Lecture : „Grands musiciens, grandes idylles” par Ádám Bősze

Lecture : „Grands musiciens, grandes idylles” par Ádám Bősze

BÁDÁM

Les auditeurs de la chaîne de radio classique hongroise, (Bartók rádió, équivalent de notre France Musique) le connaissent bien. Ádám Bősze y a de longues années durant animé de nombreuses émissions consacrées à nos compositeurs favoris, sans compter les présentations de concerts. Aujourd´hui retiré à son compte, Ádám Bősze sillonne le pays pour y donner des conférences, faisant toujours salles pleines. Sur des sujets aussi variés - parfois inédits - que „les Compositeurs devant la mort”, „Les voyages en musique” ou encore „Liaisons sentimentales”. C´est ce dernier thème qu´a retenu le conférencier pour sortir son premier ouvrage : intitulé „Grands musiciens, grandes idylles. Secrets d´alcôve” (publié en hongrois (1).). Pour ce premier essai, l´auteur a porté son choix sur dix noms (dont celui d´une femme) s´étalant de la Renaissance au XXème siècle. Choix volontairement limité pour ne pas alourdir l´ouvrage. De Gesualdo à Britten en passant par Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Fanny Hensel (Mendelssohn), Wagner et Puccini. 

Si certains noms nous sont connus pour leurs relations conjugales ou de cœur, tel Beethoven et son „Immortelle bienaimée” ou encore Mozart et son épouse Constanze, d´autres le sont moins. Au demeurant pas toujours – contrairement au titre – sous la forme d´une idylle. Tel Haydn qui dut souffrir d´une épouse acariâtre – mais ne manqua de se consoler dans d´autres bras plus accueillants….

 Un ouvrage qui nous réserve des surprises. Pas forcément propres à susciter ou renforcer notre sympathie. La plus flagrante est le cas de Gesualdo (XVIème siècle) qui, lassé de se voir trompé par son épouse Donna Anna, en vint à la faire purement et simplement assassiner en compagnie de son amant dans un bain de sang cruel. Il ne dut qu´à sa noble ascendance de ne pas se voir condamné, se résignant à un bref exil. Le plus savoureux est que sa seconde épouse le trompa tout autant. Dans d´autres cas - sans aller jusque-là…, le comportement „marital” de certains ne saurait être donné en exemple. A commencer par Wagner qui, par un égoïsme outrancier, se montra infernal vis-à-vis de sa première épouse Minna. Ce qui, réflexion faite, n´a rien de trop étonnant quand on sait l´égocentrisme du musicien. Son second mariage avec Cosima, la fille Liszt, sera plus heureux (2). (Relation qui n´est pas abordée dans l´ouvrage). Autres cas d´épouses délaissées : Emma (ancienne compagne de Fauré) chez Debussy et Elvira, épouse malheureuse de Puccini (ce dernier multipliant les aventures à en faire presque pâlir d´envie un Don Juan...). Parmi ces liaisons, une qui fit scandale par la mort d´une employée du couple, Dora, mort prétendument imputée aux scènes de jalousie de l´épouse.

Mais de belles histoires également. A commencer par Fanny, sœur de Mendelssohn, et son époux Wilhelm Hensel. Fanny présentée comme musicienne de talent, adorée par son frère, quoique ce dernier plus enclin à la reléguer aux tâches ménagères. Fanny qui mourut prématurément à l´âge de 42 ans, suivie de peu par Félix (âgé de 38 ans). Autre mariage sans ombre : Wolfgang et Constanze. Union au départ un peu forcée par la maman Weber (Mozart ayant d´abord jeté son dévolu sur la sœur Aloysa…) et qui suscita longtemps les foudres du papa Léopold (avant de donner sa bénédiction à la dernière minute). Constanze, souvent malmenée par les biographes, bien injustement. Son tort : avoir été la compagne d´un génie. S´il est vrai que, quoique bonne chanteuse (3), elle se montra peu sensible à la musique de son mari (du moins, pas comme il eût fallu), elle se révéla une épouse discrète, fidèle et dévouée, qualités appréciées par son mari. Ils eurent six enfants en neuf années (dont quatre morts prématurément).

