Les révolutions de 1848 en Hongrie et en Suisse
Une des fêtes nationales hongroises est le 15 mars, en commémoration de la révolution de 1848. Elle est officiellement appelée « Révolution et Combat pour la liberté ».
C'est l'occasion d'évoquer le tsunami révolutionnaire de 1848 qui a bouleversé une grande partie de l'Europe. Après Paris des soulèvements ont eu lieu à Francfort, Vienne, Ferrare, etc.
Toutes ces révolutions connurent l'échec, rois et empereurs gardèrent en effet le pouvoir. À une exception près : La seule révolution réussie est celle de la République et Canton de Neuchâtel, en Suisse. Un territoire si petit que l'on oublie d'en parler.
Pourtant, en paraphrasant une célèbre bande dessinée : « L'aristocratie occupe toute l'Europe. Toute ? Non, un petit canton suisse résiste encore et toujours ! ».
Prenons connaissance de l'histoire des derniers siècles de ce vingt-et-unième canton de la Confédération helvétique.
Lors du décès en 1707 de Marie de Nemours, souveraine de la région, l'élite neuchâteloise crée le « tribunal des Trois-États ». Ce nouvel organe doit désigner le successeur de la princesse. Les membres du tribunal sont des représentants de la noblesse, des officiers et des châtelains et enfin, de la bourgeoisie. Les juges neuchâtelois attribuent au roi de Prusse la souveraineté de la principauté de Neuchâtel. S’ils se choisissent comme suzerains les rois de Prusse, des Hohenzollern, leur première motivation est d'ordre religieux : Neuchâtel, comme la Prusse, est protestant. Ainsi, ils sont assurés d'avoir un souverain qui respecte leur confession. La seconde motivation est politique : l'éloignement géographique par rapport à la Prusse leur permet une relative autonomie par rapport au roi.
En 1806, Napoléon, après avoir obtenu par un échange avec le roi de Prusse la Principauté de Neuchâtel, en fait cadeau au maréchal Louis-Alexandre Berthier.
Après la chute de Napoléon, le 12 septembre 1814, la principauté de Neuchâtel adhère à la Suisse. La Diète fédérale réunie à Zurich admet la principauté de Neuchâtel dans la Confédération suisse, comme 21ème canton. L'acte final du congrès de Vienne en 1815 reconnaît au roi de Prusse la qualité de prince de Neuchâtel et à Neuchâtel le statut de canton suisse.
Dès les années 1820, alors que dans d’autres cantons suisses la contestation monte contre les régimes oligarchiques en place, le lien entre Neuchâtel et la Suisse devient synonyme de démocratie et d’opposition au régime royaliste en place à Neuchâtel. La date du 12 septembre est de plus en plus prétexte à manifester le désir d’un régime politique plus libéral. Cette évolution culmine en 1831 : c’est en effet dans le cadre des banquets tenus en septembre 1831 pour fêter l’admission dans la Confédération que survient la tentative de renversement par la force du régime royaliste. Menées par Alphonse Bourquin, les troupes révolutionnaires s’emparent du château de Neuchâtel le 13 septembre 1831. Mais les forces armées rétablissent l'ordre ancien.
Le 12 septembre devient une date très sensible dans le calendrier neuchâtelois. Le régime royaliste tente d’interdire toute célébration du 12 septembre, au point de publier, le 29 août 1836, un arrêté interdisant certaines manifestations pour la période autour du 12 septembre de chaque année. La célébration prend alors des formes parfois déguisées. C’est ainsi que les habitants du Val-de-Travers manifestent leur attachement à la Suisse et leur opposition au régime en organisant tous les 12 septembre la Fête des Fontaines. Cette tradition existe toujours aujourd’hui, entre autres dans le village de Môtiers.
En février 1848, quand la révolution éclate en France, les républicains neuchâtelois, qui depuis des décennies se préparent dans les « cercles » (1), passent à l'action. Leur programme est l’oubli du passé monarchiste, le respect des personnes et des propriétés et un ordre fondé sur la liberté. Le premier mars, partant du Locle (2), un premier groupe de révolutionnaires se dirige vers La Chaux-de-Fonds (3) où il retrouvent ceux de la région. A dix heures du matin, environ 900 hommes en armes commencent la marche sur Neuchâtel. À cause de la neige, la progression est difficile. Il faut passer par le col de la Vue-des-Alpes, situé à 1’230 mètres. Les deux meneurs, Fritz Courvoisier et Ami Girard, sont à cheval et font la trace. Malgré la faim et le froid, vers sept heures du soir, le château de Neuchâtel, siège du gouvernement est pris (4).
