Concerts : Renaud Capuçon de retour sur la scène de Budapest (Schumann, Dvořák)
Il est inutile de le présenter, tant sa réputation n’est plus à faire. A la tête de deux festivals prestigieux (Sommets musicaux de Gstaad, Festival de Pâques d’Aix-en-Provence), Renaud Capuçon figure sans conteste parmi les violonistes les plus en vue de notre temps. Jouant sur un violon Guarneri qui appartint jadis à Isaac Stern, Renaud Capuçon sait tirer de son instrument des sons particuliers dont il a le secret. Violoniste, mais également chef. Tel est le double rôle qu’il a tenu lors d’un concert donné récemment à Budapest à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio hongroise dans le concerto de Schumann et la Huitième symphonie de Dvořák. Le cadre : l’Académie de Musique (Zeneakadémia). Un habitué, bien connu du public hongrois devant lequel il s’est déjà produit à plusieurs reprises par le passé.
Composé en1853, trois ans avant sa mort, le concerto pour violon de Schumamn ne fut pas édité de son vivant et il fallut attendre 1937 pour le voir enfin créé. La raison : l’extrême difficulté qui lui était reprochée, tel le célèbre Joachim, dédicataire de l’œuvre, qui se refusa de le jouer. Difficulté résidant notamment dans son dernier mouvement en forme de polonaise. Une œuvre tardive qui se démarque par son style des œuvres précédentes. Écrite trente années plus tard, la Huitième symphonie de Dvořák eut un sort plus heureux, favorablement accueillie lors de sa création en février 1890 à Prague. Composée lors d’un séjour à la campagne, la symphonie en sol majeur (tonalité peu courante) est proche des inspirations populaires et, à l’opposé du concerto, „témoigne pour l’essentiel d’une atmosphère allégée et rassérénante” (Wikipéda).
Alors ?
Lors d’une interview donnée la veille du concert, Renaud Capuçon avouait sa prédilection pour le concerto de Schumann dont il se dit littéralement tombé amoureux. Une œuvre qui fut pourtant longtemps passée sous silence en raison, outre sa difficulté d’interprétation, de son climat reflétant la dépression dont souffrait alors le compositeur. Raison pour laquelle son épouse Clara le mit de côté après le décès de son mari. Mais précisément, nous dit Renaud Capuçon, pour cette profonde humanité qui en émane, notamment dans le second mouvement, pour lui l’un des plus beaux jamais composés. Amoureux ? Cela se voyait … et s’entendait ! Un violon aux tonalités chaudes, joué tout en finesse, sans brusquerie, presque en douceur, malgré les difficultés de la partition. On reconnaît ici tout l’art du violoniste sachant admirablement mettre en valeur les qualités de son instrument. Et un orchestre au diapason, il faut dire, fort bien dirigé. Avec une mention particulière pour le rang des cuivres et des bois sonnant de façon éclatante. Une œuvre curieuse que ce concerto. Débutant de façon spectaculaire (roulement de timbales, orchestre à l’unisson), dans un ton tout à la fois dramatique et majestueux. Un mouvement tout en tension qui débouchera sur une partie centrale contrastant par son calme, le violon jouant pratiquement en solo accompagné par les seules cordes en sourdine, sorte de complainte. Pour s’achever sur un rythme de danse (polonaise) syncopée. Une œuvre qui nous a d’emblée séduit. Originale, impossible à classer, où l’on retrouve malgré tout par endroits le Schumann des grands moments. Nous ne pouvons que partager le penchant que nous avouait Renaud Capuçon, notamment dans son second mouvement qui ne laisse pas l’auditeur insensible. En bis, Renaud Capuçon nous a servi une étude de Richard Strauss intitulée Daphné, sorte de romance, ici encore, jouée toute en douceur.
Si elle ne jouit pas de la popularité de sa cadette, la Neuvième (Nouveau Monde), la Huitième symphonie de Dvořák recèle néanmoins plus d’un thème propre à séduire l’auditeur. Une œuvre empreinte d’un profond lyrisme, sorte de „symphonie pastorale” teintée de connotations évoquant le monde slave (Tchaïkovsky n’est pas loin). Passant sans cesse du fortissimo au pianissimo, ce que le chef, suivi à la lettre par ses musiciens, a fort bien rendu. Ici encore, nous devons une mention particulière aux bois et aux cuivres (notamment la flûte à laquelle est souvent confié le chant). Un Renaud Capuçon que nous découvrions ce soir au pupitre, Agréable surprise. Gestes à la fois amples et précis, se donnant pleinement et débordant d’énergie. Visiblement – comme pour le concerto – inspiré par l’œuvre qui lui était confiée. Il faut dire qu’il a été à la bonne école, de Claudio Abbado à Daniel Barenboim en passant par Pierre Boulez ou encore Seiji Ozawa.
Soirée qui fut à double titre une découverte, tant par les œuvres inscrites au programme que par la prestation de Renaud Capuçon. Nous ne saurions terminer sans tirer notre chapeau pour la prestation de l’orchestre, qui figure désormais parmi les trois grandes formations de la capitale (1). Inutile de le préciser : ovations et nombreux rappels.
Prochain rendez-vous mi-janvier au Palais des Arts (Müpa). (2)
Pierre Waline
(1) : aux côtés de l’Orchestre du Festival de Fischer et du Concerto Budapest d’András Keller
(2) : dans le concerto de Mendelssohn, accompagné par l’Orchestre du Festival sous la direction d’Iván Fischer