Budapest : Mozart, remontant idéal - pour le moral… - face à la pandémie
Paradoxalement, depuis la fermeture des salles de concert, peut-être jamais l´offre n´aura été si riche en matière de musique. Retransmis sans public sur les réseaux, certes, mais d´autant plus accessibles, car suivis de chez soi, et se succédant quasi quotidiennement. C´est ainsi que, pour commémorer les 140 ans de la naissance de Béla Bartók se tiennent ces jours-ci en Hongrie des „semaines internationales d´Art” sous le titre de „Printemps Bartók” (Bartók Tavasz). Virtuelles, donc, mais offrant à l´internaute un programme riche et varié. Dont une soirée consacrée à Mozart (retransmise depuis le palais des Arts-Müpa). Au programme : la 33ème symphonie K319, la 9ème concerto K271, dit „Jeunehomme” et la Messe en ut, K427. Les interprètes : l´orchestre Orfeo et le chœur Purcell placés sous la baguette de leur fondateur et chef permanent György Vashegyi. En solistes : Mihály Berecz dans le concerto, Sabine Devieilhe, Katalin Szutrély, Zoltán Meggyesi et Loránt Najbauer dans la Messe en ut. Tous hongrois, à l´exception de la soprane française Sabine Devieilhe. Et tous déjà bien connus (et appréciés).
La symphonie en si bémol K 319 fut composée à Salzbourg en juillet 1779 (Mozart avait alors 23 ans). Écrite à l´origine en trois mouvements pour un ensemble réduit, Mozart y ajouta par la suite le menuet et le trio pour en confier le manuscrit en 1785 - en même temps que celui de la symphonie Haffner - à la maison Artaria. (L´une des rares à avoir été imprimées de son vivant). Composée lors de la dernière période salzbourgeoise du compositeur, l´œuvre est empreinte d´une atmosphère radieuse („Décontractée, mais non frivole”, B. Massin). Certains déclarent y reconnaître un thème que l´on retrouvera dans la symphonie Jupiter. D´autres, faisant preuve d´imagination (Sainte Foix) y voyant du Schubert avant l´heure, voire, dans le finale, un „tremplin” qui inspirera Beethoven dans sa 8ème symphonie (Einstein). Peu importe. Ce que nous en retiendrons est son côté particulièrement soigné et, encore une fois, son climat serein qui préfigure la proche libération des contraintes salzbourgeoises. Elle est surtout connue pour son brillant finale (allegro assai).
Créé à Munich en octobre 1777, le concerto „Jeunehomme” en mi bémol, neuvième de la série, était dédié à une pianiste française rencontrée à Salzbourg (qu´il retrouvera probablement l´année suivante à Paris). De cette Mlle Jeunehomme, nous savons bien peu de choses, sinon qu´elle était une virtuose réputée. Nous supposons cependant qu´elle initia le jeune compositeur aux dernières tendances de la mode musicale parisienne, influencée par Gluck et Rameau pour se départir du style galant alors en vogue. Ce qui se ressent dans la qualité de l´œuvre que nous offre le jeune Mozart. Il avait alors 21 ans, donc majeur, et commençait à envisager sérieusement son départ pour Vienne. Pour preuve de l´importance qu´y attachait Mozart, l´œuvre ne sera plus suivie pour un bon moment d´autres concertos (mis à part le concerto pour deux pianos). Qu´il nous soit permis de citer à cet égard un critique qui en décrit fort bien l´originalité : „Le Concerto « Jeunehomme » dépasse tous les cadres connus à l’époque. C’est le premier exemple de concerto où soliste et orchestre dialoguent continûment de cette façon. Chose inhabituelle dans le genre, le piano entre d’emblée, sans introduction orchestrale. Il n’est pas caractérisé par un thème propre, contrairement à la coutume : il est immédiatement intégré à la trame musicale. Un motif se dessine, mais dont le compositeur explore les variations plutôt que d’en inventer plusieurs à la suite (autre nouveauté). L’Andantino en ut est suivi d’un Rondo riche en inventivité. La structure harmonique est inattendue. La construction, particulièrement riche, inclut un menuet à trois temps. Le thème (repris quatorze ans plus tard comme leitmotiv de Monostatos) est traité en quatre variations. Autant d’innovations qui font aujourd’hui commenter le Concerto « Jeunehomme » comme une rupture dans l’histoire du genre et une préfiguration des concertos romantiques." (Louis Gohin).
De la musique religieuse de Mozart, le public connaît surtout son Requiem et la Messe du Couronnement. Bien moins souvent jouée, la Grande Messe en ut figure pourtant au rang de ses œuvres majeures. Messe que Mozart composa à l’époque de son mariage avec Konstanze Weber, alors qu´établi à Vienne, il venait de s´affranchir du Prince-Archévêque Colloredo. Elle répond à un vœu que le jeune Wolfgang avait formulé pour la guérison de sa fiancée alors gravement malade et pour la réalisation de leur hyménée. Elle fut donnée à Salzbourg lors d´un voyage destiné à présenter Konstanze à son père. C´est elle qui y tenait la partie de soprano. Il s´agit d´une œuvre inachevée (y manquent la seconde moitié du Credo et tout l´Agnus Dei). On ignore pour quelle raison, nombre de spéculations plus ou moins fantaisistes ayant été avancées sur le sujet. Peu importe, car, même en l´état, on peut y voir, avec le Requiem - également inachevé - l’un des deux sommets de sa musique religieuse.