Moins heureux fut le mariage de Joseph Haydn. D´abord tenté par la soeur, il se rattrappa sur la cadette, fille d´un pérruquier de Vienne (heureux de caser sa fille..)- Mal lui en prit. Maria-Anna se révéla totalement fermée à toute forme de culture, ingrate et de caractère difficilement supportable. Mais ne plaignons pas trop vite notre ami. Il trouva facilement consolation auprès d´une jeune et belle Napolitaine qui accompagnait à la cour des Esterházy un vieux mari souffreteux, un certain Polizello, qui venait de se faire engager dans l´orchestre. Haydn avait 47 ans, la belle Luigia 19… Si le mari eut le bon goût de disparaître assez tôt, l´épouse Maria Anna tint encore de longues années.

Avant d´aborder le cas Beethoven, un mot sur Schubert. Tombé amoureux d´une certaine Teresa Grob, amour partagé. Teresa, sans être une beauté était sympathique, intelligente et bonne chanteuse. Ils s´aimèrent sincèrement, mais le père s´opposa à l´union de sa fille avec un prétendant démuni. Aussi finit-elle par épouser un boulanger. Réaction résignée de Schubert : „Le destin en a voulu ainsi”. Autre coup de cœur, une noble hongroise, Caroline Esterházy. Amour bien évidemment impossible. Partagé ? Nous l´ignorons, mais objet d´une vive affection de la part de Caroline. (Schubert se rattrapa sur la servante, la belle Pépi.)

Reste le cas Beethoven et son „Immortelle bienaimée” qu’a fait couler des tonnes d´encre.  Destinataire de deux lettres trouvées dans ses affaires après sa mort, que l´on n´a pu identifier de façon sûre. Beethoven – il l´avouait lui-même – se montrait sensible au charme féminin et voyait le mariage comme un noble but. Ce en quoi il échoua. Tout d´abord avec une certaine Magdalona Willmann côtoyée à Bonn, puis avec la belle Giulietta Guicciardi, son élève, cousine des sœurs Brunswick, à qui il dédia la Sonate au Clair de Lune. Échec qui lui fut particulièrement amer. Plus heureuse fut sa relation avec les sœurs Brunswick, également ses élèves. Qu´il fréquenta en leur résidence de Martonvásár (Hongrie). Pour en revenir à l´immortelle bienaimée, l´auteur s´est prêté à une véritable enquête. C´est ainsi qu´il avance successivement les noms de Teresa Malfatti, Maria Erdőssy (une Hongroise), Joséphine Deym (Brunswick) et Bettina Brentano. Après avoir écarté les deux premières, pour retenir ces deux dernières (Joséphine, Bettina) comme possibles élues, avec un léger avantage pour Bettina (4). Mais peu importe, respectons le secret.

Un dernier nom que je n´ai pas mentionné : Benjamin Britten. Non que je le connaisse mal et qu´il fût homosexuel, il n´était pas le seul (cf. Tchaikowsky). Mais que sa liaison avec un certain Peter, par le ton par trop enflammé de leur correspondance, me semble quelque peu outré, voire dérangeant.

Voilà. Bien d´autres noms auraient pu être avancés. A commencer par le couple Robert-Clara Schumann (et son amitié avec Brahms), ou encore le couple Chopin-George Sand ou encore Liszt-Marie d´Agoult, parmi tant d´autres. Ce sera probablement pour un prochain livre, du moins espérons-le. 

Un premier essai, donc, où l´auteur fait preuve d´un don indéniable de narration, dans un style non dépourvu d´humour, dont le principal atout est de nous livrer nombre de témoignages directs (correspondances, récits) que l´auteur a pris soin de traduire lui-même. Lecture que nous ne saurions que recommander aux mélomanes et autres …. pour peu qu´ils lisent le hongrois (en attendant, qui sait?, une traduction en français).

Pierre Waline

(1): „Nagy zenészek, nagy szerelmek. A zenetörténet hálószobatitkai”. Éditions  Libri .

(2):  Cosima qu´il est allé chiper sans scrupule à son admiratur, le chef Hans von Bülow dont elle était  l´épouse.

(3):  elle se vit confier le rôle de Konstanze pour la création de l´Enlèvement au Sérail.

(4):  toutes deux mariées. Joséphine, de 8 ans sa cadette, victime de deux mariages malheureux, prématurément décédée. Betttina, de 14 ans sa cadette, originaire de Francfort, amie de Goethe (avec qui elle se brouilla).

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