Budapest : Mozart de nouveau à l´honneur

Budapest : Mozart de nouveau à l´honneur

Mozart

„Mozart day” à l´Académie de musique

Plus qu´une habitude, c´est devenu un rite : depuis 2018 se tient chaque année à Budapest en ce premier dimanche de mars une journée de concerts entièrement dédiée à Mozart. L´initiateur et organisateur de la manifestation : le chef hongrois András Keller et son ensemble, Concerto Budapest. Pour cette quatrième édition, quatre concerts étaient inscrits au programme, qui se sont tenus dans la grande salle de l´Académie de musique (Zeneakadémia). Sans public, retransmis en direct sur les réseaux. Et en prime, un choix de pièces pour piano enregistrées „hors les murs”.

Journée nous offrant un programme varié associant piano et musique de chambre, concertos et symphonies. Avec en bis une surprise : une œuvre inédite du compositeur de Salzbourg, récemment découverte, Allegro en ré mineur. Œuvres interprétées, outre András Keller et son ensemble, par le chef Gábor Takács-Nagy, ainsi que des jeunes pianistes établis en Hongrie ou à l´étranger, la Canadienne Angela Hewitt et le pianiste américain Malcolm Bilson. Tous hôtes réguliers de la formation.

En concert d´ouverture, le quatuor à cordes K421 et le quatuor avec piano K478. Pour la suite, deux concertos pour piano : le 23ème en la majeur et le 20ème en ré mineur et deux symphonies : la 34ème en ut majeur et la 39ème en mi bémol majeur, ainsi qu´une ouverture (La Clémence de Titus). Nous étaient également proposés des extraits de trois sonates pour piano. Le tout complété de Cinq contredanses K609, de la Petite musique de nuit et d´une transcription à deux pianos du Quintette K617 pour harmonica, flûte, hautbois, alto et violoncelle (1791). Un programme varié, comme l´on voit. Peut-être un peu trop dispersé et faisant impasse sur le chant et autres œuvres majeures. Mais ne jugeons pas trop vite. Présenter Mozart sur quatre concerts relève de la gageure. Ne boudons donc pas notre plaisir et soyons reconnaissants au chef hongrois de nous avoir offert cette nouvelle occasion d´entendre une musique toujours écoutée avec plaisir.

Tout d´abord, en introduction, quelques mots du chef Gábor Takács-Nagy. Qui, en cette période de pandémie, nous présente la musique de Mozart comme une sorte de „remède spirituel”, remontant, baume pour l´âme. Musique imprégnée de cet amour si présent chez Mozart et qui nous fait l´aimer.

Pour ouvrir la journée, les quatuors K421 et K478. Par les membres du quatuor Keller (le chef étant également violoniste) avec la pianiste canadienne Angela Hewitt dans le K478. Le K421 est le deuxième d´une série de six quatuors dédiés à Joseph Haydn. D´après Constance, il aurait été écrit en une nuit, „interrompant son travail à tout moment pour soigner et encourager son épouse qui allait mettre au monde leur premier fils.” (Brigitte Massin). Écrite dans la tonalité de ré mineur, l´œuvre débute sur des accents, sinon franchement tragiques, du moins empreints d´une touche de tristesse et de mélancolie. „Mozart choisit la tonalité de ré mineur qui pour lui représentera toujours celle de la confession douloureuse faite à voix basse. L’œuvre, courte et dense, est empreinte d’un désespoir complet, où même les tâches de lumières {allusion au trio du menuet} ne semblent être présentes que pour rendre plus intense la tristesse ambiante.” (Laurent Mazliak). A noter qu´avec Haydn, Mozart - qui en composa non moins de 23... - fut le premier à mettre dans le quatuor les quatre instruments sur un total pied d´égalité. Composé un peu plus de deux années plus tard, le K478 a été également écrit dans une tonalité mineure (sol mineur). Ici, Mozart innove en associant piano et trio à cordes, sorte de compromis entre le concerto et le quatuor. A notre connaissance, seul Schobert - que Mozart avait étudié dans son enfance - avait auparavant composé des quatuors pour clavecin et cordes. Réputés difficiles, les deux quatuors, écrits sur commande (un troisième était prévu), furent un échec. Aussi Mozart dit-il renoncer à écrire dans ce genre (qui sera plus tard repris entre autres par Brahms, Schumann et Dvořák). Et pourtant, nous avons là deux de ses œuvres parmi les plus appréciées aujourd´hui...

