Budapest : un opéra inédit en création hongroise (1)

Budapest : un opéra inédit en création hongroise (1)

Herculanum

„Herculanum” de Félicien David

Félicien David, un nom qui ne vous dira probablement pas grande chose. Et pourtant… Né en 1810 avec la génération des grands romantiques, ce compositeur eut un temps son heure de gloire. Personnage haut en couleurs, saint-simonien engagé, imprégné de culture orientale. Loué par ses contemporains, couvert d´honneurs, Félicien David nous a laissé de fort belles partitions, en partie inspirées de ses voyages en Orient, telle la cantate „Le Désert”, portée aux nues par Berlioz. De la musique de chambre et des opéras, dont „Lalla Roukh” qui eut à l´époque un grand retentissement. Autre œuvre lyrique qui remporta un vif succès, „Herculanum”, présenté à Paris en 1859, suivi de 74 représentations, presque un record pour l´époque. Dont la critique - entre autres Berlioz - fit le plus grand éloge. Tombé par la suite dans l´oubli, ce compositeur, ancien élève de Cherubini, commence peu à peu à refaire aujourd´hui surface. Tel cet opéra mis ce soir à l´affiche à Budapest. Une première, occasion à ne pas manquer (2).

L´action : se déroulant dans la Rome du premier siècle, intrigues amoureuses et rivalités sur fond de lutte entre les mondes chrétien et païen. La reine Olympia a jeté son dévolu sur le jeune chrétien Hélios, fiancé à Lilia, autre chrétienne. Ce dernier, envoûté, tombe sous le charme de la reine et la suit, tandis que, seule et abandonnée, Lilia subit les avances du proconsul Nicanor, frère de la reine, heureux de lui annoncer l´infidélité de son amant. Avances que la jeune fille repousse devant un Nicanor qui se fait de plus en plus menaçant. Alors que le peuple fête l´union de sa souveraine avec le jeune Hélios, surgit le prophète Magnus qui maudit le couple et annonce un prochain malheur, sous la risée de la foule. Tiré de son rêve et pris de remords, Hélios finit par rejoindre Lilia dont il implore le pardon, pardon qui lui sera accordé avec la bénédiction du ciel. De nouveau réunis dans la foi, les deux amants déclarent ne plus craindre la mort qui les attend. Alors que Nicanor se dévoile, cynique et triomphant, comme n´étant en réalité autre que l´incarnation du Mal (Satan), le tout se conclut dans le cataclysme provoqué par l´éruption du Vésuve, châtiment du ciel qu´avait annoncé le prophète. Une œuvre qui répondait au goût de l´époque, marquant la décadence du monde païen face à un christianisme triomphant.

Pour servir cette „création”, une équipe de chanteurs venue de France : la soprane Gabrielle Philiponet (Lilia), la mezzo-soprane Aude Extrémo (Olympia), le ténor Cyrille Dubois (Hélios) et le baryton Thomas Dolié (Nicanor/Satan) (3) auxquels s´était joint le baryton-basse américain Douglas Williams (Magnus). Accompagnés par l´orchestre de la Philharmonie nationale et le chœur national placés sous la direction de György Vashegyi.

Un opéra que Vashegyi situe à mi-chemin entre le Don Carlos de Verdi et le Faust de Gounod. Une œuvre qui les dépasse. Tant par sa tension dramatique qu´au plan musical. Une œuvre forte, puissante, mais où le compositeur nous sert tout en même temps une partition mélodieuse et bien rythmée, facile à suivre. Et offrant un parfait équilibre entre chœur, solistes et orchestre. Une partition riche en effets spectaculaires, mais sans jamais tomber dans la facilité ou la grandiloquence. Telle cette scène finale du premier acte nous décrivant les ricanements de la foule, faisant fi du danger qui la menace, tandis que la terre se met à trembler sous ses pieds. Parmi les passages retenus par la critique, nous citerons la romance d´Hélios suivie d´un charmant duo avec Lilia au premier acte, soutenu par un solo du hautbois („Dans une retraite profonde…”). Ou encore au premier acte, cet air à boire d´Olympia accompagné d´une polonaise au rythme entraînant. Mais bien d´autres, encore. Berlioz ne s´était pas trompé en décrivant l´opéra de David dans les termes les plus flatteurs (4).

Le tout admirablement servi par un ensemble parfaitement rodé, tant pour ce qui concerne les cinq solistes que le chœur et l´orchestre.  Avec peut-être une mention particulière pour le ténor Cyrille Dubois, incarnant un Hélios, personnage faible, mais combien émouvant. Et tous, en fin de compte. Tant par la voix que par le physique qui collait parfaitement aux personnages (une Olympia superbe et hautaine face à une Lilia toute en tendresse et un Nicanor diabolique à souhait).

Nous avons cité plus haut Berlioz et la critique. Force est de constater que le public, non plus, ne s´y est pas trompé ce soir, distribuant bravi et acclamations à l´envi et réclamant de nombreux rappels. Seul regret, celui de ne pas découvrir l´œuvre sur une scène d´opéra avec décors, costumes, mouvements de foule et ballets.

Enfin, un mot pour rendre une fois de plus hommage au chef György Vashegyi, par qui le public avait déjà pu découvrir et apprécier des œuvres inédites de notre répertoire baroque, qui aborde désormais le répertoire du grand opéra romantique français.  En attendant la suite (5).

Pierre Waline

(1): donné en version de concert au Palais des Arts (Müpa) en co-production avec le Centre de musique romantique française de Venise (Palazzetto Brun Zane).

(2): dernières représentations données dans les années 1870, reprises en 2014 au Théâtre de la Monnaie et à l´Opéra de Versailles.

(3): Victoire de la Musique 2008 (catégorie „artistes lyriques”).

(4): „Je pense que jamais jusqu´ici nous avait été offerte sur la scène une œuvre si remarquable” (Journal des Débats, mars 1859)

(5): prochaine révélation: „Les Abencérages” de Cherubini, le 9 mars prochain  Vashegyi qui avait même pris la peine de traduire lui-même le texte – au demeurant fort beau - en hongrois. 

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