Les topographies intimes d’Anna Stein à Balatonfüred

Les topographies intimes d’Anna Stein à Balatonfüred

Anna Stein

Une envolée lyrique, une explosion de libertés – c’est par ces termes que critiques et galeristes redécouvrent l’art des années d’après-guerre en France.

Les toiles d’Anna Stein des années 60 et 70, nées sous le signe de l’abstraction lyrique ont d’abord été redécouvertes  grâce à une grande exposition au Musée d’Art moderne de Pécs, et maintenant, c’est au bord du lac Balaton que Zsdrál Art Galéria lui consacre une belle exposition.

Anna Stein, parisienne hongroise a exposé ses toiles sur tous les continents – de l’Afrique du Sud jusqu’aux États-Unis. Elle a également séduit son public grâce à ses statues et ses bijoux. Elle a parcouru le monde – de Bombay à Lausanne avec son mari sociologue.

Artiste épanouie, elle a créé le prix qui porte son nom et soutient le travail de jeunes plasticiens hongrois, son premier lauréat János Horváth est d’ailleurs connu des lecteurs de notre journal. Anna Stein est aussi très largement appréciée pour ses initiatives courageuses.

Elle a offert l’œuvre en céramique « Interpellant » une pierre tombale au bord du Danube, au pied du pont Marguerite, côté Pest, qui rend hommage aux victimes des nazis hongrois – juifs et de toutes religions confondues, ainsi qu’aux résistants au sens large et aux fugitifs de tous les temps.

Rappelons aussi qu’Anna Stein avait organisé, conseillée par l’historienne d’art Krisztina Passuth, l’exposition Paris-Budapest au Sénat en juillet 1979. Avec 77 artistes hongrois vivant en France ou en Hongrie, dont, entre autres, Pierre Székely, Vasarely et Endre Rozsda.

Anna Stein aime bien revenir vers son pays natal avec une nouvelle exposition. Chaque fois, c’est une nouvelle aventure, celle-ci au bord du lac Balaton tout particulièrement.

« Les topographies intimes » viennent d’une époque révolue, presque oubliée. Pourtant ces toiles font sensation et nous marquent par leur beauté mais aussi par leur tristesse.

En tant qu’étudiante à l’Académie des Beaux-Arts de Budapest elle a participé à la grande manif du 23 octobre 1956. Elle se souvient : « Sur Bem tér, comme on était trop à l’étroit, je suis montée sur un camion et j’ai crié à la foule : Tous au Parlement ! », « je n’étais pas la seule … » ajoute-t-elle avec un peu d’ironie. Mais tous ces changements radicaux dans sa vie ont eu des conséquences. 

Stein Anna

Anna Stein est arrivée en France en novembre 56, au moment où la scène artistique parisienne était en plein foisonnement avec l’Abstraction lyrique et l’Art abstrait géométrique qui permettaient aux artistes de traduire leur intériorité d’une façon très personnelle tout en leur laissant une grande liberté d’interprétation. Il y avait des débats passionnés dans les revues spécialisées et des rencontres houleuses dans une des salles de cinéma de la rue de Rennes. Elle a terminé ses études à l’École des Beaux-Arts et a suivi l’actualité des galeries de la rue de Seine à côté de son école. Elle a dû faire l’apprentissage des tendances de l’époque, ce qui n’était pas simple en sortant du réalisme socialiste qui était l’art officiel en Hongrie. C’était dur de devoir s’adapter aussi rapidement.

Inscrite aux Beaux-Arts de Paris « Le grand rêve qui s’est réalisé ».  Elle s’est mariée avec un étudiant sculpteur des Beaux-Arts de Budapest. Ils ont réussi à acheter une maison avec un atelier a Charmont en Beauce, mais ce village était éloigné de Paris. Elle était solitaire avec son bébé et son questionnement : comment devenir une artiste reconnue et être heureuse dans son couple. Hélas le bonheur, elle ne l’a connu que beaucoup plus tard lors de son deuxième mariage avec le sociologue Abdi Nourredine …. En attendant, elle a eu besoin de l’aide d’un psychanalyste -ce qui l’a rapprochée de tout un groupe d’artistes à Orléans. Elle y a rencontré le sculpteur Étienne Hajdu et Unica Zürn peintre et poète, la compagne de Hans Bellmer. Victor Brauner lui a conseillé d’exposer le plus possible. Et elle a eu sa première exposition à Orléans. C’était à la veille de mai 68 – un vent de liberté soufflait dans les arts, dans la société et à l’hôpital le traitement analytique était en pleine métamorphose et commençait à porter ses fruits.