Alors ? Un quatuor merveilleusement interprété. En douceur, comme pour en atténuer le côté tragique, dans une fort belle sonorité servie par une prise de son idéale (très proche des instruments). A l´opposé, la pianiste canadienne nous a servi une interprétation énergique, extravertie du K478. Suivie à la lettre par des cordes pleinement engagées. Ce qui, somme toute, convenait à l´esprit de l´œuvre. Ici aussi, le tout servi par une belle prise de son équilibrée.

Pour la suite était programmée l´ouverture de Titus, suivie du concerto K488 et de la symphonie K338. Sous la direction de Gábor Takács-Nagy. Au départ violoniste, le chef avait été jadis membre du quatuor Takács (1979-1993). Se produisant régulièrement avec la formation d´Iván Fischer, il fait aujourd´hui partie des chefs les plus en vue du pays. Formée entre autres à l´Académie Barenboim-Saïd de Berlin, la jeune pianiste Ivett Gyöngyösi (27 ans) est titulaire de deux premiers prix (concours Chopin et Cziffra). Composée en septembre 1791, La Clémence de Titus fut l´une des toutes dernières œuvres de Mozart, écrite à l´occasion du couronnement de Léoplod II à Prague. Une œuvre, sinon méconnue, du moins parfois traitée avec une certaine – et stupide – condescendance. Bien injustement, car elle recèle nombre de merveilleux passages. Écrit à la même époque que les quatuors avec piano, le concerto en la majeur (23ème), également contemporain des Noces de Figaro, est surtout apprécié pour son merveilleux adagio qui n´est pas sans rappeler le célèbre andante du 21ème. De la 34ème symphonie en ut, disons seulement qu´écrite pour ses amis musiciens de Manheim et Munich, elle relève encore de la période salzbourgeoise. Empreinte de fraîcheur, elle renferme au passage quelques thèmes de danses. Un programme conçu pour présenter sur une heure un échantillon des trois périodes du compositeur. C´est le concerto en la qui aura essentiellement retenu notre attention. Une jeune pianiste, Ivett Gyöngyösi parfaitement à son aise, rendant sa partition avec finesse et fraîcheur. Tant par son physique que par son jeu et son assurance, elle rappelle un peu Hélène Grimaud à ses débuts. Accompagnée, soutenue par un orchestre sonnant merveilleusement, dirigé par un chef aux gestes amples, vifs, mais précis.

Suivait, non un concert, mais une sorte de multiplex préenregistré par des pianistes hongrois établis en divers points d´Europe et Malcolm Bilson à New York. Extraits de sonates, K332 par Klára Würtz à Amsterdam et K331 (Marche turque) par Adrienne Krausz à Bâle. Interprétations sans grand relief qui n´ont pas pleinement répondu à nos attentes. Une belle prestation, par contre, de Malcolm Bilson (85 ans !) depuis New York où il nous a servi une belle interprétation de la sonate K333 (1er mvt) sur la copie d´un piano d´époque. Mais ce qui était surtout à retenir : une transcription pour deux pianos interprétée depuis Salzbourg par Imre Rohmann et Tünde Kurucz, du quintette pour harmonica et divers instruments composé en 1791 (sa dernière œuvre de musique de chambre). Transcription, due à la jeune pianiste, fort réussie, qui rappelle un peu la Fantaisie en ré mineur.

