Musique : petite revue des salles de concert
Survol … de la Seine au Danube
Avec la multiplication des réseaux sociaux, la manie a été prise de classer tout et n´importe quoi („le plus beau, le meilleur, le préféré”…). Hit-parade parfois ridicule, le plus souvent arbitraire, généralement publié pour se mettre soi-même en valeur (1). Mais tel n´est pas toujours le cas. Ainsi, ce classement des dix meilleurs orchestres du monde que vient de publier la revue BBC MusicMagazine. Parmi lesquels figure en bonne place l´Orchestre du Festival de Budapest. Classement confirmé par le New York Times. Certes, qui reste subjectif, mais donne malgré tout une idée de la qualité, ou du moins de la réputation, desdites formations.
Un classement dont je n´ai pas encore eu connaissance (mais qui a probablement été entrepris): celui des meilleures salles de concert. Mais sur quels critères ? L´acoustique, tout d´abord, suivie de l´esthétique, et peut-être encore du confort et de la visibilité. Classement d´autant plus aléatoire que, pour bien faire, il faudrait les avoir toutes testées, de plus sur des programmes différents (piano solo, quatuor, musique de chambre, grandes formations). Ce qui est exclu.
Mon propos n´est donc pas ici de soumettre un tel classement, ce qui serait insensé et ne présenterait pas grand intérêt. Plus intéressant serait peut-être, sur un plan plus général, d´identifier les différents types de salles dont nous avons connaissance, avec leur spécificité, le type de concerts ou de représentations auquel elles se prêtent. Les avantages ou petits inconvénients qu´elles peuvent présenter. Et de tenter de dégager les grandes tendances de leur évolution. Un tableau bien évidemment très incomplet et imparfait.
Commençons par l´opéra, le premier exemple qui nous vient à l´esprit avec sa traditionnelle confrontation salle à l´italienne versus auditorium. (Garnier vs Bastille). Les premières se prêtant en principe davantage à la représentation d´œuvres offrant une relative intimité, ou qui, par leur décorum, s´accordent mieux à l´ambiance de la pièce produite. (Car ce n´est pas forcément une question de taille, cf. Garnier ou la Scala.) Des pièces relevant généralement des répertoires baroque ou classique. Les seconds étant plutôt dédiés aux grands spectacles ou opéras rassemblant de nombreux figurants. Encore que ce ne soit pas si évident (Cosí fan tutte?). Le charme du décor compensant généralement le relatif inconfort que peuvent présenter les anciennes salles. Encore faudrait-il que l´on ait le choix. Car les exemples dont nous avons connaissance sont peu nombreux. Outre le cas de Paris me vient à l´esprit celui de Budapest. Avec sa salle traditionnelle de l´avenue Andrássy (le dada des touristes…) et son Théâtre Erkel avec ses plus de 2000 places. Sans oublier un troisième site récemment ouvert, l´Atelier Eiffel. Avec son petit auditorium moderne, mais offrant des dimensions et un nombre de places limités. Conçu, avec sa scène et sa salle réduites, pour des œuvres du répertoire moins fréquentés et ne nécessitant pas grande mise-en-scène. Ce que j´appellerais des „opéras de poche”. (Tel L´Oca del Cairo de Mozart auquel nous avons pu assister.) Une salle également vouée à la production de certaines œuvres contemporaines. Un avantage : la proximité avec les acteurs et chanteurs. Puisque nous avons évoqué Paris, là aussi, dans un tout autre genre, le public dispose d´un troisième site : la salle Favart (Opéra-comique). Où sont souvent produites des pièces inédites du répertoire français (Cherubini, Boieldieu). Sans oublier, pour les Parisiens, le délicieux Opéra Royal de Versailles où sont parfois donnés des opéras d´époque. Mais disposer de plusieurs salles est un luxe assez rare, les plus grands opéras du monde disposant exclusivement, soit d´une salle traditionnelle à l´italienne (Milan, Venise (2)), soit au contraire d´un espace moderne (New York, Sidney). Ce qui, après tout, ne constitue pas un handicap, loin de là. Leur succès et leur prestige étant là pour nous en convaincre.