A la veille de son dernier vernissage nous avons rencontré Anna Stein et elle nous a confié à quel point la redécouverte de cette période longtemps refoulée l’a surprise. C’est Vali Fekete, historienne d’art et auteure d’une monographie sur Anna Stein, qui a reconnu la valeur particulière des tableaux de cette époque et qui les a exposés d’abord à Pécs au Musée d’Art Moderne. Aujourd’hui, une trentaine ceux-ci sont présentés à Balatonfüred.

Elle se souvient : « C’était une époque difficile et contradictoire. D’une part, sur le plan matériel, ça allait mieux. Nous avions créé avec mon mari des bijoux contemporains qui avaient beaucoup de succès dans les galeries. Malgré quelques amis à Paris et à Orléans, je vivais quand même dans une certaine solitude. Ma peinture m’occupait fortement, mais je n’avais aucune idée de comment je pourrais les présenter et trouver des collectionneurs. Pendant toute cette période, je n’ai vendu aucune de mes peintures, contrairement à l’artisanat qui connaissait un grand succès. Ce qui ajoutait à mes soucis, c’était l’incompréhension de ma famille : il n’y a rien de pire que d’avoir une famille bourgeoise avec des attentes, des exigences auxquelles je ne pouvais absolument pas répondre. Et par-dessus cela il y avait le comportement de plus en plus insupportable de mon mari. »

Sur ses tableaux, certains éléments sont imprégnés de psychanalyse, avec même des traits du surréalisme. Elle a ainsi réalisé une série intéressante sur la topographie intime des femmes, puis des arbres et des racines. Sur une très grande toile, « Modulation » ce sont des espaces qui s’entrelacent et qui se modulent. Elle semble naviguer entre espoir et désespoir. 

Sur sa toile « Gémellité » c’est l’univers de ses rêves qui apparaît. Elle a souhaité partager avec son mari tout le bonheur que connaissent des âmes sœurs. Sa magnifique fleur avec ses pétales rouges, de toutes les nuances, nous expriment la beauté, le bonheur.

Stein Anna

Mais il y a aussi le « Cri de la fleur » qui n’est autre que le cri de l’artiste seule ; perdue dans la France profonde – comme elle me l’a expliqué. Elle se sentait terriblement seule et perdue. Paradoxalement, cela a abouti à une période riche et inventive de son art.

Sur ses tableaux « les émotions fortes mais étouffées apparaissent aussi clairement que le désir de liberté : l’obscurité interne contre la luminosité extérieure » – comme le décrit Vali Fekete, dans son livre dédié à Anna Stein, comme plus tard « La construction et le monde formel des images sont caractérisés par des éléments de géométrie pure qui grâce à leurs contours flous viennent se fondre et se superposer les unes aux autres”.

Anna Stein revient en Hongrie pour ce vernissage au lac Balaton et parcourt en deux jours les lieux de ses origines : sa ville bien-aimée Pécs et puis Komló et les environs où ses aïeux ont contribué grandement à la prospérité de la région. Avec nostalgie, elle veut retrouver le château Jánosi dans les alentours, un château entouré d’un grand foret dont Horthy les a chassés en 1943.  Autant de souvenirs d’une enfance heureuse, de vacances d’été.

Les visiteurs, les vacanciers amoureux du lac Balaton, peuvent découvrir à présent l’art d’Anna Stein dans les grands espaces conviviaux de la galerie d’art Zsdral sur les rives du lac Balaton.

Éva Vámos

Anna Stein – Intim topográfiák, Zsdrál Art Galéria, 8230 Balatonfüred, Zákonyi Ferenc u 5-8

Exposition inaugurée le 17 mai par Anghy Nagy András – Musée d’Art moderne de Pécs  - avec le concours de l’Institut Liszt – Paris et ouverte jusqu’à la fin de juin 2025

Livres :

Fekete Vali : Anna Stein : Belső utak képei – Images des chemins intérieurs – traduction française Barna Anett – Pierre Karinthy, Éd. l’Harmattan – Paris 2012

La vie d’Anna Stein ou comment devenir un ancêtre, Le Lys Bleu, 2021

Anna Stein : Életem, avagy hogyan válunk (h)őssé, Pannónia könyvek, Pécs 2021

Catégorie