Rogi André, portrait lumineux d’une femme dans l’ombre
Le mardi 1er juillet avait lieu le vernissage de l’exposition « Plus de lumière, plus d’ombres » en hommage à la photographe hongroise Rogi André (1900-1970). Ce moment a permis d’honorer cette portraitiste de talent, à la vie sinueuse, et trop souvent réduite à sa relation avec le photographe André Kertész.
La salle de réception de la Maison Mai Manó a fait le plein. Les curieux venus se joindre à l’ambassadeur de France et au directeur de l’Institut français ont pu inaugurer, dans une ambiance conviviale, cette exposition posthume accessible jusqu’au 19 août 2025. L’audience, confinée malgré la chaleur dans le salon de cérémonie, a pu écouter les différents intervenants qui sont revenus sur l’œuvre exceptionnelle de cette photographe parisienne d’origine hongroise. Cette exposition retrace le parcours d’une femme talentueuse et besogneuse, qui a passé la majorité de sa vie dans l’ombre de son époux, le renommé André Kertész.
Une enfant de Budapest…
Fille d’un père médecin et d’une mère au foyer, la jeune Rozsa Klein (son vrai nom) vit une enfance compliquée due à une santé fragile. À 25 ans, après avoir obtenu son diplôme à l’école des beaux-arts de Budapest, elle part s’installer à Paris, fascinée par la vie bohémienne. Elle fréquente à son arrivée la communauté culturelle hongroise installée à Paris, rencontrant ainsi pour la première fois son amant André Kertész. Après trois ans d’idylle, ils se marient en 1928, formant désormais un couple incontournable de la scène parisienne. C’est aux côtés de son mari photographe que Rogi André débute la photo en 1929. Cette passion ne la quittera plus…
Et une femme de Paris
Dès les années trente, elle commence à réaliser une série de portraits, comprenant les grands Hommes de son temps comme Picasso, Paul Éluard, Le Corbusier ou encore Matisse. Une première exposition lui est consacrée en 1935, puis une deuxième quelques années plus tard. Ses clichés ont fait l’objet de publications dans des magazines renommés en France et à l’étranger, ce qui lui a valu d’être invitée dans certaines expositions outre-Manche. En 1950, lassée par la photo qu’elle pratique désormais depuis 20 ans, elle décide, malgré une situation financière précaire, de suivre des cours de peinture auprès d’André Lhote. Ses peintures ne rencontreront pas de succès populaire, ce qui contraindra Rogi André à accepter des contrats précaires pour survivre.

Une vie dans l’ombre
L’histoire de Rogi André s’inscrit incontestablement dans l’ombre. De son mari d’abord, qui demande le divorce en 1932 après seulement 4 ans de relation. Ce divorce la marquera profondément, tant elle sera liée à lui dans l’inconscient collectif. Le « André » de son nom d’artiste lui est dédié. Puis, car son ascension vers le succès, débutée dans les années 30, est stoppée pendant l’Occupation. Avec l’intensification des rafles contre les juifs à partir de 1941, elle doit fuir Paris pour la Touraine, alors en zone libre. Cette situation durera quelques mois, avant qu’elle ne soit cachée dans la capitale par la galeriste Jeanne Bucher. Sa carrière peinera à se remettre de cette période d’inactivité. Elle passera les vingt dernières années de sa vie dans une précarité extrême, survivant difficilement dans un petit appartement rue Blomet à Paris.
Rogi André a vécu toute sa vie dans l’ombre. Elle aurait d’ailleurs probablement disparu de l’inconscient collectif si Jean-Claude Lemagny, alors conservateur à la Bibliothèque nationale de France, n’avait pas tout fait pour conserver ses œuvres. Avant une exposition en 2012, la dernière présentation publique de son travail datait de 1982. Cette exposition met une lumière vive sur le travail d’une femme cachée dans l’ombre, de son ex-mari et de son époque. Cette exposition magnifique est accessible jusqu’au 19 août 2025 à la Galerie Mai Manó de Budapest.
Paul Rabeisen