Casoar enquêtes historiques
Le 23 octobre est l'une des fêtes nationales hongroises. Bonne occasion pour se pencher sur un des meilleurs livres qui aie été écrit sur cet événement et mieux connaître le travail sérieux de journaliste et enquêteur de l'un des auteurs.
C'est en 2006, pour les cinquante ans de la révolution hongroise, qu'est paru « Les héros de Budapest » d'Eszter Balázs et Phil Casoar.
L'éditeur « Les Arènes » présente le livre ainsi :
« C’est l’histoire d’un cliché légendaire de Paris-Match, une icône du photojournalisme et de la révolution hongroise de 1956. Qui était ce couple de jeunes gens révoltés ? Qui les a photographiés ? Que sont-ils devenus ? Ce livre est le récit de six ans de traque sur trois continents pour rassembler les pièces d’un mystère historique aux multiples ombres et facettes. Ce reportage rigoureux et inclassable rend hommage à ces gavroches des faubourgs ouvriers de Budapest qui bravèrent les blindés de l’Armée rouge. Un livre d’histoire vivant, original et captivant. »
Lors de la rédaction de l'ouvrage, j'ai eu la chance de rencontrer les auteurs, puis de me lier d'amitié avec Phil Casoar. Naturellement je me suis intéressé à son travail.
Phil Casoar est journaliste et dessinateur, ancien collaborateur d’Actuel et de Libération. Il est l'auteur de la bande dessinée Les Aventures épatantes et véridiques de Benoît Broutchoux (avec Stéphane Callens), et du documentaire Ortiz, général sans Dieu ni maître (réalisé en compagnie d'Ariel Camacho et Laurent Guyot). En 1994, Phil Casoar a préfacé dans la collection "Bouquins " chez Robert Laffont les Œuvres autobiographiques d'Arthur Koestler. En 2006, Phil Casoar a publié Les Héros de Budapest avec Eszter Balázs. En 2022 est paru L'Arsène Lupin des galetas, dont nous avons parlé ici même le 6 février 2023.
Cette liste n'est pas exhaustive, mais montre bien l'attrait de Phil Casoar pour les enquêtes historiques. En février, nous lui avons demandé ce qui l'attire dans l'histoire du vingtième siècle. Il a répondu : « Il est plus facile d’enquêter sur une période encore proche. Des témoins, parfois centenaires, sont encore vivants. Les régimes totalitaires et policiers du XXème siècle, avec leur manie de l’espionnage et du fichage, ont travaillé sans le savoir pour les chercheurs et les historiens d’aujourd’hui, d’où une manne de documents à exhumer des archives. Et d’une manière générale, il est plus facile de se mettre dans la peau de gens qui ne vous ont précédé que de deux ou trois générations. Je ne pourrais pas me glisser dans les cothurnes d’un habitant de la Grèce antique ! »
Voyons les œuvres citées : Les Aventures épatantes et véridiques de Benoît Broutchoux est classé BD (bande dessinée) ce qui n'est pas tout à fait juste car de la documentation est intercalée entre les planches, notamment des photographies données par la famille. Stéphane Callens, avec qui Phil Casoar avait réalisé cet album, explique cela dans un entretien sur FR3 en 1993, que le lecteur peut trouver à cette adresse : https://benoitbroutchoux.wordpress.com/category/hommage/les-aventures-epatantes-et-veridiques-de-benoit-broutchoux/ Benoît Broutchoux était véritable héros populaire dans le bassin minier du Pas-de-Calais. Anarcho-syndicaliste et co-fondateur du syndicat CGT des mineurs, il lutta activement contre l’ordre des compagnies minières et la mollesse des socialistes réformistes. Militant original et gouailleur, Broutchoux anima en 1906 la grande grève qui suivit la catastrophe de Courrières et ses 1100 victimes. Journaliste, défenseur des transports gratuits, propagandiste de la libre maternité et du contrôle des naissances. Sa gouaille, ses actions tonitruantes, ses nombreuses arrestations et ses condamnations pour perturbation de l'ordre public, résistance aux forces de l'ordre etc, ont décidé Phil Casoar à dessiner en s’inspirant des Pieds-Nickelés, ce trio de sympathiques filous créés par Louis Forton.
