Opéras : le Pirate de Bellini en version de concert sur la scène de Budapest (1)

Opéras : le Pirate de Bellini en version de concert sur la scène de Budapest (1)

Bellini Pirate

Au cours de sa brève carrière, Bellini n’en composa pas moins de onze opéras, dont deux continuent à occuper le devant de la scène : la Norma et la Somnambule. Moins connu est son troisième opéra, Le Pirate (Il Pirata) créé en 1827 à la Scala de Milan. Opera séria en deux actes sur un livret de Felice Romani d’après Bertram, pièce de Charles Robert Maturin représentée à Londres en 1816. Ce fut, dit-on, un triomphe, le premier grand succès du compositeur. Se présentant comme l'archétype de l'opéra romantique, l'œuvre fut jouée jusqu'à la fin du XIXe siècle avant de tomber dans l'oubli. (Pour n’être reprise qu’en 1935 pour le centenaire de sa mort, puis par Maria Callas dans les années cinquante).

Œuvre inscrite ce soir au programme sur la scène de Budapest en version de concert. La distribution : Imogene (épouse d’Ernesto): Klára Kolonits, soprane, Gualtiero (ancien comte de Montalto, chef des pirates) : Paolo Fanale, ténor, Ernesto (duc de Caldora) : Alexeï Bogdanchikov, baryton, Itulbo (lieutenant de Gualtiero) : Roland Tötös, ténor, Goffredo (un ermite, ancien tuteur de Gualtiero) : István Kovács, basse, Adele (servante d’Imogene) : Gabriella Busa, alto, l’Orchestre philharmonique National et les Chœurs étant placés sous la direction de Dániel Dínyés.

Bellini PirateL'action se déroule en Sicile au XIIIe siècle. Imogene aime d'un amour partagé Gualtiero, mais pour sauver son père, elle a dû épouser leur ennemi Ernesto. Gualtiero, devenu chef de pirates, échoue près du château d'Imogene, après avoir été vaincu par Ernesto. Les deux amoureux se retrouvent en secret. Ernesto de retour, découvre la présence de Gualtiero. Il accuse Imogene d'adultère et provoque Gualtiero en duel. Ce dernier le tue, mais est condamné à mort par les gens d'Ernesto. Il monte à l'échafaud, alors qu'Imogene perd la raison. Le schéma classique des amours contrariées. Une remarque : malgré le titre de l’œuvre, c’est bel et bien la femme (Imogene) qui tient ici le rôle central. Un trait caractéristique chez Bellini, comme on le verra par la suite dans ses œuvres ultérieures.

Ce qu’en dit la critique. „Donnant la primauté à l’inspiration mélodique, la musique possède par endroits plus de vigueur et de flexibilité dramatique qu’elle n’en aura par la suite” (Fr.-R Tranchefort). Malgré tout, une œuvre présentant une orchestration parfois critiquée pour ses „faiblesses”. Alors ?

De bout en bout, une œuvre marquée par une forte intensité dramatique. A noter une innovation – que l’on ne retrouvera plus par la suite : à côté des mélodies, au demeurant fort belles, l’adoption par endroits d’un style déclamatoire qui ne fait que renforcer le côté tragique de l’ensemble. Parmi les temps forts, nous citerons l’air d’Imogene et la cantilène de Gualtiero au premier acte, ou encore le sextett qui clôt le premier acte. Au second acte, le duo Imogene-Ernesto suivi du trio tendu entre Imogene, Ernesto et Gualtiero, enfin la scène finale avec cette touchante lamentation d’Imogene qu’introduit le chant plaintif du cor anglais, page annonciatrice du Casta Diva de la Norma.

Au plan de l’interprétation, c’est en premier lieu la soprane Klára Kolonits qu’il nous faut citer, incarnant une Imogene émouvante, égale à elle-même, c’est-à-dire au plus haut niveau, constamment présente, à qui reviennent les plus beaux airs et duos, personnage central de l’œuvre. A ses côtés un Gualtiero (Paolo Fanale) débordant de passion, au timbre pur, mais surtout un Ernesto implacable idéalement incarné par le baryton russe Alexeï Bogdanchikov, à la voix chaude. Les chœurs (qui tiennent dans l’œuvre une place importante) excellents. Quant à l’orchestration, des „faiblesses” lui ont reproché certains ? J’avoue que cela ne m’a pas frappé, servie par un chef ce soir inspiré. Une seule réserve : le côté statique de cette version „de concert” qui eût mérité une petite mise-en-scène, même réduite, pour insuffler un peu de vie à une action précisément en constant mouvement.

Mais ne boudons pas notre plaisir, ce fut dans l’ensemble une belle soirée, saluée par un public apparemment comblé.  

Pierre Waline

(1): retransmis depuis le Palais des Arts (Müpa)

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