Quand les Hongrois rendent (enfin…) hommage à l´un des leurs..
En octobre 1956 débarquait à Paris un jeune pianiste hongrois, accompagné de son épouse et de son fils, avec pour seul bagage son talent. Il était alors pratiquement inconnu en France. Son nom : György Cziffra.
D´emblée, il conquit le public parisien par sa virtuosité et ses talents d´improvisateur. Au point de se voir confier l´enregistrement des rhapsodies hongroises de Liszt, qui fait aujourd´hui encore référence dans la discographie. La suite, nous la connaissons : dix ans plus tard, il fondait un festival de piano à La Chaise Dieu, puis, une fois obtenue sa naturalisation (1968), il créa en 1975 la Fondation Cziffra destinée à lancer des jeunes pianistes. Rachetant et restaurant une ancienne chapelle royale, alors en piteux état, aujourd´hui siège de sa fondation à Senlis.
Fils d´un musicien tzigane qui s´était produit dans les restaurants et cabarets parisiens dans les années 1910. Mais qui fut emprisonné, lorsque survint la guerre, puis expulsé en Hongrie où il retrouva sa femme. Retrouvailles qui se traduisirent par la naissance du jeune György (1921). Un jeune fils dont le sort ne fut pas toujours plus heureux. Envoyé sur le front de l´Est, il fut fait prisonnier par les troupes soviétiques. Par la suite, arrêté par le régime communiste après avoir tenté de passer la frontière, il fut déclaré prisonnier politique et envoyé entre 1950 et 1953 dans un camp de travail, comme convoyeur de pierres, tâche qui lui laissa une séquelle (d´où ce fameux bracelet de cuir qu´il portait au poignet).
Mais entre-temps, le jeune Cziffra avait pu se forger une solide formation de pianiste. Repéré dès l´âge de huit ans par Ernő Dohnányi, il intégra le Conservatoire de Budapest (Zeneakadémia) où il fut entre autres élève de Dohnányi et Leo Weiner. Pour se produire en public dès l´âge de 16 ans, invité même en tournée à l´étranger (Pays scandinaves, Pays Bas). Études qu´il reprit après la guerre, se produisant le soir dans les bars de Budapest pour gagner sa vie.
Pour la suite, rejeté par le régime après son passage à l´Ouest, il fallut attendre le début des années quatre-vingts pour qu´il obtînt une reconnaissance officielle du gouvernement hongrois (1). Période malheureusement marquée par un terrible drame : la mort accidentelle de son fils Georges, jeune chef d´orchestre, survenue en 1981. Jusqu´à son décès survenu en 1994, Cziffra ne s´en remit jamais, limitant ses parutions en public et renonçant dès lors à se produire devant un orchestre.
Il serait vain de tenter d´évoquer ici les nombreux superlatifs qui lui ont été appliqués („le pianiste du siècle, réincarnation de Liszt”). Il nous suffira de rappeler l´admiration qu´éprouvait Alfred Cortot à son égard (suite à une audition du Carnaval de Vienne). Réputé non seulement pour ses interprétations de Liszt, Chopin, Schumann et Bartók, mais également apprécié pour son talent d´improvisateur et les nombreuses paraphrases qu´il nous a laissées.
Après l´avoir tenu plus ou moins dans l´ombre, il était grand temps que le public hongrois le reconnût enfin comme des siens et lui rendît hommage. Il fallut pour cela attendre 2016, lorsqu´un jeune pianiste hongrois, János Balázs (2), prit l´initiative de lui consacrer un festival. Festival qui se tient chaque année à Budapest, rassemblant des artistes venus d´horizons les plus divers. Offrant un programme particulièrement riche et varié : récitals, conférences, tables rondes, soirée jazz, projection de film, cycle de formation pour les jeunes (master classes) assorti de remise de prix. Nous devons une fière chandelle à ce jeune pianiste, fidèle visiteur de la Fondation de Senlis (2), pour avoir eu le courage et l´énergie de mettre sur pied une telle manifestation et de s´y attirer la présence d´artistes de renom.
Souhaitons-leur plein succès (4).
Festival qui se tient cette année du 16 au 23 février (cziffrafesztival.hu)
(1): à cette occasion lui fut remis dans la chapelle de Senlis un moulage de la main de Liszt, lors d´une cérémonie émouvante qui se tenait dans la chapelle de Senlis, en présence d´Éva Barre. Autre souvenir personnel qui remonte à 1985: lors d´une soirée donnée à l´Institut hongrois où se produisaient de jeunes artistes hongrois, il déclina poliment, par un grand sourire gêné, l´invitation qui lui était faite de s´asseoir au piano, pour ne pas porter ombre au jeune pianiste présent.
(2): né en 1988 et titulaire de nombreux prix, János Balázs fait partie de cette jeune génération de pianistes hongrois actuellement en vogue dans leur pays.
(3): la Fondation dont la directrice artistique, la pianiste Isabelle Oehmichen, qui anime chaque été une master classe à Budapest, travaille en étroite collaboration avec les organisateurs du Festival.
(4): à signaler: ses mémoires parus sous le titre „Des canons et des fleurs” (traduits en hongrois), malheureusement non réédités., tant pour la version française que pour la version hongroise („Ágyúk és virágok”).
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