Notre coup de cœur : „Les Tributaires”, épopée émouvante d’une famille franco-hongroise à travers les remous de l’Histoire

Notre coup de cœur : „Les Tributaires”, épopée émouvante d’une famille franco-hongroise à travers les remous de l’Histoire

Tributaires

Les Tributaires (1) se lit comme un roman. Un roman passionnant. Non pas imaginé, mais inspiré d’une histoire réelle. Celle d’une famille et de son entourage. Qui nous emmène dans un long voyage à travers le temps et l’espace, des rives de la Seine au Danube jusqu’au Don, en passant par la Tisza, le Rhône et le Rhin. Long voyage au milieu des remous de l’Histoire qui ont bousculé ce demi-siècle (de la Guerre à nos jours). Écrit dans un style léger et alerte, parfumé d’un zeste d´humour, voilà un ouvrage qui se lit de bout en bout avec plaisir. Avec plaisir, mais non sans émotion face au quotidien de ces héros que nous font revivre les auteures. Une lecture vivement recommandée.

Récemment publié par deux sœurs sous le nom de plume „Bisame Corvin” (2), l’ouvrage, sous-titré „Roman-Fleuves”, nous soumet sept récits, chacun associé à un cours d’eau. „A tous les fleuves de l’Histoire coulant dans nos veines. A tous ces cours d’eau abreuvant nos souvenirs. A toutes ces familles meurtries par la guerre. Et à leurs descendants, dépositaires d’une mémoire à transmettre aux générations futures (3).” Histoires qui prennent leur source dans la Seconde Guerre mondiale pour converger en décembre 2019 sous le pont de l’Europe à Strasbourg. Héros et anti-héros qui auront, chacun à sa façon, laissé leur empreinte dans le flux inexorable de l’Histoire. Tel Bernard (4), ce militant communiste, père de famille sans histoire, fusillé sur dénonciation par les Allemands pour avoir distribué des tracts. Ou encore Yann, pied noir d’Algérie, dépité au point de s’engager dans l’OAS au grand dam de son entourage. Et Valentin, cet Alsacien „Malgré nous” enrôlé de force dans les Waffen SS pour se retrouver sur le front russe. Autre héros, Georges lancé à la chasse du collaborateur Paul Touvier, assassin de son père, épreuve de longue haleine qui aboutira, après vingt longues années passées à lever les obstacles, au procès et à la condamnation du bourreau de Lyon. Pour nous transporter dans la Hongrie communiste sur les bords de la Tisza (affluent du Danube) où la jeune et fougueuse Ilona (mère des auteures), pourchassée par les bourreaux de la police politique (AVH), finira par émigrer en France. Sans oublier au passage un triste témoignage sur l’envoi à Prague des tanks du Pacte de Varsovie au cours de cette nuit d’août 68 (l’Histoire se répète…).  Enfin, les auteures nous content le destin de leur père István, jeune étudiant de Budapest emprisonné et torturé qui trouvera à son tour refuge en France (après maints détours et un long périple parcouru à pied...), taxé par le régime de „dissident”. Les survivants et descendants se retrouvant pour terminer pour une croisière sur le Rhin qui les mènera de Strasbourg à Coblence sur les traces de la Lorelei (nom du navire).

Tributaires

Au-delà du récit, qui nous tient de bout en bout en haleine, nous avons été séduits par le style, fluide, qui se lit aisément. Un récit agrémenté de belles descriptions, par moments poétiques, et surtout, fort bien documenté. Pour ce faire, les auteures ont ressorti et consulté les archives, tant en France qu’en Hongrie, et interrogé les témoins et leurs descendants. Ceci avec le plus grand scrupule pour mieux nous éclairer sur le contexte, parfois mal connu, des événements relatés. Au-delà de la romance, un livre d’Histoire précieux pour qui s’intéresse de près ou de loin aux périodes traversées.

Pour conclure, et c’est peut-être là l’essentiel, voire le but recherché à terme, sur le message à l’attention des jeunes générations pour assumer un devoir de mémoire, car nous sommes tous tributaires de notre passé dont nous nous devons de transmettre le souvenir à nos descendants. En cette période marquée par la montée des courants nationalistes et populistes, un message qui revêt toute son importance, voire son caractère d’urgence. A cet égard, la famille décrite, prise au sens large, offre un exemple édifiant, avec ses membres issus d’horizons différents, pour se présenter au final comme européenne. „Nous avions envie depuis longtemps de parler de notre double identité franco-hongroise et de ce chassé-croisé éclectique, culturel et ethnique qui a forgé notre famille si disparate, mais foncièrement européenne : elle se compose d’Alsaciens, de Hongrois, de Bourguignons, de natifs d’Algérie ou juifs de confession et même d’une Martiniquaise.  Mais tous français et européens. Et n’en déplaise à certains, c’est cela qui a forgé l’Europe d’aujourd’hui !” (Claire, co-auteure)

Un constat douloureux : tout au long des événements décrits, nous retrouvons une constante, la présence de tortionnaires avec leurs cruelles exactions, commises que ce soit au nom du nazisme ou du communisme, voire, dans les deux camps, au cours de la guerre d’Algérie. Constat que la triste actualité ne vient que renforcer.

Rédigée „à quatre mains”, les deux sœurs nous proposent ici non seulement une lecture prenante et émouvante, mais elles nous livrent un témoignage édifiant.

A mettre entre toutes les mains.

Pierre Waline

(1): Le Lys Bleu Éditions, 410 pages. Préface de Florence Labruyère, correspondante en Hongrie pour Libération, Radio France et RFI.

(2): Corvin: le corbeau, emblème du roi Mathyas Hunyadi, homonyme des auteures. Bisame: „tout le monde (ici présent)” en alsacien (utilisé lors des salutations), allusion à la terre natale des auteures  (Anne et Claire Hunyadi) . A prendre ici au sens extrapolé de deux âmes sœurs (les auteures, jumelles).

(3): avant-propos placé en exergue.

(4): les noms ont été modifiés, mais les faits rapportés demeurent réels.

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