Iván Fischer et ses musiciens : c´est reparti pour un tour...
Décidément, nos amis toulousains sont gâtés, ces temps-ci. Ne serait-ce que parce qu´ils habitent une bien belle ville. Mais aussi parce qu´ils sont particulièrement servis, du moins pour ceux qui apprécient la musique, disposant, avec l´Orchestre du Capitole, de l´une de nos meilleures formations. Orchestre qu´est récemment venue diriger la cheffe italienne Speranza Scapucci pour une série de représentations de Cosí fan tutte qui resteront dans les annales. La cheffe italienne à peine repartie, c´est Iván Fischer et son Orchestre du Festival qui prirent aussitôt le relais. Pour offrir au public toulousain un concert dont on se souviendra. Au progamme : Simple symphony de Benjamin Britten, suivie du 2ème concerto de Liszt avec Alexandre Kantorow au piano (entre autres lauréat du concours Tchaïkowski). Et, pour clore la soirée, la 4ème symphonie de Beethoven. Soirée donnée à guichets fermés devant 900 personnes (dans une salle en contenant plus de 2000, mais en nombre volontairement limité en raison de la pandémie). Concert suivi d ´une véritable ovation.
Et voilà qu´à peine rangés dans leurs étuis baguette et instruments, le chef et ses musiciens devaient reprendre l´avion, cette fois pour Vicenza, en Italie. Pour y participer comme chaque année (1) au Festival d´Opéra qui se tient dans le merveilleux décor Renaissance du Teatro Olimpico. Deux soirées au programme. Le 25 (surlendemain du concert de Toulouse…) la 104ème symphonie „Londres” de Haydn et des extraits d´Ariane à Naxos de Richard Strauss. Avec la soprane finlandaise Camilla Nylund et le ténor américain Aj Glieckert dans les deux rôles principaux, secondés par la soprane allemande Samantha Gaul, la soprane autrichienne Mirella Hagen et la mezzo hollandaise Olivia Vermeulen (connue du public parisien). Le lendemain : la symphonie Pastorale de Beethoven suivie du Chant de la Terre de Mahler avec la mezzo autrichienne Elisabeth Kulman et le ténor anglais Toby Spence. Légère déconvenue : si la première soirée fut donnée en public, la seconde, en raison des mesures prises entre temps par les autorités locales, se tint sans public. Mais toutes deux retransmises en direct sur les réseaux. (2)
Parmi les qualités que l´on attend d´un chef figure celle de savoir se faire entourer. Tel fut le cas, du moins lors de la première soirée (R. Strauss), avec une équipe internationale parfaitement rodée. Petite déception, par contre, le ténor anglais Toby Spence le lendemain dans Mahler. Une voix qui m´a paru quelque peu étriquée, souvent couverte par l´orchestre. Ce qui est probablement à mettre en partie au compte de la prise de son et de l´acoustique. Par ailleurs, un chanteur présentant apparemment quelques difficultés dans les aigus. Meilleure nous a semblé sa partenaire, la mezzo autrichienne Elisabeth Kulman, encore que nous aurions aimé la voir plus expressive et lui trouvant une voix par trop fine, plutôt proche de la soprano que de la mezzo. Mais ici encore, la prise de son ne la favorisait pas. Quant à l´Orchestre, nous en avons déjà dit le plus grand bien, aussi serait-il superflu de nous répéter ici. Sinon pour constater que les musiciens de Fischer se montrent tout aussi à l´aise dans la musique de Haydn que dans celle de Mahler. Le temps fort de ces deux soirées ayant été incontestablement constitué par une interprétation magistrale de la Pastorale. Avec notamment une mise en avant de la flûte et des clarinettes (placées à l´avant de l´orchestre). Ce qui conférait à l´ensemble une richesse et variété de couleurs mettant agréablement en relief le côté „champêtre” de l´œuvre. Le tout servi par une direction sobre, voire rigoureuse, d´une grande précision. Visiblement, les musiciens de Fischer avaient mis leur point d´honneur à y donner, ce soir plus que jamais, le meilleur d´eux-mêmes. Mais quelle tristesse de les voir jouer ainsi masqués et privés de ces applaudissements qu´ils auraient tant mérités ! (Un petit coup de chapeau au passage aux cameramen qui nous ont offert ce soir des prises de vues magnifiques, alternant judicieusement gros plans et vues générales de la scène avec son merveilleux décor.)
Et ensuite ? Tout d´abord la reprise des concerts „at home” avec un programme bien fourni. A commencer par la série „concertino”, concerts du soir basés sur le thème de la sérénade et du nocturne, avec un petit clin d´œil en direction du jazz (Jacques Loussier): les 7 et 8 novembre à l´Institut italien, les deux jours suivants en province. Pour retrouver ensuite le cadre habituel du Palais des Arts (Müpa) avec une série de trois concerts consacrés à Enescu, Stravinsky et Prokofiev avec la violoniste norvégienne Vilde Frang en soliste (récompensée par de nombreux prix, entre autre partenaire de Gidon Kremer, Martha Argerich, Anne-Sophie Mutter et des frères Capuçon). Sans oublier une matinée dominicale de musique de chambre à l´attention des familles, les „concerts goûter” (kakaó koncert) pour enfants et une rencontre avec les jeunes lors d´un „Midnight concert” (pour peu qu´un couvre-feu ne soit pas institué d´ici-là…). Et, bien sûr, une reprise des concerts gratuits dans les églises, temples et synagogues.
Désormais non seulement reconnus comme figurant parmi les meilleurs chefs et orchestres du monde, Fischer et ses musiciens offrent de plus une ouverture d´esprit et un côté humain bien sympathiques. En témoigne le choix récent par le chef hongrois de se faire assister par une jeune fille de 25 ans : Katharina Wincor, Amércaine venue tout droit de Dallas où elle occupait le même poste. D´emblée adoptée par les membres de l´orchestre. A signaler enfin la récente attribution à Iván Fischer du titre de „chef invité d´honneur” du Concertgebouw d´Amsterdam. Une formation avec laquelle il se produit régulièrement depuis longtemps déjà (3). Ceci „en reconnaissance d´une coopération vieille de trente ans”. (A noter que, depuis Bernard Haitink, la formation d´Amsterdam ne dispose pas de chef permanent.)
Bref… Après une longue trêve imposée par la pandémie,(4) Iván Fischer et ses musiciens entament cette saison par un retour en force, et ce pour notre plus grand plaisir. Encore faudrait-il que la propagation du virus – qui fait actuellement rage en Hongrie – ne vienne pas, une fois de plus, compromettre nos attentes. Touchons du bois !
Pierre Waline
(1): participation annulée l´année dernière en raison de la pandémie.
(2): également annulée en raison de la pandémie, une tournée qui était prévue en Suisse.
(3): l´Orchestre du Concertgebouw avec lequel Iván Fichser nous a laissé un fort bel enregistrement des symphonies de Beethoven (disponible en DVD).
(4): Pause durant laquelle les musiciens ne restèrent pas inactifs, nous offrant via internet une série de 77 concerts en petites formations.
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