Au paradis des dermatologues
Le Billet d'Humeur amical
Pour Emma qui pendant si longtemps nous a fait voyager de Budapest en Budapest Par Cours
Il fait beau, il fait chaud, c’est l’appel de l’eau. Des corps, des corps exposés, des chouettes, des laids, sans beauté cachée. Vous êtes aux Bains.
Et comme il faut en choisir un, pourquoi pas l’énorme pièce montée vanillée la plus célèbre de Budapest : Les Széchenyi.
Pour y arriver, n’y allez pas par quatre chemins : il vous faut remonter Andrássy d’un trait. Entre Deák tér et Oktogon pas de soucis. Le terrain est balisé. Vous êtes sur les Champs-Elysées, le paradis des coïtcottes, le rêve ébauché d’un luxe décomplexé. Pourtant, ça ne se bouscule pas vraiment au portillon. Les magasins semblent abandonnés et ces derniers temps, la vitrine de Vuitton fait comme une araignée. Tiens, tiens, aurait-elle pris un pavé?
Vous, vous arrêtez un temps ou deux sur Liszt Ferenc tér pour regarder les gens aux terrasses des cafés. Ambiance m’as-tu vu. Oui oui, je ne t’ai pas loupé avec tes lunettes sur la tête, tes gros muscles roulant sous un T-shirt moulant et ta couleur Balaton. Et puis vous voilà sur Oktogon avec ses petites baraques à fleurs, sa foule qui s’affaire et Budapest retrouvée. La Budapest des interminables Körút qui palpitent comme des poumons. Ouf, vous respirez.
Là, deux options: ou vous prenez le métro qui est un petit bijou Belle Epoque ou vous remontez triomphalement l’avenue jusqu’à la place des héros. A défaut de char, un cyclo-pousse peut faire son petit effet.
Attention ! Péché Véniel en perspective à confesser au n° 70. À la pâtisserie Lukács, la tarte tropezienne est bonne comme là-bas dis ! D’ailleurs, les prix aussi. De toute façon, au diable les varices et comme aux bains, on finit toujours transformé en crème fouettée, un peu plus un peu moins …
Place des Héros, vous vous campez bien en son centre et pivotez rapidement sur vous même comme un derviche tourneur. Avec les moyens du bord, vous vous bricolez le plus beau et le plus long travelling éphémère de l’histoire du cinémascope. Vous arrêtez juste avant de vomir votre tropezienne et vous titubez jusqu’aux bains. Et là, et là…
Voilà la première grande épreuve : celle des caissières du Széchenyi…
Et il vaut mieux avoir l’esprit brouillé pour les affronter en combat singulier. Heureusement, elles sont bien parquées derrière une cage en verre. Ouf, vous finissez par triompher sans gloire délesté d’un joli paquet de sesterces et vous passez le portillon. Sésame ouvres-toi et en route pour les cabines où c’est la loterie. Certains employés sont charmants, d’autres si parfaitement exécrables que l’on se demande presque si ce n’est pas pour forcer la couleur locale et nous rappeler que chaque moment de grâce a un prix.
Et à propos de grasses, une fois acrobatiquement changé sans avoir jamais posé vos pieds nus sur le sol , vous y êtes enfin dans le saint des saindoux.
C’est le grand concours aux maillots mouillés sur cette splendide esplanade de trois bassins. Et il y a en a pour tous les goûts : du poutre apparente bien magyar, du tanga dit brésilien, du body gonflé surfeur californien, du szuper shorty italien, du mini-mini strassé à la moscovite, du nageur noir tendance veuve sicilienne souvent surmonté d’un bonnet insensé… Et ça papote et ça barbotte tranquillement avec cette façon si agréable en Hongrie de ne jamais faire trop de bruit. C’est bondé mais paisible. Comme tout le monde, laissez-vous aller à ce qui peut passer pour être ici un sport national: bronzer car…
Visiblement le mélanome on connaît pas par ici au vu de toute la palette des dorés et mordorés qui vous font toujours passer pour un navet.
On en voit tout un nuancier. Les seniors notamment arborent souvent des bronzages veloutés à envoyer se faire rhabiller toutes les années. Car ici, aller aux Bains, c’est avant tout culturel et… curatif. Drôle de prescription pourtant: lézarder en plein soleil, se faire secouer la cellulite par des jets violents, s’ébouillanter la peau dans une eau qui sent l’œuf pourri ou dans des bains de vapeur qui au premier abord, semblent intolérables de chaleur… Pourtant générations après générations, les familles, les amoureux, les amis s’y retrouvent et tout le monde semble très bien s’en porter.
Au milieu de cette ambiance à la fois bonne enfant, torride et foutraque, les nombreux touristes développent parfois d’étranges réactions épidermiques : retour en enfance débridé dans le tourbillon; concupiscence la plus visible pour certaines spécialités locales ; peur panique d’attraper des cochonneries ou syndrome paranoïaque du touriste. Dans tous les cas, on aime ou pas, on a peur ou pas, on accepte de se fondre, d’être attendri ou pas. Ça n’est jamais fade, ça ne laisse jamais indifferent. Ces bains là sont un peu comme une petite métaphore de la Hongrie. Quand on les a dans la peau, c’est bien pour la vie.
Marie-pia Garnier