En première sur la scène de Budapest: „Scylla et Glaucus” de Jean-Marie Leclair
Pour les mélomanes qui connaissent son nom, Jean-Marie Leclair (1697-1764) était avant tout un violoniste virtuose qui nous a laissé pour cet instrument nombre de sonates, trios et concertos (1). Bien peu, par contre, savent que nous lui devons également un opéra : „Scylla et Glaucus”, tragédie lyrique en cinq actes. La première représentation fut donnée en octobre 1746 à l´Académie royale de Musique, suivie de dix-sept reprises, puis à Lyon quatre années plus tard. Considéré par d’aucuns comme un chef d’œuvre, le drame de Leclair révèle l´influence de Rameau („Hippolyte et Aricie” composé quinze ans plus tôt). Le musicologue Curhbert Girdlestone va jusqu´à y voir „avec ceux de Rameau et de Gluck, probablement le meilleur opéra français du siècle”. D’autres soulignant chez lui „la grande richesse de son invention mélodique et la merveilleuse habileté du contrepoint” (R. de Candé). Il fallut attendre les années quatre-vingts pour le voir recréé à Londres par John Eliott Gardiner (2).
Le livret est dû à un certain Aldabert sur une intrigue tirée des Métamorphoses d’Ovide. En deux mots : nous sommes en Sicile. La fière Scylla reste indifférente aux tentations de l’Amour (incarné par le fils de Vénus), aussi repousse-t‘elle les avances de Glaucus, épris d’elle. Pour la séduire, ce dernier fait appel à l’enchanteresse Circé. Mais voilà que Circé tombe amoureuse de Glaucus qui la repousse, toujours épris de Scylla. Menaçant de s’en prendre à la belle s’il ne la rejoint pas, Circé le contraint, par chantage, à la suivre. Mais ce dernier demeure toujours épris de Scylla qu’il finit par rejoindre au milieu de la fête. Circé jure vengeance. Au moment où leur union peut être enfin scellée, Scylla se penche sur une source empoisonnée par Circé pour se voir transformée en rocher entouré de monstres qui, désormais, sèmera la terreur. Une intrigue difficile à faire passer de nos jours, mais qui, à l’époque, répondait au goût du jour. Offrant malgré tout, avec son alternance de scènes contrastées, prétexte à servir une partition inspirée. Tel fut le cas, nous dit-on. A voir...
Pour servir l’œuvre : le chef hongrois György Vashegyi, son orchestre Orfeo (jouant sur instruments d´époque) et le chœur Purcell, accompagnant une troupe de solistes internationale. Dans les rôles principaux, la soprane néerlandaise Judith van Wanroij en Scylla, le jeune ténor français Cyrille Dubois en Glaucus, Véronique Gens incarnant Circé.
Alors ? Une fois de plus, György Vashegyi, toujours à l’affût d´opéras inédits de notre répertoire, aura su nous séduire.
Tout d´abord un mot sur l’œuvre. Influence de Rameau, avons-nous dit ? Certes, mais aussi du Sud et de l’Italie où le compositeur avait séjourné. Un compromis heureux entre les deux styles, ce qui confère à l’œuvre tout son charme et son originalité. Originale par son orchestration hautement colorée, faisant intervenir musette et tambourin et laissant la part belle aux flûtes dans une suite de danses pastorales et autres passacailles, on ne peut plus charmantes. Mais également contrastée avec ces scènes d’orage - assez impressionnantes - qui viennent de temps à autre interrompre la fête ou encore ces solennités, hymnes aux divinités (tambour et trompette). Une partition riche et variée où le chœur est quasiment omniprésent. Riche par son invention mélodique, agréable à l’écoute. Seul léger passage à vide : le long monologue de Circé au deuxième acte. Un temps fort : l´imploration par Circé des puissances démoniaques de l’enfer (chœur) pour l’aider à assouvir son besoin de vengeance (quatrième acte). Le critique C. Girdlestone (cité plus haut) avait raison d´évoquer Gluck et Rameau.
Le tout servi par un orchestre coloré, aux timbres séduisants, notamment dans le rang des flûtes (les cordes se bornant davantage à un rôle de soutien). Mais aussi et surtout le chœur, principal protagoniste, offrant ici encore une parfaite diction (en français).
Et les solistes ? Je mentionnerai tout d’abord les „seconds rôles” (en partie issus du chœur) absolument parfaits. Quant aux trois principaux protagonistes, je donnerais sans hésiter la palme au ténor Cyrille Dubois en Glaucus, visiblement rodé à ce répertoire, au timbre pur, aux justes intonations. Sans oublier – ce qui ne surprendra pas – Véronique Gens en redoutable - mais amoureuse - Circé à la voix puissante, mais si belle et si juste. Légèrement en retrait, Scylla, chantée par une J. van Wanroij qui m’a semblé par moments un tantinet à la peine dans les aigus.
Seule petite déception : pour cette soirée, donnée entre autres avec le concours du Centre de Musique baroque de Versailles et de l’Institut français, le public était clairsemé (3). Mais enthousiaste. (Un public, il est vrai, a priori favorable, pour avoir pris la peine de se déplacer.) Nous ne pouvons qu’en être plus reconnaissants au chef Vashegyi d’avoir eu le courage de ressortir cette partition (qu’il va enregistrer) et de nous avoir ainsi fait découvrir cet opéra méconnu qui en valait largement la peine.
En attendant la suite…
Pierre Waline
(1): violoniste réputé au-delà des frontières, Jean-Marie Leclair avait débuté comme jeune danseur. Il mourut à Paris assassiné dans des circonstances non élucidées.
(2): Recréation suivie d’un enregistrement à l’Opéra royal de Versailles avec, dans les rôles titre, le ténor suédois Anders Dahlin et la soprane hongroise Emőke Baráth (collection Alpha ).
(3): retransmise, il est vrai, sur les ondes et les réseaux sociaux (sites de l´orchestre et de la salle, Académie de Musique).
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