Lecture : „Le ciel bleu au fond du puits”

Lecture : „Le ciel bleu au fond du puits”

Basilides

Souvenirs d´un enfant hongrois réfugié en Suisse.

(1944-1976)

Né sous les bombes lors du siège de Budapest (1944), cet enfant nous relate ses souvenirs. Au travers de petites anecdotes, il nous introduit dans son quotidien, anecdotes confiées en toute innocence. Dans un pays dévasté par la guerre, soumis à un régime totalitaire, au sein d´une famille divisée (absence du père), l´enfant ne comprend pas ce qui lui arrive. Puis survient Octobre 56 et la Révolution. Suivant leur mère, l´enfant, alors âgé de douze ans, et sa sœur, quittent le pays. Ici commence une nouvelle aventure, la découverte d´un nouveau monde jusqu´alors insoupçonné, le monde libre de l´Ouest. Découvert avec surprise et ébahissement, mais non sans sacrifices (efforts d´intégration, apprentissage de la langue, éloignement de la terre natale). En l´occurrence la Suisse.

L´auteur, Bálint (Valentin) Basilides, a pris délibérément le parti, pour rendre son récit plus vivant, à la façon d´un conte, de ne citer aucun nom, ni aucune date, son héros étant présenté à la troisième personne. Le tout écrit au temps présent. Exprimé en phrases brèves, utilisant le vocabulaire d´un enfant (et d´un adolescent). „Par une suite de tableaux brefs, l´auteur nous présente le quotidien d´un passé récent. La vie sans téléphone, sans ordinateur, les bureaux sans électronique, l´imprimerie des typographes et l´arrivée du premier poste de télévision. Il décrit les bouleversements de la séparation et de l´exil, mais aussi la formidable force de l´optimisme. „ (notice de description).

Derrière le récit, au travers de détails apparemment anodins de la vie quotidienne, nous est servie une description des événements, d´autant plus crédible et fidèle qu´elle sort de la bouche d´un enfant sans préjugés.  A commencer par la présence de l´occupant russe, officiellement présenté en libérateur, mais décrit par les adultes comme auteur des pires méfaits (vols, viols) que l´enfant, trop jeune, ne peut comprendre. Puis les privations du régime Rákosi et la méfiance envers le voisinage. Mais aussi une amitié naissante entre enfants et … adultes. Pour aboutir aux „événements” d´octobre 1956 où tout se précipite et se bouscule. Avec l´enrôlement d´enfants et adolescents aux côtés des combattants. Observé avec prudence par notre jeune ami. Enfin, la décision prise par la mère de quitter le pays, et ce sans attendre la suite (fatale) des événements. Passage en Autriche avec la complicité d´un garde-frontière. Découverte de „l´autre côté”, villages propres, routes entretenues accusant le contraste avec sa Hongrie natale. Arrivée, accueil et hébergement à Vienne, au milieu de la foule des réfugiés. Puis le départ pour la Suisse.

Pourquoi la Suisse ? Aucun état d´âme : tout bonnement car c´est l´un des voisins les plus aisément accessibles. Direction Zurich, métropole germanophone, la maman maîtrisant parfaitement l´allemand. Et là, vient une touche d´humour pour pimenter le récit (qui en regorge). Aussitôt passée la frontière, effarement de la maman qui découvre les charmes du Schwytzerdütch (2).  A mille lieues de son cher Hochdeutsch. Du coup, plutôt que de meurtrir ses oreilles (et assimiler un nouveau vocabulaire jugé impossible), décision de se tourner vers le français, qu´elle n´aura en définitive pas trop de mal à apprendre et de se rendre donc en Suisse romande. Élément décisif dans ce choix : la maman apprend que c´était la patrie de son idole Jean-Jacques Rousseau (et le jeune garçon, la patrie du chocolat !).

Encore une fois, sans mention de noms, ni de dates. La suite : difficultés d´assimilation, en dépit d´un généreux accueil de la part de la population. Découverte d´une culture et mentalité totalement étrangères, difficultés liées à l´apprentissage d´une langue au départ mal maîtrisée, moments de révolte (propres à l´adolescence), et surtout apprentissage de la pauvreté et du besoin de survie. Pour aboutir en fin de compte à une intégration réussie, agrémentée par l´entourage de nouveaux amis, la fondation d´une famille (mariage), le tout couronné par l´acquisition de la nationalité helvète. Heureux aboutissement, s´il n´était une ombre au tableau : la disparition tragique de la mère, sujette à une forte dépression. Au passage, brève retrouvaille avec le père, dans une dernière entrevue, se sachant condamné pour suivre la maman un an plus tard.

Telles se déroulent sous nos yeux trente années de la vie d´un jeune Hongrois entre la Suisse et son pays natal. Avec en toile de fond trente années d´une Europe en pleine évolution (de la fin de la Guerre aux premiers pas sur la lune…). Le tout narré dans un style simple, fluide, agréable à la lecture (3).  Aujourd´hui, l´auteur vit en Hongrie, près des rives du Balaton où ils se sont installés avec son épouse suissesse, artiste-peintre. Mais tout en gardant un contact suivi avec sa patrie d´adoption où vivent leurs trois enfants.

Présent lors de la présentation de l´ouvrage aux journalistes (nombreux dans la salle) à la Maison de la presse, l´ambassadeur de Suisse en Hongrie, Jean-François Paroz nous apprend que, suite à la Révolution, douze mille Hongrois ont choisi la Suisse, dont beaucoup, comme notre auteur, ont finalement regagné le pays. Oeuvrant activement pour les relations entre les deux pays, ayant entre autres créé des associations. Mais aussi, dans l´autre sens, ont été créés des clubs de Suisses en Hongrie. Jean-François Paroz qui, par sa présentation dépersonnalisée, nous présente l´ouvrage comme ayant une portée universelle.

Une happy end, donc. Une touche d´optimisme que l´auteur a voulu rendre dans le titre de son ouvrage. Le puits, par sa profondeur obscure, suscitant généralement la crainte auprès des enfants. Mais certains y voyant au contraire le reflet du ciel bleu. Tel Valentin (Bálint) Basilides que nous recommandons aux lecteurs (francophones ou magyarophones). (4)

Pierre Waline

(1): publié en Suisse aux éditions Alphil. Il en existe une version hongroise „A kék ég a kút mélyén” publiée aux éditions „Tevan (Új sorozat)”.  

(2): un exemple de suisse allemand (proche de l´alsacien):„Bonjour,  j´arrive” : „Gruezi, I´komm gli”.

(3): ayant pour notre part lu la version hongroise (rédigée par l´auteur lui-même), mais tout aussi fluide et agréable à la lecture.

(4): Valentin Basilides, lui-même artiste, a jadis exposé à Budapest (Maison de la Presse) avec son épouse Marcelle Vallon.

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