Hongrie : une ville qui vaut bien une messe…
Benedek Istvánffy, messe de Sainte Dorothée en la Basilique de Győr (1)
Győr {pron. „Dieure”} ou Raab en allemand, sixième ville de Hongrie (130 000 habitants) située en amont de Budapest sur la route de Vienne, est surtout connue et appréciée pour ses monuments baroques. A son nom se rattache celui d’un musicien hongrois, le plus en vue - probablement le seul - de son époque (XVIIIe siècle), pratiquement tombé dans l’oubli de nos jours : Benedek Istvánffy. (2)
Né en l’abbaye bénédictine de Pannonhalma, Benedek Istvánffy (1733-1778), issu d’une famille de musiciens, consacra une grande partie de sa vie au service des évêques de Győr, avec un passage à la cour des comtes Széchenyi. De son abondante production, on retiendra principalement des œuvres d’inspiration religieuse, dont la messe dite „de Sainte Dorothée” composée en 1774, donnée ce soir (1). On situe généralement son style à la frontière entre le baroque finissant et les prémices du classicisme.
Donnée en la Basilique Notre Dame de Győr (là même où elle fut créée), la Messe de Sainte Dorothée se compose des six parties traditionnelles du rite catholique (kyrie, gloria, credo, sanctus, benedictus, agnus dei). Donnée ce soir par le Chœur philharmonique de Vienne et l’Orchestre Philharmonique de Győr avec en solistes Klára Kolonits et Vanja Kugler-Trajkovic, sopranes, Zsófia Kálnay, alto, Artúr Szelecki, ténor et Lóránt Najbauer, baryton, le tout placé sous la baguette de Martin Rajna.
D’emblée, avec l’entrée du Kyrie, nous ne pouvons-nous empêcher de penser à la messe du Couronnement que Mozart allait composer cinq années plus tard. Même introduction majestueuse, mais sans emphase. Ici servie par un chœur bien en place. Dans le Gloria qui suivait, on retiendra le solo de la mezzo-soprano (alto ?). Avec ici, contrairement à la suite, une très légère réserve. Un air bien servi, certes, mais avec un timbre qui nous a un peu laissé sur notre faim (3). Tout autre allait être le climat du Credo, pièce maîtresse de l’œuvre, qui débute sur une longue introduction à l’orgue. Avec en son centre un fort beau duo des sopranes, merveilleusement chanté. A signaler, bien sûr, le fameux „Et resurrexit” servi avec tout l’éclat que requiert ce passage. Passant directement à l’Agnus Dei, je retiendrai sa délicieuse introduction à l’orgue suivie d’un long duo confié aux voix masculines, trouvaille inédite, rejoints par le chœur et les autres solistes. Mais c’est surtout la conclusion qu’il faut peut-être retenir, longue et admirable fugue très élaborée sur un „Amen” qui conclut la messe en beauté.
Que dire ? Si je ne sais rien des autres productions du compositeur, je dois reconnaître qu’il nous a laissé ici une œuvre maîtresse qui, si elle ne saurait rivaliser avec les messes d’un Haydn (son contemporain) données à la même époque, elle vaut largement, voire dépasse peut-être celles produites par son frère Michael, pourtant mieux servies par la postérité.
Avant de conclure, je signalerai au passage le rôle joué par l’orgue tout au long de l’œuvre, pratiquement traité en soliste. Une particularité que l’on ne retrouve guère – du moins à ce point - dans les autres œuvres du répertoire. D’autant bienvenue que l’instrument offrait des sonorités claires, sonnant agréablement, sans toutefois écraser le reste.
Une fois de plus, nos amis hongrois ont ressorti des archives une œuvre pratiquement méconnue, de plus partie prenante de leur patrimoine national. Une découverte qui, je l’avoue, m’a pleinement séduit, raison pour laquelle j’ai jugé utile d’en rendre compte ici, même si on ne peut la classer au rang des œuvres majeures du répertoire. Une belle soirée, donc.
Pierre Waline
(1) : concert retransmis en différé.
(2) : également connue pour avoir été en 1809 le siège d’une bataille remportée par les troupes de Napoléon.
(3) : artiste pourtant réputée, Zsófia Kálnay se produit régulièrement sur la scène de l’Opéra, notamment dans la Tétralogie donnée chaque année par le chef Ádám Fischer