Avant de retourner - virtuellement - dans la grande salle de l´Académie de musique où nous étions attendus dans la soirée pour un concert de clôture. Cinq contredanses K 609, le 20ème concerto en ré mineur et la 39ème symphonie en mi bémol majeur. L’orchestre étant cette fois placé sous la baguette de son chef permanent András Keller avec Angela Hewitt en soliste. Des contredanses, publiées sur le tard (1791), on retiendra la première qui reprend des airs extraits des Noces de Figaro et la troisième pour son charmant rythme à trois temps. Dans le répertoire des concertos, le 20ème occupe une place à part par son climat sombre et tendu. Tension que seule la romance du mouvement central, vient atténuer, mais pour un bref instant seulement. Une œuvre particulièrement appréciée par Brahms et Beethoven qui en composa deux cadences. A la différence du quatuor K421 écrit deux ans plus tôt dans la même tonalité, le concerto s´achève toutefois sur une note d´optimisme, comme pour défier le destin. La 39ème symphonie est la première du cycle des trois dernières (sol mineur, Jupiter) composées pratiquement en même temps (juin-août 1788) mais sans en avoir la renommée. Certes, sans atteindre aux sommets des deux suivantes, elle offre malgré tout de beaux passages inspirés, tel son charmant menuet. De ce concert, nous attendions surtout beaucoup du 20ème concerto. Une interprétation qui nous a légèrement laissés sur notre faim. Attaque ralentie du piano, ôtant du même coup un peu de l´effet tragique de l´entrée. Irréprochable au plan technique, Anegla Hewitt, que nous avions tant appréciée dans le quatuor, nous a semblé manquer ici un tantinet de souffle et de respiration. Sauf dans la romance centrale, rendue en finesse et douceur. A retenir, par contre, à son actif, un jeu d´une grande clarté, toutes les notes étant bien détachées. Réserve plus prononcée pour l´interprétation de la 39ème symphonie, que nous avons trouvée par moments un peu sèche, voire parfois dure. De plus avec un menuet pris sur un tempo bien trop rapide. Alors que cette œuvre eût gagné à être allégée par une interprétation moins puissante, plus aérée. Mais ce sont là des plis que nous avions déjà remarqués auparavant chez le chef hongrois.

Un concert de clôture qui ne fermait pas complètement la soirée, puisque suivi de deux bis. Tout d´abord cette fameuse pièce récemment découverte, cet Allegro en ré mineur, que Mozart composa à l´âge de 17 ans. Morceau joué sur pianoforte par Mihály Berecz, mais qui, malgré les efforts déployés par le pianiste, au demeurant excellent, ne nous a guère convaincus, offrant surtout l´intérêt d´une curiosité. Suivait la Petite musique de nuit, sorte de symphonie miniature pour cordes avec ses quatre mouvements traditionnels. Pour l´interprétation, nous nous bornerons à formuler la même remarque que pour la symphonie.

Que retenir de cette journée ? Tout d´abord trois temps forts : les deux quatuors du début (à cordes et avec piano) et surtout le 23ème concerto pour sa merveilleuse interprétation, tant par l´orchestre que par la jeune soliste. Une jeune pianiste que nous découvrions ce soir, promise à un bel avenir.

Une journée qui, une fois de plus, tend à présenter la place de Budapest comme constituant une plateforme rêvée pour les amis de la musique. Offrant une riche gamme de concerts et manifestations diverses. Tels, rien qu´en ce mois de mars, un festival Cziffra (présenté dans ces colonnes), un festival Béla Bartók et des journées „Bach pour tous”. Sans parler des retransmissions hebdomadaires de l´Opéra et en attendant la prochaine reprise des journées „Beethoven à Buda”. Une offre riche et variée de concerts, certes donnés sans public. Malgré tout, ne nous plaignons pas trop… En attendant ce jour bénit où les salles réouvriront.

Il n´est pas interdit de rêver...

Pierre Waline

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