Le succès de ce livre est prouvé par les trois réimpressions en 1980 et une réédition en 1993. Une version augmentée, revue et corrigée, est en préparation.
« Ortiz, général sans Dieu ni maître »
Film documentaire d’Ariel Camacho, Phil Casoar, Laurent Guyot, (1996) 1h49mn. Ce film retrace l’itinéraire d’Antonio Ortiz (1907-1996), l’une des dernières figures historiques de la révolution libertaire espagnole de juillet 1936. Il raconte son périple jusqu’à son dernier baroud avant l’exil au Venezuela : un spectaculaire attentat… manqué, contre Franco.
Tourné trois mois avant sa mort, enrichi de documents d’époque et d’images d’archives, ce film permet à Ortiz de retracer son périple.
Il fut guérillero à Barcelone, membre des groupes anarchistes Los Solidarios puis de Nosotros, chef de colonne en Aragon pendant la guerre civile. En Exil, il devient soldat engagé en Afrique et en France pour poursuivre son combat contre le fascisme.
Ortiz ne cache rien des contradictions engendrées par l’expérience révolutionnaire.
« Œuvres autobiographiques d'Arthur Koestler »
C'est devenu un ouvrage de référence. En 2005, Le Monde y fait référence avec une phrase tirée de la quatrième de couverture : "La vie d’Arthur Koestler était un trépidant steeple-chase à travers le siècle".
Effectivement, né en 1905 à Budapest et décédé en 1983 à Londres, ce romancier et journaliste a vécu bien des aventures et des mésaventures qu'il partage avec ses lecteurs dans ses romans. Juif hongrois de langue allemande, il étudie à Vienne, devient un des responsables du mouvement sioniste. A l'âge de vingt ans, il part vivre dans un kibboutz. De cette expérience, il tirera « La Tour d'Ezra ». L'agriculture ne lui convient pas, il devient journaliste à Haïfa, puis à Paris et Berlin. Communiste, le voici agent du Komintern. En 1933, il s'installe à Paris où parait son premier roman « Les Aventures d'exil du camarade Cui-Cui et de ses amis ». Il couvre la guerre d'Espagne pour un journal anglais. Capturé et condamné à mort avant d'être libéré par échange de prisonniers, il en tire « Un testament espagnol ». Suite aux procès de Moscou, il quitte le parti communiste. Au début de la deuxième guerre mondiale, il est interné comme « étranger indésirable » au sordide camp du Vernet (où ont séjourné également l’anarchiste Antonio Ortiz et Raoul Saccorotti, le Lupin des galetas !) avant d’être libéré grâce aux pressions anglaises. Sous un faux nom, il s'engage dans la Légion étrangère, qu'il déserte après la débâcle de juin 40 pour rejoindre Londres. « La Lie de la terre » raconte cet épisode français. Et ça continue ainsi à travers une quarantaine de livres, que le lecteur intéressé découvrira sur la toile ou dans les bibliothèques.
Après avoir préfacé et édité ce volume dans la collection Bouquins, Phil Casoar, intrigué par les romans policiers que Koestler avait co-signé avec son ami et mentor Andor Németh, est venu à Budapest faire des recherches dans les archives du musée Petőfi. Il avait besoin de l'aide d'une personne maîtrisant le hongrois et le français, c'est ainsi qu'il a rencontré Eszter Balázs, qui collaborera pour les « Héros de Budapest ».
« Les héros de Budapest »
En plus de la recherche sur les deux jeunes gens de la photo prise pour Paris-Match le lecteur y découvre les cadres politiques et sociaux de l'époque en Hongrie et aussi dans les pays d’accueil.
