Interview : Béatrice Edwige, le rempart français du FTC

Interview : Béatrice Edwige, le rempart français du FTC

Beatrice Edwige

Avec l’équipe de France de handball, Béatrice Edwige a tout gagné, de l’or olympique à Rio en 2016 aux championnats d’Europe en 2018, en passant par un titre mondial en 2017. À son poste de pivot, en plein cœur du jeu, partout où elle passe, elle est un maillon important du collectif, notamment pour son impact défensif. Après un début de carrière en championnat de France, la Parisienne rejoint en 2019 la Hongrie en signant à Győr. En 2022, elle pose ses valises à Budapest en signant chez l’autre géant du handball féminin hongrois : le Ferencvárosi TC. Dans le club phare de Budapest, elle semble s’épanouir auprès de deux autres françaises : Laura Glauser et Orlana Kanor. Au milieu d’une saison mouvementée, durant laquelle le FTC est bien positionné en championnat et en Coupe d’Europe, Béatrice Edwige a accepté de nous livrer cette interview.

JFB : Pourriez-vous vous présenter brièvement ?

Béatrice Edwige : Bonjour, je suis Béatrice Edwige, j’ai 36 ans. Je fais du sport depuis très longtemps et du handball depuis longtemps. Je me suis mis au handball par curiosité. Auparavant, je faisais de l’athlétisme. J’avais envie de découvrir un sport plus collectif et il y avait un complexe sportif pas loin de mon stade d’athlétisme. Je me suis lancée. Voilà comment a débuté mon aventure de handballeuse.

JFB : Quel est votre parcours de joueuse en championnat de France ?

B. E. : J’ai évolué avec différents clubs : d’abord à Celles-sur-Belle, ensuite à Dijon, puis à Nice et enfin à Metz. Chaque club représente une histoire différente car j’y ai évolué à des moments différents de ma carrière, dans des contextes qui n’étaient pas les mêmes. D’une manière générale, je ne garde que des bons souvenirs.

JFB : Côté équipe de France, votre palmarès est impressionnant. Vous avez pris votre retraite internationale en juillet 2024. Quelles sensations avez-vous ressenties en portant ce maillot bleu pour la première fois ?

B. E. : J’étais super fière, stressée mais fière. C’était inattendu, je ne pensais pas un jour pouvoir porter un jour ce maillot. J’étais fière pour moi, mais encore plus pour ma famille et mes proches. C’était un sentiment incroyable. Je ne pensais pas en le portant cette première fois que j’allais vivre autant d’aventures avec ce maillot.

JFB : Vous avez fait plus que porter ce maillot, vous l’avez sublimé en remportant les plus grands titres du handball international : un titre européen, un titre mondial et un titre olympique, sans oublier des médailles en argent et en bronze. Laquelle est la plus belle à vos yeux ?

B. E. : Je parlais de cela il n'y a pas longtemps avec les filles du club. Je pense qu’avec du recul, mon top trois a changé. Si vous m’aviez posé la question deux ans plus tôt je n’aurais pas répondu la même chose. À l’heure actuelle, s’il ne faut en retenir qu’une, je retiens le titre olympique à Tokyo en 2021. En deuxième position, je mettrais la médaille d’argent aux Jeux de Rio en 2016. En troisième, je dirais le titre européen à Paris en 2018.

JFB : Les Jeux Olympiques, c’est vrai que ça reste quelque chose à part…

B. E. :  Oui, car je me rends compte que c’est quelque chose d’unique de pouvoir dire «  Je suis championne olympique  ». Peu de handballeuses françaises peuvent dire ça. En tant que premières championnes olympiques françaises de l’histoire, cela ajoute encore de la valeur à ce titre. Comme on dit souvent, on est à jamais les premières. On se rend compte que c’est quelque chose d’extrêmement difficile à atteindre. D’une manière générale, je pense qu’on apprend à savourer ce genre de moment avec du recul. C’est maintenant que je me répète «  Béa, ce que tu as fait avec les filles, c’est quelque chose de grand ». Quand on voit que certaines joueuses ont bataillé pour obtenir cette médaille avant de pouvoir prendre leur retraite. J’ai eu la chance de réaliser ce rêve dès ma deuxième olympiade et j’en suis très heureuse.

