2021 : après Beethoven, Cziffra…. (année du centenaire)
Ce Hongrois qui choisit la France
Décidément, nous sommes gâtés… Après Beethoven, nous célèbrerons en novembre prochain le centenaire de la naissance d´un autre grand musicien : Georges (György) Cziffra. Une „année Cziffra” qui sera célébrée non seulement en France et en Hongrie, mais dans le monde entier. Nous avons déjà évoqué le souvenir de ce pianiste hongrois qui, un beau jour d´octobre 1956, débarquait à Paris avec pour seul bagage son talent. Alors pratiquement inconnu en France. Un petit rappel sur le passé de ce pianiste qui allait émerveiller le public parisien, puis le monde entier par sa virtuosité et ses talents d´improvisateur (1).
Il était fils d´un musicien tzigane qui se produisit dans les restaurants et cabarets parisiens dans les années 1910. Mais qui fut emprisonné lorsque survint la guerre, puis renvoyé en Hongrie où il retrouva sa femme. Retrouvailles qui se traduisirent par la naissance du jeune György (1921). Un jeune fils dont le sort ne fut pas toujours plus heureux. Envoyé sur le front de l´Est, il fut fait prisonnier par les troupes soviétiques. Par la suite, arrêté par le régime communiste après avoir tenté de passer la frontière, il fut déclaré prisonnier politique et envoyé entre 1950 et 1953 dans un camp de travail comme convoyeur de pierres, tâche qui lui laissa une séquelle (d´où ce fameux bracelet de cuir qu´il portait au poignet).
Mais entre-temps, le jeune Cziffra avait pu se forger une solide formation de pianiste. Repéré dès l´âge de huit ans par Ernő Dohnányi, il intégra le Conservatoire de Budapest (Zeneakadémia) où il fut entre autres élève de Dohnányi et Leo Weiner. Pour se produire en public dès l´âge de 16 ans, voire invité en tournée à l´étranger (Pays scandinaves, Pays Bas). Études qu´il reprit après la guerre, se produisant le soir dans les bars de Budapest pour gagner sa vie. Voilà où nous en sommes lorsque, fuyant le régime communiste, il quitte le pays avec femme et enfant lors du soulèvement de 1956, pour trouver un point de chute en France. La France qui lui conférera douze ans plus tard la nationalité française et envers laquelle, toute sa vie durant, il ne manquera pas de manifester sa gratitude. Attitude touchante qui se traduira par de nombreux gestes, telle la création du festival de la Chaise-Dieu pour aboutir au rachat et à la restauration de cette chapelle royale de Senlis et à la création de sa Fondation destinée à encourager et promouvoir les jeunes pianistes.
Pour la suite, rejeté par le régime après son passage à l´Ouest, il faudra attendre le début des années quatre-vingts pour qu´il obtînt une reconnaissance officielle du gouvernement hongrois (2). Période malheureusement marquée par un drame : la mort tragique de son fils Georges, jeune chef d´orchestre, survenue en 1981. Jusqu´à son décès survenu en 1994, Cziffra ne s´en remettra jamais, limitant ses parutions en public et renonçant dès lors à se produire devant un orchestre.
Il serait vain de tenter d´évoquer ici les nombreux superlatifs qui lui ont été appliqués („le pianiste du siècle, réincarnation de Liszt”). Il nous suffira de rappeler l´admiration qu´éprouvait Alfred Cortot à son égard (suite à une audition du Carnaval de Vienne). Réputé non seulement pour ses interprétations de Liszt, Chopin, Schumann et Bartók, mais également apprécié pour son talent d´improvisateur et les nombreuses paraphrases qu´il nous a laissées.
Une année Cziffra, donc, qui sera marquée par de nombreux concerts, récitals et manifestations et ce, non seulement par le fameux „Festival Cziffra” qui se tient chaque année en Hongrie depuis 2016, mais aussi en France et un peu partout en Europe et dans le monde. Année Cziffra parrainée par l´UNESCO (3).
Le message affiché est clair. Au-delà de l´artiste, est mis en évidence son attachement aux valeurs de liberté, de tolérance et de générosité, et à cette identité tout à la fois hongroise, française et en définitive européenne, dont les influences réciproques contribuèrent à „nourrir et enrichir son art” (4).
Une série de manifestations et concerts qui se tiendront dans quinze pays, de New York à Paris en passant par Londres, Moscou, Bruxelles, Vienne et Genève. Auxquels apporteront leur concours les artistes et formations les plus célèbres, tels Boris Berezovsky, Martha Argerich, Denis Matsuev, Mischa Maisky, Mikko Franck, l´Orchestre de la Suisse Romande, ou encore l´Orchestre de Radio France. Et, bien évidemment en Hongrie (5) dont nous citerons les paroles du fondateur du festival, le pianiste János Balázs : „Georges Cziffra nous offre un exemple éloquent pour être parvenu, par sa tenacité, son talent et sa foi, à se hisser au sommet, au-delà des épreuves les plus dures de l´Histoire…. Dépassant son époque, il nous demeure en ce XXIème siècle plus présent que jamais. Citoyen français, Européen convaincu, il nous sera néanmoins demeuré fidèle et fier de ses origines.”
Voilà ce qu´en cette veille de la nouvelle année, nous pouvions, nous nous devions de dire sur cet artiste qui fut aussi des nôtres. Et dont le souvenir reste profondément ancré dans notre cœur.
Un hommage qui s´imposait.
Pierre Waline
(1): cf. „Quand les Hongrois rendent (enfin…) hommage à l´un des leurs..„ publié dans ces colonnes (février 2020)
(2): à cette occasion lui fut remis dans la chapelle de Senlis un moulage de la main de Liszt, lors d´une cérémonie émouvante en présence d´Éva Barre.
(3): manifestations qui se dérouleront de février 2021 à mai 2022.
(4): Et avec ça, demeuré attentionné, simple et sans prétention. Un témoignage personnel qui remonte à 1985: lors d´une soirée donnée à l´Institut hongrois où se produisaient de jeunes artistes hongrois, il déclina poliment, par un grand sourire gêné, l´invitation qui lui était faite de s´asseoir au piano, pour ne pas porter ombre au jeune pianiste présent.
(5): Festival qui débutera le 9 février par un récital Boris Berezovski et se prolongera sur toute l´année. Avec notamment, (également donné à Paris), le concerto pour piano que le compositeur hongrois Péter Eötvös écrivit en l´honneur de Cziffra et dédia à János Balázs, fondateur du festival.
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