Beethoven et la France (1)

Beethoven et la France (1)

Beethoven et la France

A l´occasion du bi-cent cinquantenaire de sa naissance, les mélomanes sont gâtés. Concerts, récitals, exposés, conférences, films se succédant sur un rythme pratiquement ininterrompu depuis le début de l´année sur les médias et les réseaux (2). De qui parlons-nous ? De Beethoven, bien évidemment ! De tous les compositeurs, celui qui aura suscité le plus de passions, le plus de biographies, ouvrages et commentaires divers, des plus pertinents aux plus fantaisistes. Sur lui, tout a été pratiquement dit et redit.

Parmi les nombreux thèmes abordés, il en est un qui nous touche plus directement, en tant que Français établis en Hongrie, celui de ses rapports avec les Hongrois. Relations apparemment excellentes, si nous faisons référence aux sœurs Brunswick ou à son amitié avec le baron Zmeskall, mais aussi à ses propos tenus sur ses « chers Magyars » ses « moustachus », comme il se plaisait à les appeler (3). Autre sujet qui nous touche directement : ses relations avec la France. Sujet que nous aimerions ici aborder, reprenant en grande partie les termes d´une conférence tenue jadis par un proche et ami (mon père).

D´ores et déjà, nous savons que Beethoven maniait, bien qu´imparfaitement, notre langue. En témoignent les lettres qu´ils nous ont laissées, ses carnets de conversation ou encore ces nombreuses dédicaces rédigées en français. Le français, langue dans laquelle communiquaient les souverains, voire couramment pratiquée au sein de la famille Brunswick. Mais est-ce à dire pour autant qu´il appréciait notre pays et sa culture ? Question délicate à laquelle nous tenterons de soumettre ici - bien que très partiellement - quelques éléments de réponse.

Un premier élément : né dans cette Rhénanie marquée par l´influence française, le jeune Ludwig s´engoua d´emblée pour les idéaux prônés par nos révolutionnaires. « Il aimait les principes républicains. Il était partisan de la liberté illimitée. Il voulait que tous concourussent au gouvernement de l´État... » (Schindler). (Il alla jusqu´à souscrire en 1790 à un recueil de poèmes révolutionnaires.) Révolution dont il partageait le culte des Anciens, tel son héros Plutarque. D´où son admiration pour le jeune Bonaparte, son contemporain, en qui il plaçait tous ses espoirs, voyant en lui une sorte de Washington français. Admiration qui se mua en haine dès lors que ce dernier se fit couronner.  « N’est-il donc rien de plus qu’un homme ordinaire ! Maintenant, il va fouler aux pieds les droits humains et n’obéira qu’à son ambition. Il va s’élever plus haut que les autres et va devenir un tyran !». Chacun connaît cet épisode lorsque, venant d´apprendre la nouvelle du couronnement, Beethoven ratura rageusement la page de garde de sa 3ème symphonie « intitolata Bonaparte » (qui prend alors le titre « d’eroïca »).

Alors ? Des relations pour le moins ambigües où s´entremêlent enthousiasme pour les idéaux révolutionnaires, attraits de la langue et cette haine quasi viscérale nourrie par un nationalisme exacerbé. Il faut dire que les deux occupations successives de Vienne par les troupes françaises (1805,1809) ne firent rien pour arranger les choses... Surtout la seconde où il vit fuir ses mécènes et s´éteindre son vieil ami Haydn (4). A propos de Napoléon : « Comme Allemand, j´ai été son plus grand ennemi… Si je m´y connaissais à la guerre comme à la musique, je le battrais... ». « C´était un violent ennemi des Français et un Allemand convaincu (Varnhagen von Ense). Lors du Congrès de Vienne qui consacrera la défaite de l´empereur, Beethoven composera un « hymne » à sa défaite, « La Bataille de Vittoria », mais en fait plus pour des raisons pécuniaires que par conviction, œuvre qui figure parmi ses moins heureuses, qu´il qualifiera lui-même de sottise (eine Dumheit). 

Et pourtant… Une prétendue francophobie - du moins telle qu´il se plaisait à l´afficher… - qui ne l´empêchera pas d´entretenir les meilleures relations avec plusieurs de nos compatriotes établis ou de passage à Vienne. A commencer par le baron de Trémont, auditeur au Conseil d´État en mission, qui lui rendit visite à plusieurs reprises et nous a laissé sur lui des témoignages précieux. Plus surprenant, ses contacts avec certains membres de la Légation française. Mais surtout la pianiste Marie Bigot, Alsacienne épouse du bibliothécaire des Razoumovski, pour qui il éprouva, plus que de l´estime, une réelle affection. Au point de lui dédier une sonate et de lui en remettre le manuscrit. Par ailleurs, nous citerons sa fameuse sonate dédiée au violoniste français Kreutzer (qui ne lui en sut aucun gré…). Et ses références dans son œuvre à des productions venues de France, tel Fidelio, inspiré d´une pièce écrite (sur un fait réel) sous la Révolution. Sans parler de son admiration, au demeurant excessive, pour Cherubini qui, bien que d´origine italienne, figurait parmi les figures marquantes de la vie musicale parisienne (où il dirigeait le Conservatoire) et dont les opéras constituent un modèle type de l´opéra français de l´époque (5).

