« Buildings Tell Tales » : les murs de Budapest vus par Vincent Baumgartner
Beaucoup de Budapestois connaissent bien la page Facebook « Buildings Tell Tales », qui raconte l’histoire des vieux bâtiments de Budapest. La page tenue par Vincent Baumgartner culmine à une trentaine de milliers de « followers », chiffre impressionnant pour un amateur, mais qui se justifie par la qualité des photos et par la recherche effectuée sur l’histoire de chaque édifice. Nous avons pu le rencontrer au milieu de ces photos, dans le bar Hintaló Iszoda, où celles-ci étaient exposées.
Vincent Baumgartner cultive son amour de Budapest depuis de nombreuses années. Le photographe de 34 ans, né d’une mère hongroise, a débarqué dans la capitale hongroise à 18 ans et s’est très vite attaché à la ville. Bien qu’il ait dû retourner en Suisse pour terminer ses études et travailler, il a pu revenir sur les bords du Danube en 2018, et c’est là qu’il s’est mis à immortaliser les rues de la ville. Le trentenaire s’identifie d’ailleurs lui-même comme budapestois. Il apprécie l’ambiance de la ville et ce qu’elle représente, un pont entre le présent et le passé, entre l’ex-bloc de l’est et l’Union Européenne, entre l’empire austro-hongrois et la Hongrie actuelle. Et c’est des rives du présent qu’il peut aujourd’hui offrir son regard sur les événements traversés par les bâtiments de Budapest.
Son premier projet, Budapest Téglái (Les briques de Budapest), vit le jour en 2018. Sur le compte Instagram du projet, on peut admirer des photos de briques jaunes couvertes de graffitis datant pour beaucoup d’entre eux de la première moitié du XX ème siècle. Selon le photographe, Budapest Téglái a connu un succès qu’il n’attendait pas. Il a d’ailleurs pu aller un peu plus loin dans ce projet dans sa chronique pour Le Courrier d’Europe centrale, "Quand les murs racontent des histoires", où il a notamment pu publier des photos de graffitis laissés par des démineurs soviétiques en 1945, ou encore de soldats italiens pendant la Première guerre mondiale. Le format chronique lui a d’ailleurs permis d’évoquer un peu plus l’histoire qui se cache derrière chaque graffiti, et de commencer à décortiquer celle des bâtiments de la capitale.
Depuis son retour à Budapest, Vincent Baumgartner a constaté de nombreux changements quant à l’architecture de la ville et à l’état des vieux bâtiments. La Budapest que nous connaissons est une ville qui a été construite en 30 ans, et la différence entre les vieux et les nouveaux immeubles n’est pas tant esthétique que qualitative. C’est donc cet attachement à ses anciens bâtiments, peu ou pas rénovés, qui l’a poussé à lancer Buildings Tell Tales. Les premières photos de cours d’immeubles ont été prises au hasard de balades, une porte ouverte permettant d’entrer et de saisir l’état de la construction et des marques laissées par le temps. Durant le confinement COVID de 2020, le photographe a pu investir dans un nouveau matériel lui permettant d’améliorer la qualité de ses photos, tout en suivant une formation pour apprendre à mieux gérer le cadrage et la lumière.
Bien qu’il existe une protection du patrimoine en Hongrie, la division des grands appartements de Buda durant la Hongrie communiste en logements plus petits pour concentrer plus de personnes a eu des effets néfastes sur l’entretien des bâtiments, les propriétaires n’ayant souvent pas les moyens de rénover les parties communes des immeubles. Le passé communiste de la Hongrie ajoute à cela le fait que les propriétaires ne veulent généralement pas investir dans tout ce qui est commun et laissent à l’abandon les cours et les halls d’immeubles, qui font pourtant partie du charme de l’architecture de Budapest. Les photos de Vincent Baumgartner sont donc une forme de rappel de l’urgence à rénover ces « communs », et une incitation pour les Budapestois à se saisir de ce problème.
La photographie a permis à Vincent Baumgartner de rencontrer des personnes de différentes classes sociales. Durant notre entretien à Hintaló Iszoda, il se souvient d’une discussion avec un balayeur qui lui a raconté différentes histoires sur la vie à Budapest, l’histoire de ses anciens immeubles et les petites anecdotes qui font l’histoire de ces bâtiments. C’est d’ailleurs ces anecdotes que le photographe aime narrer en légende de ces photos, pour nous rappeler une histoire plus concrète et vivante des lieux. Pour trouver les anecdotes sur chaque immeuble, il croise plusieurs sources, les livres d’histoire de Budapest évidemment, mais aussi les articles de presse des années 1920-1930. Sa formation d’archiviste lui permet de se retrouver facilement dans les journaux de l’époque, et sa fascination pour la manière de narrer les faits divers à cette époque explique leur utilisation.
Pour ces prochains projets, le photographe aimerait aller dans d’autres villes d’Europe Centrale et de Hongrie. Il nous a notamment confié son envie de photographier Lviv en Ukraine, ville marquée par l’architecture austro-hongroise. Le jour de notre rencontre, il venait de vendre sa première photographie à quelqu’un qui l’avait contacté sur les réseaux sociaux, et c’est aussi quelque chose qu’il souhaiterait développer dans les années à venir.
Garan Lintanf et Marine Moine