Les Tributaires

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Roman-Fleuves

L’héritage culturel de l’Europe centrale pluriethnique autour du Danube a inspiré écrivains et poètes de la région, comme Claudio Magris et Péter Esterhazy et bien d’autres. Les fleuves sont des lieux mythiques mais qui appartiennent à notre quotidien à nos moments de bonheur et qui évoquent des moments tragiques de l’histoire. Autour de sept cours d’eau, les auteures reliées sous le nom de plume Bisame Corvin, nous retracent le destin étonnant parfois tragique de six personnages. Des récits qui remontent à la Seconde guerre mondiale et qui convergent de nos jours sous le pont de l’Europe à Strasbourg.

À la veille de la présentation du livre à la librairie Latitudes, nous avons rencontré l’une des auteures, Claire H.

JFB : Au début du roman, c’est au bord de La Lorelei sur le Rhin que se réunit une famille dispersée comme tant d’autres à travers le monde à cause des méandres de la politique. Quel était le leitmotiv et le but de votre livre ?

BC : Le leitmotiv de ce roman, ce sont les fleuves qui irriguent l’Europe, tel notre propre système sanguin ou les nervures d’une feuille : ils donnent vie et force à tout organisme. L’image des fleuves, c’est surtout celle du temps qui coule et qui se renouvelle, pourtant il semble immuable et éternel. Sous une surface lisse et policée, des courants divers charrient toutes sortes d’alluvions et de tourbillons. Il en est de même pour les hommes. Au sein d’une même famille, d’apparence unie, l’on peut retrouver les mêmes clivages politiques et sociaux-culturels que dans la société. Un peu à l’image de Caran d’Ache et son fameux dessin « surtout ne parlons pas de l’affaire Dreyfus », les querelles familiales autour des questions d’actualité et de société reposent aujourd’hui sur des idéologies tout aussi vivaces et contradictoires qu’autrefois. Les personnages de notre roman étaient confrontés à la dure réalité de la guerre : qu’il s’agisse d’un « Malgré-nous » alsacien obligé de se battre contre sa propre patrie ou d’un Pied-noir qui va servir l’OAS croyant défendre son Algérie natale. L’un des protagonistes a fui à pied le régime stalinien, un autre paiera de sa vie d’avoir diffusé des tracts communistes dans son usine. C’est tout ce paradoxe européen qui nous a interpellé à l’heure où, au lieu de rester unis, nous continuons à nous déchirer.

L’Europe scindée en deux, d’un côté le bloc communiste et sa réécriture de l’Histoire, de l’autre l’Occident démocratique et ses anciens démons fascistes ont façonné nos générations actuelles.  Pourtant, la dichotomie idéologique est bien présente aujourd’hui quand on écoute les candidats des extrêmes de l’échiquier politique actuel : le constat est amer : n’avons-nous rien appris ou seulement retenu de l’Histoire ? À l’heure des douloureux événements en Ukraine, dont le tyrannique assaillant rêve de refaire la Grande Russie impériale, toute l’Europe tremble devant la perspective d’une IIIe guerre mondiale. Quand notre roman a paru en décembre 2021, il se voulait un cri d’alarme contre les populismes dangereux qui gangrènent nos sociétés. Néanmoins, nous étions encore loin de nous douter de l’urgence de la situation : l’Europe est fragile. La vraie question qui se pose aujourd’hui : Est-il déjà trop tard ?

JFB :  Le nom de l’auteur Bisame Corvin est un peu énigmatique : qu’est-ce qui se cache derrière ce nom ?

Les TributairesBC : Nous avons choisi le patronyme de Corvin pour ne pas dévoiler de suite le nôtre. Je vous laisse le découvrir dans le roman. Quant à Bisame, cela veut dire en alsacien : tout le monde ici présent.  Au départ Nous devions être à plusieurs pour écrire cette histoire, finalement c’est avec ma sœur jumelle Anne que l’on s’est attelé à l’écriture avec toutefois l’aide d’autres personnes concernés par ces histoires. Nous avons recueilli les témoignages des descendants de ces protagonistes ou même de témoins encore vivants qui étaient aux premières loges de certains événements aujourd’hui historiques : comme le convoi des chars soviétiques allant réprimer dans le sang le Printemps de Prague ou lors du fameux « Je vous ai compris ! » du Général de Gaulle à Alger. Par ailleurs un long travail de recherches et de consultations de documents historiques se trouve en amont de cette narration. Nous avons dû corroborer certains détails auprès d’associations d'anciens combattants « Malgré-nous » et de Pieds-noirs, d’institut d’archives nationales comme ABTL à Budapest ou le musée d’Histoire de Szolnok. Nous voulions que malgré le côté romancé, tout y soit véridique et vérifiable.

