L’homme de Londres

L’homme de Londres

Le nouveau film de Béla Tarr

Image retirée.Après un accueil mitigé à Cannes, L’homme de Londres de Béla Tarr a été projeté fin janvier en avant-première au cinéma Uránia. Dès le premier panoramique d’une radicale lenteur, on comprend pourquoi les plus impatients des festivaliers de la croisette, devant tenir leur rythme de trois, quatre projections par jour, n’ont pas résisté et se sont levés avant la fin du plan.

Malouin travaille de nuit comme aiguilleur dans une gare portuaire. De sa cabine surélevée, il peut voir tout ce qui se passe autour de lui, disposant d’une vue à 360 degrés. Une nuit, il assiste à une rixe entre deux hommes sur le quai. Le premier pousse le second qui tombe à l’eau avec une valise. L’assassin s’éloigne. Malouin, descend de son poste et parvient à récupérer la valise. Elle est pleine de jolis billets anglais qu’il va faire sécher sur son poêle.

On reconnaît une trame classique du film noir, à savoir la valise pleine d’argent autour de laquelle des gens s’agitent et se flinguent. D’habitude, la valise change deux ou trois fois de main et pas grand monde ne profite de son contenu au final. Pourtant, sur cette base, le film de Béla Tarr ne développe rien d’habituel au genre. Pas de poursuites échevelées ni d’échanges de coups de feu. C’est que, adapté d’un roman de Simenon, le film reprend des œuvres du romancier une atmosphère caractéristique d’immobilité poisseuse. Le premier choix esthétique du réalisateur hongrois tient donc à cette fidélité voulue à l’atmosphère simenonienne, insistant sur les états de personnages taciturnes plutôt que sur leurs actes, le métrage ne comportant aucune véritable péripétie divertissante.

Nous sommes ainsi en présence d’un homme, Malouin, à la motivation faible et qui va se contenter d’exploiter le crime d’un autre. L’action est d’emblée rejetée dans le hors champ scénaristique puisque tout ce qui aurait pu être « passionnant » – le comment technique du crime de l’acrobate par exemple – a été délibérément mis à la poubelle et ne sera évoqué que brièvement dans le dialogue. Après le vol, Tarr explore l’environnement sordide de Malouin, sa vie simple, qui est aussi la motivation de son vol. Sa fille, esclave dans une boucherie, son épouse détruite, son appartement sordide, ses quelques parties d’échecs avec le taulier ; c’est la répétition infernale d’un quotidien qui n’apportera jamais rien d’autre que sa propre reproduction, avec l’espoir pitoyable – auquel on ne croit même pas – d’en sortir un jour par l’argent. Voici le thème.

Si vous pensez que le cinéma doit vous divertir du quotidien ce n’est pas le bon film à aller voir ce soir. Son propos étant justement de vous replonger par des moyens esthétiques dans le marasme répétitif d’une vie laborieuse et sans lendemain qui chante.

Outre la qualité des plans-séquences, du noir et blanc et surtout des acteurs, le film utilise le son sur un mode saisissant car résolument répétitif mais varié. Trouvant quelquefois sa source dans l’image, par exemple dans les gestes du boucher découpant mécaniquement sa pièce de viande, un certain tac-tac revient régulièrement dans le film. A d’autres endroits il n’aura aucune justification dans l’univers filmique, et s’imposera purement, comme dans cette terrible minute de noir qui interrompt le cours du film et laisse opportunément le temps au spectateur de se demander ce qu’il fait là (pas dans le cinéma, dans la vie). Pour la musique, ce sont quelques arpèges et une ritournelle d’accordéon qui reviennent implacablement semblables à eux mêmes et finalement au tac-tac fondamental susmentionné.

Si le film explore la noirceur et la faiblesse du cœur humain d’une façon esthétique magistrale et presque insupportablement cohérente avec son propos, il n’est pas refermé sur lui-même tel un système clos qui penserait avoir le dernier mot sur l’humain. Une frange de rêve et de gratuité existe, au détour d’un panoramique dans le bar qui nous dévoile en fin de mouvement la danse étrange des ces hommes, l’un brandissant une chaise, l’autre maintenant une boule de billard sur son front. Absence de justification scénaristique. Il y a aussi ce petit passage d’un comique angoissant avec les deux vendeurs et leur insistance grotesque dans la vente, lorsque Malouin devenu riche veut offrir un cadeau à sa fille. Brèves sorties du quotidien et de la tonalité du film.

Cette avant-première à l’Uránia, en présence du réalisateur, aura été l’occasion de lui poser après la projection quelques questions. Lui demandant pourquoi il avait réalisé un polar sans action, Tarr Bela a répondu que si l’on regarde son film du point de vue du cœur humain, il est plein d’action. Et à la question de savoir s’il se rendait compte qu’il exigeait beaucoup de patience de son spectateur, il a rétorqué avec un sourire : « non ».

Alexis Courtial

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