Budapest : Haydn et Mozart associés dans un même concert ... pour nous remonter en ces temps difficiles

Budapest : Haydn et Mozart associés dans un même concert ... pour nous remonter en ces temps difficiles

Haydn&Mozart

On sait que, malgré leur différence d’âge (25 ans), Haydn et Mozart furent d’excellents amis, exprimant l’un à l’autre leur admiration réciproque. A cet égard, un mot sur leur dernière rencontre qui remonte à décembre 1790. Alors que Haydn s’apprêtait à rejoindre Londres, Mozart le quitta sur ces mots : „Je crains que nous soyons en train de faire nos adieux”. A qui pensait-il ? Un an plus tard, Mozart n´était plus (1). Il est donc naturel qu’ils fussent tous deux associés dans un concert donné ce dimanche à Budapest.

Au programme, la 59ème symphonie de Haydn suivie du 5ème concerto de violon du maître de Salzbourg (ces deux œuvres, en la majeur) pour se refermer sur la 99ème symphonie en mi bémol majeur de Haydn. Les interprètes : l’Orchestre du Festival de Budapest placé sous la direction de Gábor Takács-Nagy avec le violoniste russe Ilya Gringolts en soliste.

Composée sur la fin des années soixante, la symphonie en la majeur doit son titre „Le feu” à une pièce d’un certain Grossman intitulée „L’incendie” donnée à Eszterháza (où la musique de Haydn servit d´entracte). Un titre qui lui sied bien, l’œuvre, contrairement aux autres symphonies, débutant par un fougueux presto. Partition brillante qui, aux côtés des cordes, fait la part belle aux cors (final). A noter, dans la partie centrale (trio) de son troisième mouvement une ritournelle qui n’est pas sans présenter une parenté avec le fameux air dansant (évoqué ci-dessous) que l’on trouvera dans le final du concerto de Mozart. Composé à Salzbourg, alors qu’il avait à peine vingt ans, le concerto en l’est le dernier des cinq concertos pour violon de Mozart, et probablement le plus achevé. Mis à part deux ébauches, Mozart ne composera plus de concertos pour cet instrument. Le 5ème est surtout connu pour le thème de son allegro final où le violon nous entraîne dans un rythme effréné de danse all’ungherese. Créée en février 1794 au Hanover Square Rooms de Londres sous la direction du compositeur, le symphonie 99 en mi bémol de Haydn s’inscrit dans la série de ses douze dernières symphonies dites londoniennes. Elle se démarque des précédentes par son caractère grave et solennel, une partition qui fait largement appel aux cuivres, bois et timbales

L´interprétation….

PHAydn&Mozartour commencer, les musiciens de Fischer (ici dirigés par G. Takács-Nagy) nous ont d’emblée mis dans l’ambiance. Par un jeu vif, alerte et enlevé, servi par de merveilleuses sonorités. Jouaient-ils sur instruments anciens ou modernes ? Je l’ignore. Toujours est-il que le tout sonnait de façon séduisante, je dirais lumineuse. Servant une partition non dépourvue de charme, truffée, comme Haydn adorait le faire, de petites surprises, alternant soudainement les passages forts, voire fortissimo avec d’inattendus pianissimo, avant de repartir de plus belle. Ce qui nécessite une certaine souplesse, pour ne pas dire virtuosité, de la part du chef et de ses musiciens. Je ne connaissais pas cette symphonie, et ce fut pour moi un agréable surpris. On sait qu’à la cour des princes Esterházy, Haydn disposait d’excellents musiciens, mais il n’aurait certainement pas renié ceux qui nous ont servis (et enchantés) en cette belle matinée.

Suivait un classique du hit-parade de nos salles de concert, le 5ème concerto pour violon de Mozart. Avec un violoniste russe pour la partie de soliste, Ilya Gringolts. Ma première réaction : une œuvre mille fois entendue, presque galvaudée, ici servie sous un jour tout-à-fait nouveau, débordant de vie et de jeunesse. Ce qui est en grande part à mettre au compte du soliste. Élève entre autres d’Itzhak Perlman, Gringolts jouait sur un stradivarius. Un son donnant davantage dans l’aigu, en contraste avec la chaleur des cordes de l’orchestre. Mais un son d’une grande finesse, sans aucune agressivité, agréable à l’oreille. Une particularité : de bout en bout, au-delà de sa partie de soliste, le violoniste russe s’est associé à l’orchestre, jouant ensemble les tuttis. Mais surtout, il a multiplié les cadences improvisées pour donner plus de poids et plus de vie à son jeu. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse (19 ans), et je pense effectivement que, à côté des grandes versions classiques que nous lui connaissons, elle avait bien besoin de cette cure de rajeunissement. Ce qui fut le cas. En bis, le violoniste nous servit une pièce non identifiée (dans le style de Bach, mais moderne) probablement de son écriture, car il est également compositeur. (A noter au passage, dans les premières mesures, ce curieux ralentissement imposé par le soliste dans la séquence qui précède et introduit l’attaque initiale du violon. Certes pour en renforcer l’effet, malgré tout déconcertant, du moins à première audition.)

Toute autre fut l’ambiance que nous allions retrouver après l’entracte avec la 99ème (”londonienne”) de Haydn. Par une formation cette fois au grand complet avec timbales, trompettes et toute la rangée des bois et des vents. D’entrée, la symphonie débute sur des accords majestueux, non dépourvus d’une certaine solennité. Premières mesures qui annoncent celles qui ouvriront la Création qui sera donnée quatre ans plus tard. Une longue et lente introduction qui débouchera sur un thème plus léger, mais pour vite reprendre un ton de gravité. Nous faisant retrouver ici la formation des grands jours que nous étions habitués à entendre dans les grandes œuvres symphoniques où les musiciens de Fischer sont à leur affaire. En bis, le chef et ses musiciens nous ont offert le menuet de la 101ème symphonie (dite „l’Horloge”).

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Un mot, pour terminer, sur Gábor Takács-Nagy, principal invité de l’Orchestre, sorte de „chef en second” après Iván Fischer. Un chef qui dirigeait sans baguette et sans estrade. Avec des gestes amples et en souplesse, n’hésitant pas à esquisser des pas en direction de tel ou tel rang. S’impliquant totalement dans le jeu et suivi à la lettre par des musiciens visiblement habitués à se produire sous sa direction.

Au rang des qualités que l’on attend souvent d’un chef, au-delà de la direction proprement dite et de ses rapports avec l’orchestre, figure son aptitude à monter un programme cohérent et équilibré. Telle la composition d’un menu. Pour le coup, le programme qui nous était proposé cet après-midi nous a semblé idéalement conçu. Comme une sorte de crescendo du plus léger au plus grave.

Une belle après-midi, moment de répit bienvenu en ces temps où l’actualité - le moins que l’on puisse dire - ne nous incite guère à la réjouissance. Grâce à la complicité de nos deux compositeurs et amis aujourd’hui merveilleusement servis.

Pierre Waline

(1): rencontre au cours de laquelle Mozart, tentant de dissuader son ami de s’aventurer en terre étrangère et lui faisant remarquer qu’il ne parlait pas les langues, Haydn lui répondit par cette merveilleuse réplique: „Rassurez-vous, la langue que je parle est comprise dans le monde entier” .

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