„Ego sum gallicus captivus”. Évadés des camps allemands, ces prisonniers français qui trouvèrent refuge en Hongrie…
Un épisode méconnu de la Guerre, et pourtant...
Au total, ce sont près de 1200 soldats français internés dans différents camps allemands en Autriche et en Pologne qui parvinrent à s’évader et trouvèrent refuge en Hongrie. Beaucoup parmi eux purent travailler dans l’agriculture, dans des fermes, usines ou restaurants ou donnèrent des cours de français. Ils formèrent même une équipe de football qui disputa des matches contre des équipes locales. Une cinquantaine d’entre eux ont épousé des Hongroises. Des familles se sont ainsi formées, dont une partie a ensuite gagné la France après la guerre. (Source: ambassade).
Incroyable dans une Hongrie alors alliée de l’Axe, en guerre avec ses voisins russe et serbes. Mais… une Hongrie qui n’était pas officiellement en guerre avec la France. Et n’était donc en principe pas tenue d’expulser ses ressortissants.
Un épisode qui a fait l’objet de plusieurs ouvrages dont un recueil de témoignages paru en hongrois sous le titre „Ego sum gallicus captivus”. Phrase utilisée par ces jeunes qui ne parlaient pas hongrois, pour s’introduire auprès des curés des villages traversés, sorte de sésame qui leur ouvrit bien des portes (1). Un épisode d’autant plus remarquable qu’il se prolongea sur toute la durée du conflit, de 1940 pour le premier arrivé, à 1945. Traversant des périodes aussi périlleuses que l’arrivée des Allemands en mars 44 suivie de la prise du pouvoir par les nazis hongrois, ces fameuses et redoutables Croix fléchées, en octobre 44, pour ne trouver son dénouement qu’avec l’arrivée des troupes soviétiques (hiver et printemps 45). Un vrai miracle. En tête des communes d’accueil, la petite ville de Balatonboglár flanquée sur les rives du lac Balaton, dont le maire a pris a cœur d’entretenir leur mémoire, avec entre autres l’ouverture d’un musée du souvenir. Il faut aussi savoir que les Français ne furent pas les seuls, nombre de Polonais (encore plus nombreux) ayant également bénéficié de ces refuges.
Une belle histoire, pratiquement inconnue du grand public, tant en France qu’en Hongrie et qu’il est grand temps, après huit décennies passées, de révéler au grand jour. Tâche à laquelle s’est attelée notre ambassadrice Pascale Andréani, faisant pour ce faire appel à son entourage et amis hongrois et français impliqués dans ce projet (2). Le but à terme étant de s’adresser aux jeunes générations pour leur montrer, par cet exemple édifiant, que même – et surtout – en période trouble, la raison du cœur demeure toujours la plus forte.
Pour commencer par une cérémonie qui s’est tenue ce 29 mars à Balatonboglár en présence de son maire. Cérémonie marquant l’ouverture d’une salle commémorative agrémentée d’une exposition(3). Exposition comprenant dans les deux langues des souvenirs de l’époque, ouvrages publiés sur le sujet, notamment par des soldats français, et articles parus dans diverses publications. Exposition agrémentée de visuels accompagnés d’explications en français et en hongrois et d’un dispositif interactif permettant d’accéder à des vidéos sous-titrées, et d’entendre des témoignages.
Il faut dire que ce qui s’est alors déroulé dans cette petite commune du Balaton sort du commun. Accueillis avec la plus grande bienveillance, ces „ex prisonniers” ont, pour une partie d’entre eux, été logés dans les deux hôtels de la ville et dans une dizaine de villas mises à leur disposition. Ils y vécurent sans être le moins du monde inquiété, organisant entre eux des programmes culturels. „Deux beaux hôtels, des serveurs aux gants blancs, un service médical, des journaux suisses et des livres français, difficile de trouver mieux à l’époque !” (Ambassade).
A noter, enfin, un dernier épisode presque incroyable de cette aventure : notre fête nationale célébrée le 14 juillet 1943, au cours de laquelle nos soldats entonnèrent la Marseillaise en présence de József Antall (père du futur Premier ministre) du Ministère hongrois de l’Intérieur et du colonel Zoltán Baló, chef de la 21e Section au ministère de la Guerre, de l’attaché militaire à la légation française en tenue, d’officiers hongrois et polonais et du Nonce Rotta. Balatonboglár est vraiment le seul endroit en Europe où une telle scène a pu se produire, en pleine guerre !
Budapest fut également le théâtre d’un bel épisode de solidarité et d’entraide qui mérite d’être cité. Un célèbre acteur et directeur de théâtre (Balázs Samu) cacha dans la salle des accessoires de son théâtre un réfugié français fuyant les Croix fléchées. Pierre Godefroy, devenu par la suite sénateur gaulliste. Épisode qu’il évoque dans son livre «Comme la feuille au vent» (Paris, 1948).
La veille avait été projeté dans les locaux de l’Institut français le film „Ideiglenes paradicsom” („Temporary paradise”) du réalisateur hongrois András Kovács (1981). Version romancée des évènements de Balatonboglár, dans laquelle Jacques, un soldat français réfugié en Hongrie (André Dussollier) tente de s’évader par la Yougoslavie. Il trouvera l’amour avec une jeune Hongroise dans le pays encore en guerre (Edit Frajt). Jeune juive qu’il tentera de sauver à son tour, mais qui finira prise dans une rafle.
En ces temps où l’actualité entraîne des dizaines (centaines) de milliers d’Ukrainiens à chercher refuge en Hongrie où ils sont accueillis dans un grand élan de solidarité, voilà qui ne fait que confirmer que, dans les grandes épreuves, le Hongrois saura toujours nous montrer que l’on peut compter sur lui (4).
Pierre Waline
(1): Európa kiadó, 1981. Un de ces prisonniers dont le témoignage figure dans l’ouvrage, fut par la suite diplomate dans notre ambassade de Budapest, puis à Bonn où je l’ai retrouvé plus tard. Roger Klein qui avait alors rencontré sa future épouse hongroise.
(2): dont, principal soutien, notre ami István Boros, président de l’Association des décorés en Hongrie.
(3): salle située entre deux autres à la mémoire des réfugiés polonais et des Juifs.
(4): à la différence de ce qui s’est passé en France avec les prisonniers hongrois à la Libréation, dont certains victimes de mauvais traitements.
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