Budapest : Theodora de Haendel sur la scène du Palais des Arts (Müpa), une (presque) première

Budapest : Theodora de Haendel sur la scène du Palais des Arts (Müpa), une (presque) première

Theodora

C´est en 1749, alors qu´il était âgé de 64 ans que Haendel écrivit Theodora, l´une de ses dernières œuvres chorales. Créé en mars 1750 au Théâtre royal de Covent Garden à Londres, ce fut un échec. Au point que seules quatre représentations en furent données de son vivant. Une œuvre qui se distingue de ses précédents oratorios (ou opéras) par son sujet non repris de la Bible, mais traitant des débuts de la chrétienté. L´argument est fondé sur la légende de la martyre chrétienne Theodora (Dorothée) victime des persécutions de l´Empire romain. Un échec qu´explique en partie l´argument et son caractère tragique, mais aussi la concurrence de son Messie qui connaissait alors un vif succès. Et pourtant, une pièce que d´aucuns considèrent comme le plus accompli de ses oratorios. A commencer par le compositeur lui-même qui le jugeait en certains passages (tel le chœur final du 2e acte) supérieur au Messie. Une œuvre qui dut attendre deux siècles pour se voir reconnue et donnée en concert. A Budapest en 2004 pour n´être reprise qu´aujourd´hui, soit dix-sept ans après sa première (1). Une occasion rare de le découvrir et de nous en faire par nous-même une idée. D´autant que servi ce soir par une formation de rêve : les sopranes Emőke Baráth et Katalin Szutrély(2) entourées de la mezzo Eszter Balogh, du ténor Zoltán Megyesi et de la basse Krisztián Cser. Accompagnés par l´orchestre Savaria (jouant sur instruments anciens) et le chœur Purcell, placés sous la baguette de György Vashegyi.

L´intrigue : nous sommes au ive siècle apr. J.-C. Valens, gouverneur romain d'Antioche (K. Cser), émet un décret en l'honneur de l'anniversaire de Dioclétien qui force tous les citoyens à offrir un sacrifice à Vénus, déesse de l'amour, et à Flora, déesse de la fertilité, sous peine de mort, et charge Septime (Z. Megyesi) de l'exécution du décret. Didyme (E. Balogh), un soldat secrètement converti au christianisme, demande que les citoyens dont la croyance les empêche de faire ces sacrifices soient épargnés de cette peine, ce que rejette Valens. Septime intervient à son tour en leur faveur, mais en vain. Théodora (E. Baráth), chrétienne de naissance noble et son amie Irène (K. Szutrély) refusent d´obtempérer et sont arrêtées (sur fond d´une fête romaine célébrant Vénus). Theodora se voit condamnée à servir comme prostituée dans le temple de Vénus. Septime permet à Didyme de rencontrer Théodora, qu´il aide à s´échapper en prenant sa place (échange de costumes). Prise de remords, Théodora décide de se sacrifier à la place de Didyme. L´œuvre s´achève sur la condamnation des deux amants, réunis dans un duo à leur immortalité.

Theodora

Une intrigue dont Haendel a su contourner les pièges, „ignorant les implications dévotes au profit d´un drame de conscience d´une spiritualité profonde” (P. Kaminski). Avec des temps forts, tel le contraste entre „la joyeuse et insolente fête à Vénus” (Kaminski) et la prostration de notre héroïne croupissant en prison (début du 2e acte).

Alors ? J´avoue qu´il est bien difficile de nous faire d´emblée un jugement, du moins tranché. Une œuvre à part, sans équivalent dans la production du maître allemand. Oratorio ? Opéra ? Pas vraiment. Ce qui la distingue des grands oratorios est le rejet de tout côté spectaculaire. Conçue dans un climat retenu, presque austère, empreinte de recueillement. Une suite d´airs. Pratiquement pas d´ensemble, mis à part le duo final. Un chœur aux interventions fort belles, mais relativement limitées. Un orchestre sans cuivres (mis à part une brève apparition au début) ni percussions. On retiendra, pour le chœur, son intervention à la fin du deuxième acte, citée en exemple par Haendel, qui débute doucement, telle une mélopée, pour s´achever dans la liesse. Mais surtout le chœur final qui sonnerait presque comme un choral de Bach, concluant l´œuvre en douceur, dans un climat de sérénité.  Une suite d´airs, mais quels airs ! D´une grande pureté mélodique, dépourvus de toute recherche de séduction, mais d´une grande expression. Un temps fort : le grand air de Theodora (alors emprisonnée) au 2e acte qui débute dans une longue lamentation pour s´achever comme dans un rêve sur une note teintée d´optimisme („Si j´avais des ailes, je m´élèverais jusqu´aux cieux”). Une œuvre de maturité épurée de tout effet superflu, mais d´autant plus forte. Ce qui, lors de sa création, a visiblement déconcerté le public londonien, habitué aux grands ensembles et grandes masses chorales.   

Le tout servi ce soir par des solistes irréprochables. Tous les cinq excellents, de sorte que nous ne saurions ici mettre aucun nom en avant, sinon, peut-être, pour privilégier les trois femmes (dans deux rôles féminins et un rôle masculin, le soldat Didyme). A signaler au passage une parfaite diction de la part des cinq (l´œuvre était chantée en anglais), ce qui laisse supposer un sérieux travail de préparation. Également irréprochable, le chœur, bien en place dans chacune de ses interventions (tantôt les païens, tantôt les chrétiens). Un orchestre également bien en place, sonnant de façon fort belle, mais somme toute limité à un rôle de soutien et d´accompagnement (3). Le tout servi sur un tempo plutôt lent, imprimant une certaine majesté à l´ensemble, mais qui eût toutefois gagné à un peu plus d´entrain dans certains passages. D´une façon générale, si ce fut une belle interprétation au plan purement musical, la soirée eût gagné en se voyant agrémentée d´une légère animation. Chaque chanteur, une fois son air terminé, se retirant sur le côté de la scène, voire dans les coulisses, en attendant l´intervention suivante. Il eût mieux valu les placer en permanence sur le devant de la scène en leur confiant une certaine mobilité. Par un petit „jeu de scène”, ne serait-ce que réduit, le spectacle eût sans nul doute gagné en intérêt. Mais ne faisons pas la fine bouche et reconnaissons au chef hongrois le mérite d´avoir, une fois de plus, révélé au public une œuvre pratiquement inconnue et jamais jouée. Pour notre plaisir, car ce fut en définitive une belle soirée.

Pierre Waline

 (1): outre Budapest, donné lors d´une tournée en province.

(2): Emőke Baráth, élue „artiste de la saison”. Entre autres louée par Philippe Jaroussky et Emmanuelle Haïm, avec qui elle se produit régulièrement en France. (Philippe Jaroussky avec qui elle se produira à Budapest en mars prochain dans un récital Haendel)

(3): l´ensemble Capella Savaria, qui fut le premier dans le pays à se produire sur instruments anciens, fête précisément son quarantième anniversaire.

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