C’est donc un roman écrit à quatre mains. Toutes deux nées à Strasbourg, capitale de L’Europe - était-ce un signe ? -  nous avions envie depuis longtemps de parler de notre double identité franco-hongroise et de ce chassé-croisé éclectique, culturel et ethnique qui a forgé notre famille si disparate mais foncièrement européenne : elle se compose d’Alsaciens, de Hongrois, de Bourguignons, de natifs d’Algérie ou juifs de confession et même d’une Martiniquaise.  Mais tous français et européens. Et n’en déplaise à certains, c’est cela qui a forgé l’Europe d’aujourd’hui !

JFB :  Dans l’excellente préface, Florence La Bruyère évoque héros et anti-héros, des gens ordinaires voués à un destin extraordinaire. Quels sont les héros au sein de votre famille ?  Et quel message pour les jeunes ?

BC : - Oui, Florence La Bruyère (que je remercie et salue ici au passage) a très bien formulé cette extraordinaire force qui peut naitre du danger. Je ne voudrais pas spoiler : je dirais seulement que dans notre histoire, vous lirez peu d’actes vraiment héroïques, je dirais plutôt tragiques, parfois insoutenables mais surtout courageux et pugnaces alliant la ténacité à l’esprit du devoir. C’est dans l’adversité que l’on se découvre combattant héroïque. Cette multitude de petits héros qui ont fait l’Histoire m’émeut toujours autant aujourd’hui. Regardez le président Zelensky : qui eut dit qu’un homme, juste acteur au début de sa carrière, pût insuffler une telle force, un tel courage à toute une nation. Vraiment je l’admire. C’est un homme debout. C’est un étendard. Dans l’Histoire, il y a toujours eu de petites gens qui ont accompli d’incroyables choses et sauvé leur pays. Qu’il s’agisse d’une petite bergère française devenue redoutable femme de guerre ou de parfaits inconnus, restés dans l’oubli, comme ce petit peuple de résistants morts anonymement pour la France, ou Alan Turing pour ne citer qu’eux. Quel jeune d’aujourd’hui connait encore le nom de Raoul Wallenberg par exemple ?  Je me devais de lui rendre hommage dans notre roman.

Notre génération a eu de la chance d’être née dans une Europe en paix. Les précédentes ont eu leur lot d’atrocités guerrières. Nous sommes tous tributaires du passé et nous avons un devoir de mémoire à transmettre.  Nous nous croyions épargnés : les événements en Ukraine nous prouvent le contraire. Notre roman se retrouve propulsé au cœur même de ce sujet d’actualité.

À la veille des élections simultanées en Hongrie et en France, nous avons aussi pensé à l’avenir des jeunes avec un message fort : votre avenir est entre vos mains ! Ne laissez pas les autres choisir pour vous ! l’absentéisme pour sanctionner une politique gouvernementale est un non-sens. Votre avenir doit s’exprimer à travers les urnes, certains ont donné leur vie pour ce droit. La démocratie n’est pas parfaite mais l’on a, pour l’heure, rien trouvé de mieux et comme rien n’est jamais vraiment acquis, ne galvaudons pas ce bien précieux.

JFB :  Avez-vous pensé à une traduction hongroise de votre roman ?    

BC : - Oui bien entendu. Une traduction est en cours de finition. J’ai d’ailleurs invité notre traductrice, Irén Józsa à nous rejoindre pour la présentation du roman le 7 avril prochain à la Librairie Latitudes, dans les murs de l’Institut français.  Elle vient tout spécialement de Transylvanie pour cette occasion. D’ailleurs nombre de lecteurs du JFB sont roumains francophones et je profite de l’occasion que vous m’offrez pour dire que nous sommes à la recherche d’un éditeur hongrois ou roumain ungarophone pour la publication de la version hongroise des Tributaires : « Az Utódok »

Avec Anne qui se joint à moi depuis Dijon, je vous remercie pour cet entretien.

https://www.bisame-corvin.com/

https://www.latitudes.hu/fr/programok

Propos recueillis par Eva Vamos

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