grosso en la majeur op.6, cantate „Armida Abbandonata”. Pour les conduire, la violoniste Midori Seiler. Fille de pianistes, d’ascendance japonaise et bavaroise, Midori Seiler a notamment étudié et résidé à Salzbourg et se produit régulièrement sur les scènes occidentales, réputée pour son jeu sur un violon d’époque. Mais la Hongrie, où elle se rend régulièrement, n’a pas non plus de secret pour elle, qui y s’est entre autres formée auprès de Sándor Végh. Une adepte passionnée, dit-on, de Liszt (… et des pâtisseries magyares...) En soliste dans la cantate (Haendel), la soprane italienne Arianna Vendittelli (déjà entendue sur cette scène).

Pour commencer, un mot sur Johann-Friedrich Fasch. Contemporain de son ami Telemann et de Haendel (1688-1758), ce compositeur, violoniste et organiste originaire des environs de Weimar, fut, dit-on, fort apprécié en son temps, au point que Bach, qui le tenait en haute estime, transcrivit plusieurs de ses ouvertures. Situé à mi-chemin entre les styles baroque et classique, certaines des innovations introduites dans son écriture se retrouveront chez Gluck et Haydn, voire Mozart. Un mot, encore, sur la cantate de Haendel. Écrite en 1707, alors que Haendel n’avait que 22 ans, la cantate „Armida abbandonata” est inspirée d’un poème épique du Tasse „Jerusalem délivrée” (La Gerusalemme liberata). Sur fond de croisade, Armide, châtelaine intrigante et amoureuse, pourvue de dons de sorcellerie, se lamente sur la trahison dont elle se dit victime, invoquant monstres et éléments pour assouvir sa soif de vengeance. Sujet qui inspira plusieurs compositeurs, ayant notamment donné lieu à un opéra qui eut en son temps grand succès (Niccoló Jomelli, Naples, 1770 (1)). Écrite pour soprane, cordes et continuo (ici soutenues par un accompagnement de mandoline et clavecin).

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Incontestablement, c’est ce morceau, la cantate donnée en clôture du concert, qui fut le „clou” de la soirée. Grâce à son interprète, la soprane Arianna Vendettelli, qui nous servit ici une prestation tout bonnement époustouflante. Tout autant par sa voix puissante, chaude et claire que par son jeu et sa présence sur scène. Constamment en mouvement, offrant, pour accompagner les inflexions de la voix, une gestuelle particulièrement expressive. Une grande chanteuse, mais aussi une actrice hors pair. Dont le nom ne sera pas tout-à-fait inconnu de nos compatriotes, puisqu’elle se produit régulièrement sur nos scènes de province. Il faut dire que, pour la servir, Haendel lui aura offert ici une partition de rêve. Jamais ennuyeuse, alternant passages vifs et retenus, en même temps très équilibrée. Du jeune Haendel, mais déjà du grand Haendel...

Pour le reste, je citerais en premier lieu la suite en sol de Telemann par laquelle débutait le concert. Assez proche des suites de Bach, notamment de la troisième. Débutant, comme il se doit, par une brève et lente introduction au ton solennel, Telemann nous offre ici une suite de danses tout aussi charmantes qu’entraînantes, notamment cette délicieuse musette qui lui a donné son titre ou encore cette irrésistible bourrée qui nous donnerait bien envie de sauter de notre siège. Le tout admirablement servi par des musiciens aux sonorités claires et au jeu précis sous la conduite enlevée de la violoniste japonaise.

Très différente fut la symphonie de Fasch qui suivait. Au ton plus grave, mais tout aussi séduisante et non dépourvue d’une certaine grandeur. Annonçant de loin, par endroits, le ton que l’on retrouvera dans certains passages chez Gluck. Bref, comme la suite de Telemann, mais sur des tons plus chauds, dans une teinte „plus tamisée”, l’une des agréables découvertes de la soirée.    

Pour la suite, rien de particulier à dire sur le concert pour trois violons de Telemann, où l’on décèle par endroits le lointain héritier de Vivaldi, mais aussi - ce qui n’a rien de surprenant -, assez proche de Bach. Fort bien servi par les trois solistes (M. Seiler et deux violonistes de l’orchestre) se voyant alternativement confier l’initiative du jeu. Rien de très particulier à dire, non plus, sur le Concerto grosso qui suivait la pause. Une œuvre bien connue, ici fort bien servie. Mais qui allait se voir voler la vedette par la cantate qui suivait, pourtant composée trente ans plus tôt.

Dans l’ensemble, des musiciens offrant de belles sonorités, parfaitement au diapason, dans un ensemble parfaitement équilibré, chacun, chacune bien en place, nul ne se mettant en avant, pas même la violoniste japonaise. Ce que je retiens de la soirée : avant tout une impression de fraîcheur et de légèreté. A mille lieues des grandes formations auxquelles ils nous avaient habitués, parfaitement adaptés à ce répertoire qu’ils avaient choisi de nous présenter ce soir. Également à souligner : le choix des œuvres servies dans un programme parfaitement équilibré. Bref, une belle soirée nous offrant un peu de cette bouffée d’air frais bienvenue en ce début de printemps.

Pierre Waline

 (1): Opéra à la création duquel assista le jeune Mozart qui en laissa un jugement plutôt favorable.

Photos: Roxána Somogyi

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