Budapest: le cymbalum à l’honneur sur la scène de l’Académie de musique (Zeneakadémia)
Introduit en Hongrie au cours du XVe siècle, le cymbalum (cimbalom) est un instrument de musique à cordes frappées. Il est constitué d’une caisse trapézoïdale en bois reposant sur des pieds, dont les cordes métalliques sont frappées par le musicien à l’aide de deux baguettes. Le modèle actuel fut créé à la fin du XIXe siècle, se voyant ajouter une pédale semblable à celle d’un piano. On en frappe les cordes grâce à deux baguettes légèrement recourbées, aux extrémités couvertes de feutre ou de cuir. Son timbre aux résonances métalliques prononcées est immédiatement reconnaissable. Il contient généralement entre 35 et 42 cordes organisées en paires ou groupes, la version de concert pouvant dépasser cent trente cordes couvrant quatre octaves et demi. Instrument accompagnant les ensembles tziganes, on peut le trouver également dans des œuvres du répertoire classique. Notamment chez Stravinsky.
C’est à cet instrument qu’était dédié le concert donné ce soir pour accompagner l’Ensemble de cordes de Budapest (Budapesti Vonósok) placé sous la conduite de János Pilz. En soliste Miklós Lukács, généralement connu pour ses interprétations de jazz, mais aussi lié à des compositeurs du répertoire traditionnel. Au programme des œuvres de Mozart (Divertimento KV. 138), Haydn (concerto pour violon en sol majeur en version transcrite), Joseph Suk (Sérénade en mi bémol majeur) et du Hongrois Kornél Fekete-Kovács (Elements). Ce dernier morceau spécialement écrit pour notre soliste de ce soir, donnant une large part à l’improvisation.
Composé en 1772, alors que Mozart avait seize ans, le divertimento en fa (KV 138) se présente sous la forme d’un quatuor réunissant deux violons, un alto et un violoncelle, ici étendus à l’ensemble de l’orchestre. Composé de trois mouvements (Allegro, Andante, Presto), il combine les procédés empruntés aux Italiens à la manière de Michael Haydn. Contemporain d’une série de huit symphonies (14 à 21), d’aucuns supposent que le jeune Mozart aurait envisagé de l’élargir à une forme symphonique en y ajoutant des parties de hautbois et de cor (A. Einstein). Au demeurant, malgré leur forme initiale de quatuor, ces „divertissements” de jeunesse, par leur caractère polyphonique prononcé, sont parfois qualifiés de „symphonies de Salzbourg”. Sur l’interprétation, rien à redire, sinon que de louer une fois de plus la qualité de cet ensemble, brillamment mené par son premier violon János Pilz, pour la grande pureté du son et, au sein de chaque pupitre, un jeu parfaitement à l’unisson. De l’œuvre, je retiendrai le premier mouvement par son entrain débordant de jeunesse.
Écrit probablement au début des années 1760 avant son entrée au service du prince Esterházy, le concerto en sol de Haydn (Allegro moderato, Adagio, Allegro) se distingue par une partie de violon relativement simple, exempte de virtuosité. Partie ici retranscrite pour cymbalum. Une gageure ? Peut-être, mais il n’en demeure pas moins que ce fut un résultat convaincant, parfaitement réussi. Rappelant un peu une transcription pour clavier, mais en mieux, le cymbalum, par la souplesse qu’il offre et son côté ”chantant”, dépassant de loin le son quelque peu sec d’un clavicorde. Une œuvre où l’on aura pu admirer le talent du soliste, parfaitement à l’aise, sachant mettre en valeur son instrument, offrant un jeu tout en nuances entre pianissimo et forte, allant même jusqu’à nous offrir une suite effrénée de gammes ascendantes et descendantes dans la cadence du second mouvement. En bis, Miklós Lukács nous a offert une série d’improvisations sur des thèmes de John Lennon.
Initialement conçue pour deux mouvements, la sérénade en mi bémol de Josef Suk fut créée à Prague en 1895 dans sa version actuelle en quatre mouvements (Andante, Allegro ma non troppo e grazioso, Adagio, Allegro gioccoso). Créée sous le parrainage de Brahms, Josef Suk s’y était attelé sur les encouragements de son beau-père Anton Dvořák, à l’image de la Sérénade que ce dernier avait publiée vingt années plus tôt. Une pièce empreinte de mélancolie où se fait ressentir l’influence de ce dernier. Une œuvre attachante, d’un profond lyrisme, que l’on pourrait effectivement faire passer sous la signature de Dvořák. Quant au jeu des interprètes, nous n’allons pas rappeler une fois de plus les qualités mentionnées plus haut.
Kornél Fekete-Kovács (55 ans), trompettiste de jazz et compositeur, a participé à plusieurs ensembles de jazz dont il préside aujourd’hui la Fédération (Société des Artistes de Jazz). Écrite sur une commande de Miklós Lukács, la pièce „Elements” se présente sous la forme d’un concerto pour cymbalum en trois parties („Percussion, Emotion, Potency”). Œuvre dont il assurait ce soir la direction. Que dire? Une pièce destinée à mettre en valeur les qualités de l’instrument qui avait la part belle, face à un orchestre se bornant à un rôle d’accompagnement. Une œuvre contemporaine, donc, de longue haleine, mais forte et plaisante, d’une grande richesse. Comme on s’en doute, le soliste s’en est donné à cœur joie, nous gratifiant de plusieurs bis de sa composition.
Pour ma part, ce fut une véritable découverte. Si je connaissais l’instrument, non seulement pour son intervention dans les ensembles tziganes, mais aussi en d’autres circonstances, telle l’interprétation des suites de Bach par Aladár Rácz (1), j’ignorais totalement les capacités sans limites qu’il peut offrir. Grâce en soit rendue au soliste, sans compter le plaisir de retrouver un ensemble que nous avons eu à maintes reprises l’occasion d’apprécier.
Pierre Waline
(1): Aladár Rácz (1886-1958) fut le premier à conférer ses titres de noblesse au cymbalum. A noter qu’outre Stravinsky, Yehudi Menuhin fur également un adepte enthousiaste du cymbalum.
Crédit photo: Miklós Lukács