Budapest, reprise d’un opéra inédit : Fra Diavolo de Daniel Auber

Budapest, reprise d’un opéra inédit : Fra Diavolo de Daniel Auber

Fra Diavolo

Créé à l’Opéra-comique (salle Ventadour) en janvier 1830, Fra Diavolo, ou L'hôtellerie de Terracine est un opéra-comique en trois actes de Daniel Esprit Auber sur un livret d’Eugène Scribe. Constituant l’un des opéras comiques les plus populaires du XIXe siècle (plus de 900 représentations, „l’œuvre la plus couronnée de succès dans son genre avant l’arrivée d’Offenbach”- Hugh MacDonald), il fut traduit dans de nombreuses langues. Il s’inspire, de façon romancée, d’un personnage ayant réellement existé : Michele Pezza, dit „Frère Diable” (Fra Diavolo) né à Itri en Italie et mort pendu le 11 novembre 1806 à Naples, qui fut l'un des chefs insurgés napolitains contre l'armée de Napoléon.

Inscrit au programme de l’Opéra de Budapest (Atelier Eiffel) pour trois représentations mises en scène par Miklós Szinetár. Szinetár (90 ans), personnalité parmi les plus en vue sur les plateaux hongrois, l’a déjà mis en scène à cinq reprises, de Gênes à Budapest, au cours de ces soixante dernières années. Partant, une œuvre qu’il connaît bien et affectionne. „Une musique plaisante, flattant l’oreille et une intrigue mettant idéalement en valeur l’art des interprètes... Bref, en un mot, du (vrai) théâtre...”

L’intrigue, tout d’abord. L’action se déroule dans la région de Naples. Le cadre : une auberge de campagne. Alors que Zerlina, la fille de l’aubergiste (Matteo) est amoureuse de Lorenzo, chef des carabiniers (à la recherche du bandit Fra Diavolo), son père la destine à un parti plus riche (Francesco). Descend à l’auberge un couple d’Anglais (Lord Kookburn, Pamela) qui vient de se faire dévaliser en route par des brigands et promet récompense à qui récupèrera le butin. Sur ce, Fra Diavolo, sous le nom de marquis de San Marco, débarque à l’auberge dans l’intention de dérober aux Anglais le reste de leur fortune. Pour en connaître la cache, il se faufile dans la chambre voisine, précisément occupée à son insu par Zerlina, et guette leur conversation. Découvert suite à une maladresse commise par ses complices (reprenant une ballade chantée la nuit par la jeune fille), Fra Diavolo (marquis de San Marco) se fait passer pour l’amant de Zerlina. Sur ce, fureur de Lorenzo. Au moment où Zerlina, dépitée, s’apprête à épouser Francesco, la vérité éclate au grand jour. Enrichi par la récompense, Lorenzo pourra épouser sa belle, tandis qu’il provoque et tue en duel Fra Diavolo. Autre version : Fra Diavolo réussit à s’enfuir. Comme l’on voit, une intrigue d’où est totalement exclu le côté politique de l’histoire, présentant le héros en aventurier chevaleresque. Szinetár n’hésite pas à le comparer à une sorte de Don Juan, tout à la fois audacieux et sans scrupule, mais aussi charmeur irrésistible. Moyennant une différence de taille : contrairement à Don Juan, notre héros se présente comme l’ami des pauvres, en quelque sorte, un Robin des bois à sa façon.

Fra Diavolo

Alors ? Les avis sont partagés. „La musique est brillante et plaisante, mais pas particulièrement profonde” (Guido Peregali). „La musique est admirable et le sujet excellent. Cela devrait justifier des reprises plus fréquentes” (Gustave Kobbé). Vœu exaucé par sa reprise sur la scène de Budapest.

La distribution : Benjámin Beeri en Fra Diavolo, Gergely Boncsér en Lorenzo, Gabriella Rea Fenyvesi en Zerlina, László Szvétek dans le rôle de Matteo, l’aubergiste, András Hábetler et Ivett Kis Diána incarnant le couple anglais. Accompagnés par l’orchestre de l’Opéra et le chœur des élèves du Conservatoire sous la direction de Kálmán Szennai.

Première impression : humour et légèreté. Une œuvre pétillante menée de bout en bout par des acteurs en verve. Soutenue par une partition enlevée, rythmée, aux airs plaisants, servie par une formation de chambre menée tambour battant (au sens propre…). Divertissement, plus que véritablement un opéra-comique, où les airs alternent avec des dialogues parlés (en hongrois). Mais quels dialogues ! Visiblement, le metteur-en-scène en a rajouté pour pimenter un peu plus la sauce. (Telle cette évocation d’un passage du Baron Tzigane.)  Autre trouvaille, le dénouement : plutôt que de se voir embrocher ou de s’enfuir, Fra Diavolo, par une longue et habile tirade où il se présente comme le protecteur des plus démunis (au détriment des riches) finit par emporter l’adhésion de toutes et de tous (surtout de toutes...) pour se voir porté en triomphe. Au point que notre lord anglais, toujours en quête d’investissements, voit là une idée de marketing pour lancer une nouvelle marque, „Fra Diavolo”, promise au succès. Sur quoi le rideau tombe.  „Absence de profondeur”, disait un critique ? Peu importe, si nous y trouvons notre plaisir. Plaisir servi par une belle mise-en-scène, agrémentée de trouvailles comiques. Parmi les personnages en lice, nous retiendrons entre autres le couple anglais : lui, renfrogné détestant par-dessus tout l’opéra (!), elle joyeuse, insouciante, tous deux se chamaillant sans cesse dans des échanges savoureux. Une intrigue menée sur un rythme d’enfer par des personnages débordant d’entrain. Sur le plan du chant, rien de très particulier sinon que de mentionner l’excellente prestation de Gabriella Rea Fenyvesi en Zerlina. Par contre, toutes et tous excellents acteurs, se donnant pleinement dans un jeu auquel ils semblaient prendre plaisir. Au plan purement musical, s’il fallait faire une comparaison, je penserais peut-être à la Fille du Régiment qui sera créée dix ans plus tard (dans la même salle).

Bref, si Fra Diavolo n’est pas à proprement parler un chef d’œuvre, Auber nous a offert ici un véritable divertissement, plaisir des yeux (costumes décors) et des oreilles. Miklós Szinetár avait bien raison en évoquant „une musique plaisante, flattant les oreilles”. Szinetár qui a su apparemment conquérir son public à en juger par les applaudissements nourris (dans une salle comble).

Une fois de plus, les responsables de l’Opéra se sont montrés inspirés en inscrivant au programme une œuvre rarement jouée, qui méritait largement d’être découverte.     

Pierre Waline

Crédit photos: Valter Berecz/Magyar Állami Operaház

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