Voire dans ses relations avec les officiels. Tel Jérôme, le frère de l´empereur, qui lui proposa un poste de maître de chapelle à Kassel, que Beethoven faillit accepter, y renonçant au dernier moment sur les conseils de son ami de Trémont. Quant à cette haine manifestée à l´égard de l´empereur, elle reste à nuancer. (Nous retrouvons ici ces accès et changements d´humeur bien caractéristiques du personnage…). Le baron de Trémont : « La grandeur de Napoléon l´occupait beaucoup et il m´en parlait souvent. Au milieu de sa mauvaise humeur, je voyais qu´il admirait son élévation d´un point de départ inférieur. » Et lorsqu´il apprit plus tard la mort de l´empereur, sa réaction fut de dire. « Il y a treize ans que j´ai écrit la musique qui convient à l´évènement », faisant allusion à la Marche funèbre de la symphonie Héroïque. Enfin, lorsque qu´il fut un moment question de solliciter pour lui la Légion d´Honneur, il fut flatté, apprenant que celle-ci avait été instaurée par le Premier consul. Légion d´Honneur dont l´idée fut vite oubliée, mais qui fut remplacée par l´envoi d´une médaille accompagnée d´un don substantiel par le roi Louis XVIII.

Nous voyons donc que, dans ses relations avec la France, tout n´était pas si noir, beaucoup s´en faut. La France où il avait d´ailleurs un moment envisagé de se rendre au point de lancer les préparatifs du voyage, finalement abandonné pour des raisons pratiques (témoignage des sœurs Brunswick). La France vers laquelle, atteint dans ses dernières années par la maladie, il espérait trouver le salut : « Südliches Frankreich ! Dahin ! Dahin ! » (noté sur son carnet).

De leur côté, comment nos compatriotes accueillirent-ils ses œuvres, comment le jugèrent-ils ? Il nous faut d´abord écarter les inévitables inepties proférées à son égard. Tel Stendhal critiquant „la bizarrerie de ses modulations”, mais qui se rattrapera par la suite. Mais n´oublions pas que ses compatriotes non plus n´étaient pas exempts de tels propos, tel Weber le déclarant „mûr pour le cabanon” au sujet de la Septième symphonie. Par contre, nombreux furent en France celles et ceux qui saisirent d´emblée son génie. A commencer par George Sand, Balzac ou encore Berlioz, enthousiaste fanatique. Et ses œuvres, comment furent-elles accueillies ? Présentées relativement tôt au public parisien, ses symphonies y reçurent le meilleur accueil. Relativement tôt signifie pour certains dix ans à peine, ou moins, après leur création viennoise, ce qui, pour cette époque où les communications étaient lentes, constitue un délai plus qu´honorable. Quant à leur accueil, il ne fut pas seulement le fait d´une élite, mais également - et surtout – celui du grand public. Il faut savoir qu´à l´époque, notre capitale offrait parmi les meilleures formations d´Europe. Un accueil parfois enthousiaste dont entre autres Berlioz, dans ce style emphatique que nous lui connaissons, nous rend témoignage.

A cet égard, les Parisiens durent une fière chandelle au violoniste et chef Habeneck, fondateur de la Société des Concerts du Conservatoire, dont le concert inaugural, donné un an à peine après la mort de Beethoven, fut entièrement consacré à des œuvres du maître de Bonn. Beethoven qu´il inscrivit systématiquement au programme de ses concerts (dirigés sans partition depuis le pupitre de premier violon). Nous voyons donc combien le public parisien sut vite comprendre, admirer et adopter la musique de Beethoven. Tordant le cou à un préjugé selon lequel les Anglo-Saxons auraient eu le privilège de lancer la « mode Beethoven ».

Conclusion : si Beethoven, de façon parfois excessive, ne se montra pas toujours bienveillant dans son opinion sur la France et les Français, ceux-ci, que l´on dit parfois versatiles, ne lui en tinrent pas rigueur, empressés de lui rendre un hommage, certes mérité, mais qui fait honneur à leur goût et à leur jugement.

Alors… Beethoven et la France ? Des relations souvent passionnelles, mais jamais indifférentes. Qui recèlent en définitive, bien que non clairement avouée de sa part, une part d´admiration mutuelle. Ce sera notre conclusion.

Pierre Waline

(1): source: Marcel Waline « Beethoven et la France » (Poitiers, 1937)

(2): baptisé le 18 décembre 1770, il naquit probablement la veille, les nouveau-nés étant alors baptisés au plus vite en raison des risques élevés de mortalité. Pour la petite histoire : peu scrupuleux, son père tricha sur son année de naissance, pour mieux le faire passer comme enfant prodige, de sorte que longtemps, Beethoven se crut de deux ans plus jeune.

(3): cf. « Beethoven et la Hongrie: une love story (all´ungharese) », paru dans ces colonnes le 26 septembre 2020.

(4): logeant face aux remparts, il dut se réfugier dans la cave, la tête enfouie sous des oreillers, les explosions, provoquées par le troupes françaises qui abattaient les remparts, lui causant des douleurs insupportables dans les oreilles.

(5): Cherubini à qui Beethoven adressa une longue lettre rédigée dans un français très châtié, mais à laquelle l´Italien  ne daigna pas répondre. (Prétendant par la suite ne l´avoir jamais reçue.)

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