Les républicains forment un gouvernement provisoire de dix membres, chargé d'organiser l'élection d'une assemblée constituante. Le 2 mars, les commissaires fédéraux, appelés par l’ancien gouvernement, reconnaissent le nouveau régime. Frédéric-Guillaume IV, le roi de Prusse, se contente de protester, plus inquiet de la révolution ayant lieu au même moment à Berlin que de la perte de Neuchâtel.
Le 5 avril, Frédéric-Guillaume IV délie les Neuchâtelois de leur serment d’allégeance. La nouvelle constitution est soumise au vote populaire le 30 avril 1848 et acceptée.
Les royalistes fomentent une contre-révolution. Dans la nuit du 2 au 3 septembre 1856 ils occupent le château et emprisonnent quatre conseillers d'État (ministres). La majorité du peuple ne reconnait pas le coup d'État et une contre-attaque des républicains permet de reprendre le château et d'arrêter plus de cinq cents monarchistes.
Suite à ces événements, le roi de Prusse réagit et menace d'envahir la Suisse. Le gouvernement fédéral vote une intervention militaire et décide de lancer un emprunt national de 6 millions de francs suisses pour en couvrir les frais. En quelques jours, ce sont 100 millions qui sont rassemblés. Le général Dufour, qui avait mené avec succès les troupes fédérales lors de la guerre du Sonderbund en 1847, est à nouveau à la tête de l'armée fédérale et chargé d'occuper la frontière du Rhin.
Un chant patriotique, « Roulez tambours », composé par Henri-Frédéric Amiel, commémore cette mobilisation et figure encore dans les chansonniers romands. En voici un extrait pour illustrer les valeurs de l'époque :
Roulez, tambours! pour couvrir la frontière,
Aux bords du Rhin, guidez-nous au combat!
Battez gaîment une marche guerrière,
Dans nos cantons, chaque enfant naît soldat!
C'est le grand cœur qui fait les braves,
La Suisse, même aux premiers jours,
Vit des héros, jamais d'esclaves...
Roulez, tambours!
Les puissances européennes, pour éviter que les troupes prussiennes ne franchissent le fleuve, proposent une médiation. Du 5 mars au 26 mai 1857, un congrès européen réunit à Paris les plénipotentiaires de la Suisse, de la Prusse, de l'Autriche, de la France et du Royaume-Uni. Le 26 mai 1857, un traité est conclu au terme de négociations conduites du côté suisse par le ministre Jean-Conrad Kern, qui défend avec succès les intérêts de la Suisse. Le traité dispose que les insurgés sont amnistiés, que les frais sont pris en charge par l'État fédéral et que le roi de Prusse renonce à ses prétentions sur le canton de Neuchâtel. Le 19 juin 1857, le roi de Prusse délie solennellement et définitivement les Neuchâtelois de leur serment d’allégeance.
Pour conclure, il faut rappeler le symbole républicain de ces deux révolutions : le drapeau tricolore. En 1956, les réfugiés hongrois qui arrivèrent dans le canton de Neuchâtel, se sont sentis un peu moins étrangers en retrouvant les couleurs si semblables à celles de la Hongrie.
Bálint Géza Basilides
(1) Les cercles sont une tradition solidement ancrée dans le canton de Neuchâtel : lieux de rencontres et de convivialité, souvent dotés d'un restaurant aux heures d'ouverture élargies, ils ont rythmé la vie, en particulier nocturne, de la population.
(2) Le Locle est une ville horlogère de 10'000 habitants , située à une altitude d'environ 1'000 mètres, à 30 km de Neuchâtel.
(3) La Chaux-de-Fonds est une ville industrielle de 40'000 habitants situé à une altitude d'environ 1'000 mètres, à 23 km de Neuchâtel.
(4) De nos jours encore, chaque année a lieu la marche commémorative du 1er mars, lors de laquelle des centaines de marcheurs refont le trajet Le Locle – Neuchâtel.
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