Concert donné à la mémoire des défunts. (Barber, Cherubini) (1)
Au programme : Adagio de Samuel Barber, Requiem en ré de Cherubini. Orchestre symphonique de la MÁV, Chœur National d’Hommes (ancien Chœur de l’Arrnée). Direction Róbert Farkas.
Connu pour son célèbre adagio, le compositeur américain Samuel Barber (1910-1981) nous a laissé bien d’autres œuvre s, tel son opéra „Antoine et Cléopatre” créé à New York en 1966. Le fameux adagio est tiré d’un mouvement de quatuor à cordes op.11. C’est sur la recommandation de Toscanini - qui créa l’œuvre en 1938 - qu’il fut élargi à un ensemble pour cordes. Sa tonalité en Si mineur correspond généralement à une tonalité de deuil. C’est ainsi qu’il fut donné à Londres aux obsèques d’Albert Einstein ou encore pour la cérémonie funèbre donnée à la mémoire des victimes de l’attentat du 11 septembre. Parfois comparé à l’adagietto de la 5e symphonie de Mahler, l’Adagio, qui débute sur un thème ascendant, offre une structure relativement complexe, présentant une mélodie souple soumise à des variations, „qui n’est pas sans évoquer les chants religieux du Moyen Âge. Son tempo lent contribue à conférer au tout une certaine élévation”. (Wikipédia)
Plutôt connu pour ses opéras (Médée, le Porteur d’eau… qui lui valut les louanges de Beethoven), Cherubini (1760-1842) composa également des œuvre s religieuses, ainsi que de la musique de chambre (quatuors). Dont deux Requiems. Un premier pour Chœur mixte donné en janvier 1817 en la Basilique Saint Denis pour une cérémonie commémorant la mort de Louis XVI (qui fut plus tard donné aux funérailles de Beethoven (2)). Par la suite, l’œuvre s’étant vue refusée par l’archevêque de Paris, car utilisant des voix de femmes, Cherubini s’attela à la composition d’un second Requiem, pour voix d'hommes : le Requiem en Ré mineur donné ce soir. Créé à la Société des concerts du Conservatoire en mars 1838, il fut repris deux ans plus tard pour la célébration du dixième anniversaire de la révolution de Juillet 1830. (Également repris à ses propres funérailles, comme il en avait exprimé le souhait.) L’œuvre offre le schéma traditionnel en sept parties (Introitus et Kyrie, Graduale, Dies Irae, Offertorium, Sanctus, Pie Jesu, Agnus Dei (3)). A la différence du Requiem en Ut, le Requiem en Ré se distingue par son ton martial, ainsi que par ses nombreux contrastes de timbres, de textures et de tempo. Une œuvre assez proche, en moins grandiose et plus austère, de la Grande Messe des Morts composée par Berlioz à la même époque (4).
Interprété par un nombre impressionnant de cordes (je n’ai pas compté...), l’Adagio, sous la baguette d’un chef aux gestes mesurés, sonnait néanmoins de façon claire, presque en douceur, ce qui répondait parfaitement au climat de recueillement qui émane de l’œuvre. Aucun pathos, mais bien plutôt une émotion discrète, retenue, ici bienvenue. De plus, des cordes parfaitement à l’unisson, qui sonnaient agréablement.
Suivait dans la foulée le Requiem de Cherubini. Une œuvre qui débute en douceur, dont les premières notes (Introitus-Kyrie) formaient comme une transition avec l’œuvre qui précédait. Certes, il allait en être autrement par la suite, avec ce Dies Irae impressionnant qui suivait. Impressionnant au meilleur sens du terme, mais non tonitruant, alternant les moments forts et les passages plus retenus. Ici, une mention spéciale revient aux choristes qui nous en ont offert ce soir une interprétation claire, bien articulée, se pliant avec une grande aisance aux transitions du forte au piano et inversement qui reviennent constamment. Pour la suite, que dire ? Un côté par moments spectaculaire auquel on fait souvent grief (cf le Sanctus). Néanmoins, ici encore, le chef et ses musiciens se sont efforcés d’en atténuer dans la mesure du possible l’effet par trop clinquant. Un Requiem entendu par divers interprètes avec plus ou moins de bonheur (5), mais c’est ce soir sans conteste l’une des meilleures versions de l’œuvre qu’il nous a été donné d’entendre.
Pierre Waline
(1): concert donné dans la salle de la Redoute (Pesti Vigadó)
(2): à propos du Requiem en Ut, Beethoven déclara:” Si je devais en écrire un moi-même, j’en emprunterais plusieurs passages”.
(3): contrairement à Verdi et Fauré, Cherubini omet le „Libera me„ et le „In Paradisium” qui ne font pas partie de la Messe stricto sensu.
(4): Berlioz qui, dix ans plus tôt, s’était vu grossièrement jeté à la porte du Conservatoire par notre même Cherubini…
(5): on retiendra entre autres la version dirigée par Riccardo Muti avec les Ambrosian Singers qui fait figure de référence.