Hongrie : les comtes Széchenyi, une lignée hors pair
„Il est le plus grand des Hongrois”, disait Kossuth du comte István Széchenyi (1791-1860). Probablement avait-il (pour une fois !) raison. Homme politique, écrivain, économiste, philanthrope et mécène, István Széchenyi est à l´origine de bien des innovations apportées au pays à cette époque dite de „l´Ère des Réformes.” Homme hautement cultivé, d´esprit ouvert et en avance sur son temps, la Hongrie lui doit aujourd´hui encore beaucoup. Telle l´Académie des Sciences fondée sur son initiative. Sans parler de la construction du premier pont de Budapest, le Pont de Chaînes (Lánchíd) qui porte aujourd´hui son nom et du tunnel qui le prolonge. Par ailleurs, auteur d´un ouvrage qui aura fait date et fait encore référence, Crédit (Hitel) (1).
Mais il avait de qui tenir... Issu d´une lignée dont bien des membres se seront illustrés avant et après lui. C´est en 1697 qu´un ancêtre, György Széchényi, futur archevêque d´Esztergom, se vit attribuer le titre de comte en reconnaissance de ses faits d´arme. Une famille issue de comitat de Nógrád, au Nord du pays. Il convient de mentionner, pour la suite, le nom de Ferenc Széchényi (1754-1820), alors une des figures les plus marquantes de son pays. Apportant son soutien aux milieux de la science, il est également connu pour avoir légué au pays une importante collection d´objets d´art et un fonds de bibliothèque renfermant des ouvrages de grande valeur, constituant une part importante de la collection du Musée national et de l´actuelle Bibliothèque qui porte son nom (15 000 ouvrages, 1200 manuscrits). Il était le père d´István.
Et nous pourrions encore citer d´autres noms. Mais, si nous avons souhaité évoquer ici le souvenir de cette famille, c´est pour une raison toute particulière : les nombreux musiciens, musiciennes qu´elle a engendrés. Certes, la pratique de la musique, en particulier du piano, était chose courante dans les salons de la haute société au XIXème siècle. Mais, il s´agit de bien plus que cela. Un cd récemment paru sous le titre „Széchényi, piano music from a hungarian dynasty, 1800-1920” nous les présente de façon éloquente (2). Rassemblant les œuvres de non moins de sept membres de la famille, dont trois femmes. Et pas n´importe qui, jugeons-en. Tel Lajos (Ludwig), frère aîné d´István (1781-1855). Non seulement musicien, mais également poète (de langue allemande). Dont Schubert lui-même allait mettre en musique deux de ses poèmes et lui dédier son fameux Lied „La Jeune fille et la mort”. Apprécié entre autres par l´archiduchesse Marie-Louise (notre future impératrice), Lajos fut également en relation avec Joseph Haydn et le jeune Liszt. De solides références, donc. Dans la même veine, nous nous devons de citer sa sœur Franciska (Fanny) fille aînée de Ferenc, épouse du comte Miklós Batthyány (1783-1861). Comme Lajos, également poète, Fanny se fit remarquer comme brillante pianiste lors du Congrès de Vienne. Jouant un rôle important dans les milieux intellectuels de l´époque, dont le Cercle romantique de l´abbé Hofbrauer (canonisé en 1909). Veuve, elle fonda un couvent où elle se retira. Outre ses pièces pour piano, elle nous a également laissé des œuvres de musique religieuse dont deux messes. En descendant dans la lignée, nous pourrions encore citer le nom d´Imre (Emerich) fils de Lajos en seconde noce (1825-1898). Diplomate qui finit ambassadeur à Berlin, Imre nous a légué un répertoire, certes confiné au piano, mais raffiné et empreint d´élégance et non dépourvu d´humour.
Ils ne furent pas les seuls, d´autres membres de la famille ayant également couché sur le papier des partitions, essentiellement des pièces pour piano. Ne pouvant les citer toutes et tous ici, nous nous bornerons à évoquer un nom, non tant pour sa musique, que pour son parcours. Celui d´Ödön (Egmont), le plus jeune fils d´István (1839-1922). Passionné de navigation, il se rendit par voie fluviale à l´Exposition universelle de Paris en 1874 ! Il était ami du compositeur Erkel avec qui il fonda un club d´échecs. Nous lui devons entre autres la création du Corps des Pompiers volontaires (3) et la construction du funiculaire qui mène à la colline du Château (1870). Il terminera ses jours à Istanbul au service du sultan, se voyant décerner le titre de pacha. Où il tentera, mais en vain, d´intervenir en faveur de son ami Theodor Herzl - lui-même natif de Budapest -pour la création d´un État sioniste.
Comme l´on voit, nous avons affaire à une famille hors du commun qui joua un rôle essentiel non seulement dans la modernisation et les progrès économiques du pays, mais aussi dans l´ouverture au monde occidental et la propagation d´idées nouvelles, progressistes, libérales. Bref, en avance sur leur temps. Mécènes et grands amateurs d´art, certains n´hésitèrent pas, comme on l´a vu, à enrichir le patrimoine culturel de leur pays, notamment dans le domaine de la création musicale. C´est dans cet esprit que fut instauré en 1992, au sein de l´Académie des Sciences de Hongrie (MTA) une Académie Littéraire et Artistique Széchényi (Széchényi Irodalmi és Művészeti Akadémia) avec pour but de sauvegarder l´indépendance des artistes et écrivains et de préserver leur liberté de création Une initiative aujourd´hui peu appréciée en haut lieu où – nul ne s´en étonnera - tout est tenté pour lui mettre des entraves...
Quant aux descendants, outre quelques noms, comme ceux d´Ágnes Széchényi, historienne de la littérature et du comte Kálmán Széchényi, qui consacre ses activités à faire revivre la mémoire de ses ancêtres, j´avoue pour ma part savoir bien peu de choses. Sinon qu´une branche a fui le pays en 1947 (Jenő) pour se trouver aujourd´hui établie en Autriche après un long périple à travers l´Amérique du Sud et l´Europe.
Un remerciement au passage au pianiste István Kassai qui eut la curiosité de s´intéresser aux musiciens de la famille et d´en déterrer les œuvres pour nous les faire découvrir et apprécier dans un enregistrement de qualité, que nous recommandons à celles et ceux qui s´intéresseraient, de près ou de loin, au sujet.
(1): détail qui intéressera le lecteur français: jeune lieutenant des hussards, il se signala par son courage lors de la bataille de Raab (Győr, 1809) contre les troupes de Napoléon. Il n´avait alors que 18 ans….
(2): par István Kassai et György Lázár, piano. Collection „Grand Piano” (édité en Allemagne).
(3): étant notamment entré en relation avec Alexandre Dumas, donateur, lors de la collecte des fonds nécessaires à la création du Corps.
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