Budapest : une interprétation de la Messe en Si qui fera date (1)
Qui ne s’est pas entendu poser la question de savoir quelle œuvre musicale il emporterait sur une île déserte ? Les réponses peuvent varier, mais sans nul doute figurerait en bonne place, aux côtés de la Neuvième de Beethoven ou de Don Juan, la Messe en Si de Bach.
Achevée en 1749, un an avant sa mort, des parties de la Messe en Si (Sanctus) furent déjà composées 25 ans plus tôt. Une œuvre qui accompagna le compositeur une grande partie de sa carrière (1685–1750). Au départ non conçue comme un tout homogène, mais par ajouts de parties successives reprises d’œuvres antérieures remaniées. On sait que Bach était de confession luthérienne, et pourtant, il nous offre ici un chef d’œuvre, probablement le plus accompli, du rite catholique.
Il serait vain de tenter d’analyser une œuvre dont les dimensions dépassent toute approche critique. Sachons qu’elle trouve son origine dans une missa brevis (messe protestante en deux parties) composée à l’occasion du décès du roi de Pologne Auguste II en soutien à une candidature (non retenue) au poste de Maître de Chapelle à la Cour de Dresde. Cour de confession catholique, ce qui explique son orientation progressive en direction du rite catholique. Encore que celle-ci fût contestée par certains, des écarts apparaissant par rapport à la messe traditionnelle en cinq parties (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei). Comme nous l’avons évoqué, la Messe en si mineur est essentiellement composée d’un assemblage de diverses pages puisées dans différents ouvrages antérieurs du compositeur et réécrites par la suite. Telle la cantate BWV 12 qui fournit la matière du Crucifixus, l’Hosanna étant repris de la cantate BWV 215, l’Agnus Dei provenant quant à lui de l’Oratorio de l’Ascension (BWV 11). Seul un tiers de l’œuvre consiste en compositions originales. La tonalité de si mineur vient de la première pièce (Kyrie eleison), les autres numéros étant, à l’exception du n° 26 (Agnus Dei en sol mineur), dans les tons voisins, particulièrement dans la gamme relative, c’est-à-dire ré majeur (13 sur les 27 numéros). Certains musicologues ont noté le côté œcuménique de l’ouvrage, catholique par sa forme et luthérienne dans son esprit. Le dédicataire initial (le prince électeur de Dresde, qui était catholique) peut en être une explication partielle, la cité abritant les deux confessions. Bach n’a jamais entendu la messe dans son intégralité, La création ne semble avoir eu lieu qu’en 1859 en Allemagne.
Une œuvre qui se signale par une alternance quasi constante entre chœurs et solistes. Les chœurs – accompagnés de trompettes et timbales – pour exprimer la joie (Et resurrexit), soit, au contraire, le recueillement (Et incarnatus). On soulignera également le parfait équilibre régnant au sein de chaque partie.
De nombreuses versions nous en ont été laissées, dont certaines faisant référence (K. Richter, N. Harnoncourt, M. Corboz, R. Jacobs). Néanmoins, la version entendue ce soir (retransmission d’un concert donné en janvier) nous semble confiner à la perfection. Tant par la prestation des solistes que par les interventions des chœurs (Purcell) soutenus par un orchestre (Orfeo, sur instruments anciens), tous bien en place, sous la direction inspirée du chef britannique Marcus Creed. Des chœurs et un ensemble fondé voici trente ans par le chef hongrois György Vashegyi, que nous avons déjà eu l’occasion de louer dans ces colonnes. Les solistes, une équipe internationale composée de la soprane britannique Rowan Pierce, de la mezzo autrichienne Margot Oitzinger, du contre-ténor anglais Alexander Chance, du ténor hongrois Zoltán Megyesi et de la basse hollandaise Peter Kooij, tous disposant des plus solides références.
Notre impression d’ensemble : un parfait équilibre servi par des voix idéales. Tel le contre-ténor qui, contrairement à ce qui est souvent le cas, chanta dans un registre modéré proche de la voix de soprane, en douceur, sans excès ou effets recherchés. Le tout marqué par une profonde religiosité, mais sans sacrifier pour autant la force expressive de l'ensemble.
Que dire de plus ? Sinon que nous a été offerte ici une interprétation idéale de ce chef d’œuvre égalant, voire dépassant les versions entendues jusqu’ici. Un regret, que ne nous en soit pas laissé un enregistrement.
Pierre Waline
(1): concert du 24 janvier retransmis début février.