A l´affiche de l´Opéra, deux œuvres inédites „Le Roi Étienne” et „Les ruines d´Athènes” de Beethoven
C´est pour célébrer l´ouverture du Théâtre allemand de Pesth en 1812 que Beethoven composa ces deux pièces. Le théâtre, un cadeau de l´empereur François 1er aux Hongrois pour tempérer leur nationalisme naissant. Œuvres que Beethoven dédia bien volontiers à ses amis Magyars qu´il affectionnait particulièrement (1). Pratiquement jamais données, mis à part l´ouverture du Roi Etienne et la célèbre Marche (2) des Ruines d´Athènes.
Si Beethoven put se féliciter du „très grand effet produit à Vienne par l´ouverture du Roi Etienne” (1819), il n´était guère pleinement satisfait de ces œuvres, du moins des „Ruines d´Athènes” dont il envisageait de revoir le livret. Un livret, il est vrai, médiocre, dû à la plume du poète Kotzebue. Une œuvre revue un siècle plus tard par Hugo von Hofmannstahl pour le texte et Richard Strauss pour la partition. Aujourd´hui donnée pour la première fois en Hongrie depuis sa création. Une particularité : direction musicale et mise-en-scène étaient assurées par deux frères (Péter et Pál Oberfrank), donc a priori de connivence. Représentation donnée dans le petit amphithéâtre de l´Atelier Eiffel. Un avantage : la proximité du public avec l´orchestre et les acteurs.
Deux œuvres dans lesquelles le metteur-en-scène a tenu à souligner les symboles forts qu´elles représentent aujourd´hui. En en faisant une sorte d´hymnes aux valeurs initiées par le fondateur du royaume, symbolisées par la couronne (véritable objet de culte) et la défense de nos valeurs et traditions culturelles, représentées ici par le monde hellénique en prise avec l´occupant turc.
Alors ?
„Le Roi Etienne”, tout d´abord. Au-delà de l´hommage que Pál Oberfrank a voulu rendre au fondateur du royaume chrétien, c´est ici le destin du peuple magyar que le metteur-en-scène a voulu retracer. Une heureuse trouvaille, pour commencer : tout au long de l´ouverture défilaient sur un écran des scènes représentant l´arrivée des tribus magyares dans le bassin des Carpathes, menées par leur chef Árpád, jusqu´à nos jours en passant par le baptême du prince Géza, père d´Etienne. Suivait, au lever du rideau, la citation de merveilleux vers écrits par le poète et écrivain Kosztolányi sur l´événement (installation des Hongrois dans leur nouvelle patrie). Mais ensuite…. Le metteur-en-scène, pour compléter le texte original de Kotzebue, a jugé bon d´exhumer une pièce écrite sur le sujet voici près d´un siècle (1934) par le Hongrois Sándor Sík. Tragédie dont on dit le plus grand bien, mais dont nous ont été ici imposés de longs passages. (A quoi s´ajoutaient des citations d´un autre écrivain, Mihály Babits.) Notamment un interminable dialogue entre Etienne et son rival païen Vazul. De sorte qu´à la longue, nous avions presque l´impression d´assister à une représentation théâtrale sur fond musical. Ce qui ne nous permettait pas d´apprécier pleinement la partition. Seuls les chœurs étaient là pour sauver la donne (l´œuvre ne fait pas appel à des solistes). Des chœurs malgré tout un peu „criards”, de même que le ton déclamatoire des acteurs (le metteur-en-scène dans le rôle d´Etienne, son épouse Gisèle et son rival Vazul) m´a paru par moments quelque peu forcé. Beaux costumes et beau fond de décor, par contre, avec projection de vues sans cesse changeantes en toile de fond. (Une légère réserve : le tempo rapide adopté dans l´exécution de l´ouverture.)
Tout autre fut la représentation des „Ruines d´Athènes”. Une réussite. Tout d´abord infiniment plus animée et mettant parfaitement en valeur la partition. Avec l´intervention, outre les chœurs, de trois solistes (soprane, basse, baryton) au demeurant excellents. Et de danseurs dans une chorégraphie particulièrement inspirée (Marianna Venekei). Seule réserve : cette projection en toile de fond, de scènes violentes affublées d´un bruitage dont on se serait bien passé. Une œuvre qui, débutant dans la consternation (du peuple grec opprimé), s´achève dans l´allégresse symbolisée par le retour à la lumière, rendu avec éclat dans la partition (4). Final que chœur et orchestre, sous la baguette vive du chef, ont fort bien rendu.
Certes, il convenait de rajeunir et mettre au goût du jour des pièces vieilles de deux cents ans, mais de là à dépasser les intentions de leur auteur („Roi Etienne”), le pas a été vite franchi. Ceci dit, probablement le public hongrois, plus directement concerné, aura-t´il mieux su apprécier.
Quoi qu´il en soit, reconnaissons aux organisateurs le mérite - et le courage - d´avoir ressorti de l´ombre des œuvres pratiquement jamais jouées (et que nous n´aurons probablement plus l´occasion de revoir un jour… ). Ce qui mérite bien un mot de reconnaissance.
Pierre Waline
Crédit photographique : Péter Rákossy
(1): bien que la dédicace des Ruines d´Athènes s´adressât - allez savoir pourquoi - au roi de Prusse.
(2): marche que l´on trouvait déjà dans une série de variations (op. 76) écrites en 1808.
(3): un échange qui résume tout: Vazul à Etienne: ”En adoptant la chrétienté, tu as perdu ton caractère hongrois”. Réplique de ce dernier. „Au contraire, les deux ne font qu´un.”
(4): à signaler au passage une marche que l´on retrouve dans Fidelio. Fidelio dont le dénouement heureux évoquant la victoire du bien sur le mal (thème cher au compositeur) n´est pas sans présenter une analogie.
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