Philippe Jaroussky invité du Palais des Arts… en gracieuse compagnie
Récital Haendel par la soprane Emőke Baráth
Ils se connaissent de longue date pour s'être produits ensemble à maintes reprises sur les scènes françaises : Philippe Jaroussky et la jeune soprane hongroise Emőke Baráth (1). Nous les retrouvions cette fois, non au Théâtre des Champs-Élysées, mais sur une scène hongroise : au Palais des Arts (Müpa) de Budapest. Autre nouveauté : Philippe Jaroussky se produisant ce soir non seulement comme chanteur, mais tenant également la baguette. A la tête de l'ensemble de chambre Artaserse, groupe de musiciens fondé en 2002 par le contre-ténor, spécialisé dans le répertoire baroque. Un concert qui s'inscrivait en ouverture du Festival de Musique ancienne qui se tiendra jusqu'au 22 mars (2). Au programme : Haendel. Airs extraits d'opéras et mouvements de concertos. Concert divisé en deux parties. Emőke Baráth se voyant confier dans la première partie des rôles masculins pour reprendre en seconde partie son aspect et son rôle de femme. Airs complétés par deux duos interprétés avec le contre-ténor français. Extraits de six opéras du maître qui s'étalent sur vingt années de sa période créatrice (3). Récemment parus dans un CD (Erato) sous le titre „Dualitá” (Dualité). Titre faisant allusion à l'ambigüité des rôles interprétés. Non seulement alternant rôles masculins et féminins, mais offrant par ailleurs des climats contrastés, passant de la fureur aux épanchements amoureux. Idéal pour mettre en valeur les différentes facettes de l'art d'une chanteuse.
Un premier constat : la parfaite entente entre la soprane, le chef et ses musiciens. Ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait que les uns et les autres sont habitués à se produire ensemble, sans compter la préparation minutieuse de l'enregistrement évoqué plus haut. Emőke Baráth qui déclare avoir beaucoup appris de son aîné dont les conseils lui ont été précieux pour perfectionner son art. Partenariat doublé d'une longue amitié. (A noter que Haendel, de l'aveu de la chanteuse, figure parmi ses compositeurs de prédilection pour avoir fait avec lui ses premiers pas, alors qu'elle étudiait encore. Le concert de ce soir s'intitulait „Haendel for ever”)
Mettre en valeur les différentes facettes de l´art d'une chanteuse... Pour le coup, Emőke Baráth s'en est tirée à merveille, faisant preuve d'une grande aisance. Évitant le piège des effets dramatiques forcés, sans ce vibrato dérangeant auquel d'autres nous ont habitués. Chantant de la façon la plus naturelle du monde, accompagnant son chant d'un jeu de scène d'une grande expressivité, mais sans ostentation. A l'aise pour passer des timbres graves (mezzo) aux aigus (soprano). Et sans ces roucoulades qui accompagnent trop souvent les vocalises. Ici, rien de tout cela : un jeu sobre, mais expressif, naturel, de bout en bout agréable à l'ouïe (et à l'oeil). Rien d'étonnant à ce qu'elle fût récemment élue en Hongrie „artiste de l'année” et qu'elle soit de plus en plus sollicitée sur les scènes de France et d'Europe.
Et Philippe Jaroussky dans tout cela ? Un chanteur doublé d'un chef d'orchestre né … C'était ici notre agréable surpris. Dirigeant en souplesse, suivi au quart de tour par ses musiciens. Des musiciens jouant sur instruments anciens sonnant d'une façon agréable sans ces petits grincements qui accompagnent parfois ce type de formation, offrant au contraire un son chaud, „velouté” et d'une grande clarté.
Que dire de plus ? Que ce fut une belle soirée, visiblement fort appréciée, à en juger par les applaudissements nourris et rappels (avec deux autres airs donnés en bis).
Emőke Baráth que nous retrouverons sur cette même scène le 28 juin, cette fois dans un concert Vivaldi par l'Europe galante sous la baguette de Fabio Biondi. D'ici là, elle sera partie conquérir d'autres publics. Tout d'abord le 11 mars avec le même programme au Théâtre des Champs-Élysées. Puis à Montpellier (Jules César avec Jaroussky), Malmö et Copennhague (Mthridate) en passant par Dusseldorf (Orfeo de Haydn).
Mais qu'elle n'oublie pas de nous revenir, car sa venue est ici toujours une fête…. Fête du chant, fête de la musique, fête du charme et du bon goût….
Pierre Waline
Photo : Müpa
(1): bien que restée profondément attachée à sa terre natale, Emőke Baráth a choisi de s'établir en région parisienne (attachement également à notre pays et à notre langue, comme cela ressort d'un échange que j'ai eu avec elle).
(2): festival offrant un programme riche et varié avec notamment deux oeuvres venues de France, un opéra inédit de Cherubini (Les Abencérages) et Le mariage forcé de Molière et Lully (par Hervé Niquet et le Concert spirituel). A noter également la venue de Rolando Villazón et Joyce Didonato)
(3): Radamisto (1720), César en Egypte, Rodelonda, Alcina, Loteria, Deidamia (1741)
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