Institut français de Budapest: présentation d’un ouvrage sur la vie littéraire dans le Paris des années 1840 autour des relations entre la poétesse Louise Colet et Gustave Flaubert, par Eszter Röhrig (1)
En 1846, le jeune Gustave Flaubert, encore pratiquement inconnu, rencontre dans l’atelier du peintre James Pradier une certaine Louise Colet. Il est âgé de 25 ans, elle de 36. Ils deviendront amants. Elle quitte son mari l’année suivante, mais la liaison, qualifiée d’orageuse, ne durera guère. (Nous laissant néanmoins une riche correspondance.)
Qui était-elle ? Née à Aix-en Provence, Louise Révoli (1810-1876) épouse à 24 ans le musicologue et compositeur Hyppolite Colet et le suit à Paris. Paris, où elle publie des poèmes, reconnus dès l’année suivante par un prix de l’Académie française. Appréciée entre autres par Victor Hugo, dénigrée par son ancien amant, Louise tient un salon fréquenté par des écrivains et artistes de renom. Par ailleurs, réputée pour sa beauté. Dès lors, sa notoriété ira grandissante pour tomber progressivement dans l’oubli à l’aube du siècle suivant.
Femme de caractère, engagée (amie des fouriériste), Louise aura marqué en son temps la vie du tout Paris. N’ayant pas hésité à agresser au couteau (!) un journaliste qui avait révélé sa relation avec le philosophe Victor Cousin dont allait naître une fille (2).
Le titre, tout d’abord : „Je ne serai plus jamais ici” („Nem leszek elérhető, soha többé”). Reprise d’une phrase concluant une des dernières lettres de Flaubert à sa maîtresse, lui signifiant qu’il lui fermait sa porte et ne souhaitait plus la revoir. Message clair, mais peu délicat….
Sous la forme d’un roman mêlant réalité et fiction, l’auteure nous offre un récit faisant directement intervenir, sous des noms d’emprunt, les deux protagonistes. Un récit vivant au travers duquel se révèlent peu à peu les traits de caractère de deux amants entre dialogues, confidences et aveux. Avec en toile de fond la vie du monde littéraire dans ce Paris de l’époque. Un livre qui nous invite dans le monde du romantisme, offrant un récit fidèle de la vie intellectuelle et artistique du Paris de ce milieu du XIXe siècle. Pour ce faire, l’auteure s’est appuyée sur la correspondance laissée par Flaubert. Correspondance à travers laquelle elle a tenté de cerner la personnalité de Louise Colet, tâche peu aisée quand on sait toute la contradiction qu’a suscitée la poétesse dans les témoignages et jugements de ses contemporains.
Pour ce faire, Eszter Röhrig a effectué un long et scrupuleux travail de recherche dans les archives, notamment pour les rares letrtres qui nous sont restées de Louise (3). De sorte que, tout en optant pour la forme d’une fiction (dialogues, récits), celle-ci ne trahit en aucun moment la réalité des faits, scrupuleusement respectés, la forme choisie n’étant là que pour rendre le tout plus vivant, mieux nous intégrer dans le quotidien de nos deux personnages et de leur entourage. Louise, une personne difficile à cerner, tantôt encensée, tantôt vouée aux gémonies. Ce que l’on sait est qu’à la différence de Flaubert, soutenu par sa mère et jouissant sur le tard d’un confortable héritage, Louise Colet, femme dépensière, vivait souvent dans le besoin et écrivait surtout dans le but d’assurer son existence. Femme passionnée qui eut simultanément plusieurs liaisons, dont Musset (comme toujours l’amant de service…). Sa liaison avec Flaubert ? Huit années, moyennant plusieurs longues interruptions (voyage de Flaubert en Orient) et beaucoup de distance. Retiré en Normandie dans sa maison de Croisset entre sa chère mère et ses chers livres, Flaubert allait être bientôt accaparé par l’écriture de Madame Bovary (1850-1856) ne souhaitant nullement être dérangé, souvent exaspéré par les approches de Louise(4). Une liaison pour le moins tumultueuse, néanmoins empreinte, au vu de la correspondance, d’échanges non inintéressants au plan littéraire.
Le tout relaté par l’auteure dans un style élégant, imagé nous en rendant la lecture captivante. Une découverte. En attendant - qui sait ? - de le voir un jour traduit dans notre langue.
Pierre Waline
(1): „Nem leszek elérhető, siha többé” en hongrois, publié aux éditions Napkút Kiadó, Budapest.
(2): Légèrement blessé sans gravité, ledit journaliste, alors en vogue, Alphonse Karr (ami de Victor Hugo), ne porta pas plainte mais exposa le couteau sur le mur de sa chambre avec cette inscription : « Donné par Louise Colet… dans le dos ».
(3): l’usage de l’époque était qu’à terme, le destinataire restituât sa missive à l’expéditeur, usage apparemment peu respecté par Flaubert. Lettres dont une partie fut d’ailleurs brûlée.
(4): Madame Bovary où l’on retrouvera au demeurant nombre traces de leur relation.
- 25 vues