En 2016 est parue la traduction hongroise, avec en complément le récit des découvertes faites depuis l’édition française. Aux lecteurs qui comprennent le hongrois, il est conseillé de lire les quatre pages de ce post-scriptum qui apportent un éclairage sur les conditions kafkaïennes des recherches dans les archives, plus particulièrement en Hongrie.
Ici ce trouve aussi une remarque sur le genre de livre créé par Phil Casoar :
« Une enquête comme celle-ci n’est jamais bouclée. A priori la montre joue contre nous : les derniers témoins potentiels que nous pourrions encore dénicher vont finir par disparaître. Pourtant il se produit aussi un travail secret du temps, comme celui de l’érosion qui ramène à la surface du sol fossiles et ossements dans les champs. Un truc neuf peut toujours surgir : témoignage surprise, document inédit, prolongement inattendu. Et surtout, grâce aux moteurs de recherche, on peut désormais pêcher sur Internet de nouvelles données sans cesse mises en ligne. »
« L'Arsène Lupin des galetas » :
Pour le moment, il n'y a rien de neuf à ajouter à ce qui a été publié ici le 6 février 2023 à propos des aventures de ce monte-en-l’air alpin et transalpin…
Désormais, Phil Casoar prépare, à nouveau avec Ariel Camacho, « Le petit phalangiste » (1), un livre-enquête qui devrait prolonger le reportage qu’ils ont publié en 2010 dans la revue XXI.
Comme le lecteur le devine, Phil Casoar a ses entrées chez les anarchistes. Au printemps 1983, Charles Carpentier dit « Charlot » lui raconta comment, en août 1936, lui et ses camarades du Groupe international de la colonne Durruti avaient capturé un jeune phalangiste combattant côté nationaliste sur le front d’Aragon. Il poursuit : « Le prisonnier, on l'a passé de l'autre côté de l'Ebre en barque. Et ce jeune, il a été remis aux Espagnols, il a fini par être fusillé. Ben ouais, on a tous été affectés par cette histoire… ».
En 1938, dans une lettre à l’écrivain George Bernanos, dont venait de paraître Les Grands cimetières sous la Lune, la philosophe Simone Weil, qui faisait partie du même groupe de volontaires internationaux que Carpentier, rapporte l'histoire de l'exécution de ce garçon de 16 ans : « Aussitôt pris, tout tremblant d'avoir vu tuer ses camarades à ses côtés, il dit qu'on l'avait enrôlé de force. On le fouilla, on trouva sur lui une médaille de la Vierge et une carte de phalangiste ; on l'envoya à Durruti, chef de la colonne, qui, après lui avoir exposé pendant une heure les beautés de l'idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir et s'enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l'avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. Durruti donna à l'enfant vingt-quatre heures de réflexion ; au bout de vingt-quatre heures, l'enfant dit non et fut fusillé. Durruti était pourtant à certains égards un homme admirable. La mort de ce petit héros n'a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l'aie apprise qu'après coup. » En 1948, à la mort de Bernanos, la lettre est rendue publique dans une revue, à la suggestion d’Albert Camus. Un débat sur la violence révolutionnaire s'ensuit. Un ancien membre du Groupe international de la colonne, l’anarchiste Louis Mercier, nuance le témoignage de Simone Weil, qui, blessée, n’était plus là au moment des faits.
Bien entendu, notre enquêteur veut savoir ce qui s'est réellement passé. En 2010, avec son ami Ariel, ils cherchent témoins et documents. Ils en trouvent, notamment le frère de la victime, des actes juridiques, etc, et découvrent une histoire cruelle qui raconte la guerre civile espagnole au ras des villages d’Aragon. Ils travaillent maintenant à approfondir cette enquête, qui s’est enrichie depuis sa première publication de nouveaux rebondissements.
Souhaitons longue vie et bonne santé à Phil Casoar, ainsi il pourra encore nous surprendre avec les secrets du passé récent.
Bálint Géza Basilides
(1) Titre provisoire