Et les salles de concert ? Comme pour l´opéra, nous pourrions établir un distinguo entre auditoriums modernes et salles anciennes. Sur un plan purement esthétique, d´abord, il est indéniable que certaines salles „anciennes” offrent un charme incomparable, telles la salle dorée du Muzikverein de Vienne (concert du Nouvel An!) ou, très proche, la salle de l´Académie de Musique de Budapest ou encore, dans un autre genre, la Palau de la Musica de Barcelone (3). Certes, mais, depuis peu, les architectes nous servent de plus en plus d´auditoriums modernes rivalisant de prouesses dans le domaine de l´esthétique. C´est un phénomène relativement récent. A cet égard, trois exemples me viennent en tête (mais il y en a d´autres): Budapest avec l’auditorium du Palais des Arts (Müpa), Paris avec la nouvelle salle de la Philharmonie et Moscou avec son Concert Hall Zaradye. Des salles où le matériau adopté est le bois (tout à la fois esthétique et idéal pour l´acoustique). Ces deux dernières (Paris, Moscou) récemment ouvertes au public et présentant une certaine ressemblance. Et offrant par rapport à l´auditorium de Budapest (légèrement plus ancien) l´avantage de travées disposées tout autour de l´orchestre, placé au centre. Ici encore, il faut saluer une nouvelle tendance, bienvenue. Encore que la Philharmonie de Berlin, plus ancienne (1987), proposait déjà un public placé autour de l´orchestre. Une première à l´époque, dont l´architecte, Scharoun, s´était expliqué : „Atténuer la distinction entre les musiciens et les spectateurs ; ils ne constituent plus qu'une communauté de mélomanes, concentrés sur la musique, mise au centre de l'espace.” Pour rester à Berlin, nous citerons encore l´auditorium Pierre Boulez, réservé aux récitals de piano ou petits ensembles réduits (trios, quatuors) avec un public disposé en cercle autour du soliste ou des instrumentistes, mais pour le coup à proximité immédiate, ce qui favorise la communion entre les deux Et probablement aussi le jeu du soliste (ou instrumentistes). A citer encore, la Philharmonie de Cologne avec sa belle salle disposée en large demi-cercle autour de la scène (un peu à la façon des théâtres antiques). Des salles qui relèguent désormais au second plan des auditoriums plus anciens, telle notre salle Pleyel, apparemment dépassée.
Voilà qui est bien beau, mais l´acoustique dans tout cela ? Pour les deux salles que nous connaissons (Budapest et Paris) : une acoustique irréprochable. Voire (Budapest) avec des panneaux mobiles permettant d´adapter le son au type de concert ou récital donné. Bien que ne nous nous y étant pas rendus, le même écho nous a été donné de la salle de Moscou. Il est un fait qu´avec le développement des techniques et des matériaux, et l´apport de l´informatique, un progrès sensible a été accompli ces dernières années. Et, bien sûr, le savoir-faire des concepteurs (architectes et leur entourage). Des architectes souvent eux-mêmes mélomanes qui n´en mettent que plus de cœur – et de compétences – au service de leur tâche (4).
Conclusion ? Désormais, le mélomane dispose d´une offre de plus en plus riche de salles modernes et spacieuses offrant au public des conditions optimales d´écoute, de confort et de visibilité. Et ce un peu partout, de Paris à l´Arsenal de Metz, de Budapest au magnifique auditorium de Pécs. Néanmoins, il n´en faut pas pour autant négliger nos salles traditionnelles. L´un n´empêche pas l´autre, Tout dépend du programme proposé et de l´ambiance recherchée. C´est ainsi que, résident à Budapest, j´irais bien volontiers écouter Brahms au Palais des Arts, mais je préfèrerais me rendre à l´Académie de Musique pour une symphonie de Haydn. De même, de passage à Paris, je suivrais bien un concert Berlioz dans la grande salle de la Philharmonie, mais filerais ensuite au Théâtre des Champs Élysées – ou à Gaveau - pour un récital de piano ou de chant, ou encore écouter un quatuor. Notre chance est, ici et là-bas, d´avoir le choix. Sachons donc en profiter et ne ménageons pas notre plaisir. A fortiori sur des places où l´offre musicale – qualité et diversité des formations – est particulièrement riche.
Encore une fois, ne boudons pas notre plaisir et sachons y goûter à pleines dents… ou plutôt à pleines oreilles…
Pierre Waline
(1): telle Grenoble déclarée „ville la plus verte d´Europe” (!?) ou encore „Budapest offrant le plus beau marché de Noël d´Europe”. Allons donc !
(2): certaines couplant une grande salle traditionnelle „à l´italienne” avec un théâtre baroque. Telle Prague avec son Théâtre national (qui rappelle un peu Garnier) et son merveilleux Thèâtre des Etats. Ou encore Munich avec son grand opéra traditionnel (Bayerisches Statsoper) et le fameux Théâtre Cuvilliés.
(3) également réputée, la salle du Concertgebouw d´Amsterdam. Mais pourquoi, diantre, avoir planté ce long escalier au beau milieu de la scène pour accéder à la coulisse ? Marches que chef et solistes doivent gravir (au pas de course) et redévaler à chaque rappel. Je ne les envie pas !
(4) Tel l´architecte hongrois Gábor Zoboki, concepteur du Palais des Arts de Budapest récemment entendu sur les ondes. Un entretien particulièrement intéressant qui a révélé de profondes connaissances en matière de musique de sa part. Nous offrant entre autres une comparaison originale entre son auditorium et la salle voulue par Wagner à Bayreuth (conceptions – accueil des visiteurs, emplacement de l´orchestre – et acoustiques diamétralement opposées).
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