Pour la première fois composée de son plein gré, librement et non sur commande, la Messe en ut fourmille d´ innovations par rapport à ses compositions précédentes. Tout d´abord par l´influence de Bach que le jeune Mozart venait précisément de découvrir et d´étudier. Notamment par son style contrapuntique et le recours à la fugue. Forte influence également de Haendel dont Mozart connaissait les oratorios. Autre nouveauté : la dimension de l´orchestre, élargi, notamment du côté des vents. Une particularité, enfin : le traitement de certains passages comme de véritables arias confiés à la soprano, Konstanze oblige... (En l´occurrence deux sopranos.) Tel le Laudamus te du Gloria ou encore le fameux Et incarnatus est du Credo.
Les interprétations ?
De la symphonie, nous retiendrons cette brillance, cette fraîcheur et cette impression de légèreté, si caractéristiques de la formation de Vashegyi, qui joue sur instruments anciens. Notamment du côté des cuivres et des bois. Une originalité : l´introduction d´un piano-forte pour soutenir, mais discrètement, le jeu des cordes. Probablement une trouvaille (bienvenue) du chef.
Mais c´est surtout par la suite, avec le concerto, que nous attendions l´un des temps forts de la soirée. Du jeune soliste (23 ans), nous avons déjà dit le plus grand bien et n´avons plus à le présenter. Caractérisé entre autres par un jeu clair, détachant bien les notes, même dans les passages rapides. (A priori conforme à l´esprit du compositeur dont les témoins décrivaient le style staccato.) Mais c´est ici surtout l´instrument qu´il nous faut évoquer, copie d´un piano-forte de l´époque. Instrument qui, contrairement à ceux que nous avions l´habitude d´entendre, sonnait admirablement, offrant notamment des graves chaudes. Un instrument pour lequel le jeune pianiste semble avoir une prédilection. Nous lui laisserons ici la parole : „C´est sous l´influence de György Vashegyi et de Malcolm Bilson que j´ai commencé à m´intéresser à cet instrument, pour y jouer non seulement Haydn et Mozart, mais aussi Beethoven et Schumann. Bien que difficiles d´accès et exigeant une toute autre technique, j´en imposerais, si cela ne tenait qu´à moi, la pratique à mes collègues.”
C´est avec la Messe en ut que nous attendions le véritable temps fort de la soirée. Une œuvre, comme on l´a vu, qui fait la part belle aux deux sopranes. Ici, toutes deux absolument irréprochables. Pureté de la voix, délicatesse dans les nuances, aisance tant dans les aigus que dans les graves. Il faut dire qu´elle dispose toutes deux de sérieuses références. Sabine Devieilhe désignée en 2013 „Révélation Artiste Lyrique” aux Victoires de la Musique, puis „Artiste lyrique de l´année” deux années plus tard. Quant à sa partenaire hongroise, Katalin Szutrély, que nous avions déjà eu l´occasion d´entendre et apprécier dans la même œuvre (1), elle remporta en 2000 le Prix de la Société Wagner lié au Festival de Bayreuth. (Soprane, certes, mais à la voix assez proche du timbre mezzo, la distinguant de sa jeune partenaire française, soprano colorature, ce qui n´en donnait que plus de couleurs à leur passage en duo.) Bien qu´excellents, nous ferons moins de commentaires du côté des hommes en raison de leur rôle plus limité, notamment le baryton (Loránt Najbauer, formé aux États-Unis) qui n´intervient qu´à la fin de l´œuvre. Pour le reste, de l´orchestre ou du chœur, nous ne savons qui louer le plus. Tous. Le chœur, tout d´abord : clarté, pureté des voix, parfaite diction et cette capacité à passer sans transition du forte au pianissimo. Quant à l´orchestre, nous en avons déjà souligné ces mêmes qualités que nous retrouvons ici (fraîcheur, clarté des registres). Le tout sous la direction animée et vive d´un Vashegyi dirigeant sans baguette et sans pupitre.
Une belle soirée, donc. Mais sans surprise, connaissant le niveau, tant du chef que de ses musiciens et solistes. Mozart qui semble être ces temps-ci particulièrement à l´honneur sur les rives du Danube. Tel ce récital de musique de chambre qui lui était consacré le même soir ou encore cette prochaine interprétation du Requiem (le 26 mai) donnée par Iván Fischer et son Orchestre du Festival à la mémoire des victimes de la Covid.
Un Mozart à consommer sans modération. Ce dont nul ne se plaindra.
Pierre Waline
(1): „Concert Mozart à Budapest: un auditoire envoûté lors d´une soirée qui fera date.”, 16 novembre 2018.
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