Pour honorer nos Morts, une œuvre rarement jouée : le Requiem de Berlioz

Pour honorer nos Morts, une œuvre rarement jouée : le Requiem de Berlioz

berlioz

En cette période où nous célébrons la Fête de tous les saints et le souvenir de nos proches disparus, il est de coutume de donner un Requiem. Parmi les œuvres programmées à cette occasion, vient généralement en tête le Requiem de Mozart, suivi de la Messe des Morts de Verdi ou encore du Requiem de Fauré. Plus rarement un Requiem allemand de Brahms. Mais pratiquement jamais la Grande Messe des Morts de Berlioz, probablement en raison de son effectif imposant difficile à réunir. Lacune qui fut comblée lors d’un concert donné ce 1er novembre à Budapest.

C’est sur commande officielle que Berlioz composa en 1837 son Requiem, destiné au départ à célébrer les morts des journées de Juillet 1830. C’est finalement à la mémoire d’un certain général Damrémont tombé au siège de Constantine que fut créée l’œuvre aux Invalides le 5 décembre de la même année sous la direction de François Habeneck. Quelle qu’en fût la destination, une commande que Berlioz accepta d’emblée avec joie. „Le texte du Requiem était pour moi une proie dès longtemps convoitée, qu’on me livrait enfin, et sur laquelle je me jetai avec une sorte de fureur„ (1). Occasion pour lui de disposer d´une formation d’envergure, ce dont il rêvait. Une œuvre qui allait demeurer parmi ses favorites. „Si j’étais menacé de voir brûler mon œuvre entier, moins une partition, c’est pour la Messe des morts que je demanderais grâce”. A noter un incident survenu – selon Berlioz – lors du concert (plus vraisemblablement lors de la répétition) : Habeneck, avec qui Berlioz était en mauvais termes, eut un moment de distraction, tant et si bien que Berlioz prit sa place au pupitre. L’œuvre reçut d’emblée un accueil enthousiaste et la presse ne tarit pas d’éloges, tel ce passage publié le lendemain dans le Charivari : „M. Berlioz vient de faire un grand pas par cette composition que beaucoup de gens n’attendaient certainement pas de lui. Il a prouvé ce que peut la volonté quand elle est soutenue par un talent véritable”. Bien que lui-même satisfait de son travail, Berlioz remania à deux reprises sa partition. La version entendue ce soir remonte à 1867.

Pour cette représentation donnée au Palais des Arts, étaient réunis trois chœurs (2) pour accompagner la Philharmonie nationale au grand complet. Le tout sous la direction du chef britannique Howard William avec son compatriote Andrew Starple (ténor) en soliste dans le Sanctus. D’une longueur inhabituelle, (90 minutes), l´œuvre comprend dix parties: : Introit (Requiem aeternam) et Kyrie, Dies irae, Séquence (Quid sum miser, Rex tremendæ, Quærens me, Lacrimosa), Offertoire (Domine Jesu Christe, Hostias), Sanctus, Agnus Dei et Communion.

Une œuvre pour laquelle le compositeur a déployé des moyens jusque-là insoupçonnés. Multiplication des pupitres avec notamment huit paires de timbales et huit cors. Disposition d’une fanfare aux quatre coins de l’espace (ce soir dans les deux tribunes latérales et au fond de la salle). Une œuvre alternant effets spectaculaires et passages contemplatifs, mais sans jamais tomber dans le mauvais goût. Débutant en douceur avec le Kyrie empreint d’un climat de méditation mélancolique, pour passer au Dies Irae qui, contrairement à l’usage, débute dans le calme. Par une sorte de plain chant entamé par les sopranos a capella auxquelles se joignent les ténors, puis l’orchestre dans une belle harmonie. Avant d’éclater en son milieu dans une spectaculaire fanfare sonnant en alternance des quatre horizons (Turba mirum), annonce de l’Apocalypse (3), pour retourner progressivement au calme. La séquence qui suit s’ouvrant en finesse dans le recueillement (Quid sum miser) avant de reprendre un ton solennel sur le tempo enlevé d’un Rex tremendae théâtral suivi d’un merveilleux choeur a capella (Quaerens me) pour se refermer sur un Lacrimosa au tempo vif et au rythme syncopé. Une originalité, dans l’Hostias qui suivra, entamé a capella, cette association des trombones et des flûtes. Suit le Sanctus confié au ténor, accompagné du chœur des anges (sopranes), pour se conclure sur un Hosanna solennel marqué par une brillante fugue. Enfin, l’Agnus Dei, introduit par six longs accords des bois et cordes réunis, avec son rappel du Kyrie, calme et recueilli, nous entraîne dans un monde baigné de lumière. L’œuvre s’achève en douceur, par les légers battements de timbales de la cadence finale sur un long et touchant Amen.

A noter que le compositeur avait légèrement revu le texte latin de la liturgie traditionnelle, dans le but de mieux servir sa partition. Rappelons au passage que Berlioz qui nous a servi ici – n’en déplaise à certains - une œuvre profondément religieuse, n’était pas croyant (4).

Une œuvre servie, comme nous l’avons vu, par un orchestre au grand complet (voire complété) et trois chœurs réunis pour la circonstance. Le tout sous la baguette inspirée d’un chef aux gestes sobres (d’apparence plutôt réservée). Le résultat : une impression de luminosité et de grande clarté, tout d’abord. Mais également – chose rare - une interprétation volontairement réservée, retenue, probablement pour souligner le caractère religieux de l’œuvre et éviter les excès, trop tentants, dans les passages animés (Dies Irae).  N’oublions pas qu’il s‘agissait ce soir d´honorer nos morts. Concert au demeurant marqué sur sa fin par une pause de recueillement avant de laisser fuser les applaudissements. Applaudissements scandés qui se prolongèrent de longues minutes, preuve, si besoin en était, de la satisfaction du public. Une œuvre que, probablement, beaucoup découvraient ce soir qui, malgré les appréhensions qu’ils eussent pu avoir au départ, ont été apparemment comblés. Une réserve : une église eût en principe mieux convenu (comme lors de la création) pour présenter une telle œuvre, mais force est de reconnaître que, par son acoustique et son vaste espace scénique, l’auditorium du Palais des Arts constituait en fin de compte un cadre idéal.  

Pierre Waline

(1): Mémoires

(2): le Chœur national, le Chœur de la Radio et le Chœur d´Hommes de l´Armée.

(3): „Non pour produire un vain bruit, mais pour répandre une sublime terreur dans l’auditoire, ce pour quoi nous devons lui rendre une entière justice.” (Charivari, déc. 1837),

(4): de même que Verdi, Brahms et Fauré qui nous ont pourtant laissé parmi les plus beaux Requiem.

Catégorie