JFB : Parlons désormais de votre histoire en Hongrie. Vous connaissez plutôt bien le championnat, vous qui avez joué pour les deux meilleurs clubs du pays. Avant d’arriver ici, quelle était votre image de ce championnat ?

B. E. : Quand j’étais à Metz, on connaissait toutes le championnat Hongrois pour Győr, qui faisait toujours partie des favoris en Champions League. On connaissait un peu le FTC car on avait joué contre cette équipe. Finalement, tout cela était quand même très éloigné. On savait qu’il y avait deux très belles équipes mais notre connaissance de ce championnat n’allait pas plus loin.

JFB : En 2019, vous arrivez donc en Hongrie, à Győr. Qu’est ce qui a changé dans votre quotidien ?

B. E. : J’ai été agréablement surprise de voir que les hongrois ont avec le sport, et plus précisément le handball, un rapport formidable. Quand on est sportif, c’est toujours un plaisir de se rendre compte que les gens aiment vraiment le handball féminin. Ce sont des passionnés, qui n’hésitent pas à se déplacer à l’autre bout du pays pour supporter l’équipe. Il y a toujours du monde avec nous, et ça c’est assez incroyable. Je dis pas qu’il n’y a pas ce rapport là en France, mais il me paraît complètement différent. On est sur un autre niveau. Après il faut aussi prendre en compte le fait que la Hongrie est un pays plus petit, ce qui permet de se déplacer plus facilement. Cependant, leur amour pour l’équipe est vraiment immense. En Hongrie, il y a une vraie identité club. Je trouve ça beau.

JFB : On se doute bien que pour supporter les grosses équipes de Győr et Ferencváros, il y a du monde. Quand est-t-il des autres clubs ?

B. E. : Il y a toujours de l’ambiance, oui. A partir du moment où le FTC se déplace, il y a du monde. C’est toujours un événement car ce club a des fans partout dans le pays. C’est la grosse équipe de la capitale, elle est très appréciée des Hongrois. Après, je ne sais pas comment est l’ambiance lors des autres matchs, mais quand nous nous déplaçons il y a souvent du monde. Il faut comprendre que les gens viennent voir des joueuses internationales et les handballeuses de la sélection nationale hongroise. C’est un moment de fête pour eux.

JFB : Vous arrivez au FTC en janvier 2022, après un passage en Russie. Comment cela s’est déroulé ?

 B. E. : Le club de Rostov ne souhaitait plus que je fasse partie de l’équipe. J’ai été contactée par le FTC, par Elek Gábor, l’entraîneur de l’équipe à ce moment-là. Je suis arrivée ici, c’était le début d’une belle aventure au FTC.

JFB : L’année dernière est particulière. Vous êtes éliminées en quarts-de-finale de la Ligue des Champions, compétition qui sera remportée par vos rivales de Győr. Cependant, vous réalisez un beau doublé en remportant la coupe de Hongrie et le championnat. Racontez-nous comment ça s’est passé.

B. E. : L’année dernière, nous avons connu une saison compliquée. Il y a eu un changement de coach très tôt dans la saison, en octobre. Le début de saison en coupe d’Europe était extrêmement délicat. On finit par se qualifier en huitièmes de finale à deux journées de la fin, avec seulement un petit point d’avance sur les septièmes, non-qualifiée pour la suite de la compétition. Déjà, atteindre les quarts, ça nous paraissait assez fou. Alors oui, au final, on était déçues. Mais on était tout de même satisfaites au vu du contexte. Nous n’avions pas pris le moindre point à la fin du mois d’octobre. Au bout du compte, on ne s’en sort pas si mal.

A l'inverse, en championnat, on s’est accrochées. On s’était dit qu’il fallait faire le boulot. On a vite compris que pour la Ligue des Champions, ça s’annonçait compliqué, donc on se devait de faire notre travail à l’échelle nationale. Nous n’avions pas le droit de lâcher. A la fin, on réalise ce doublé coupe-championnat qui n’était pas arrivé au FTC depuis 24 ans. Malgré tout, la saison dernière reste une belle saison, notamment pour les fans. Pour eux, le championnat et les coupes sont aussi importants que la Ligue des Champions, voire plus importants encore. Il faut être à fond sur les trois tableaux, c’est primordial. L’ordre de priorité est, à mon avis, championnat, puis coupe, puis Ligue des Champions. Pour l’année dernière par exemple, la coupe d’Europe, ça aurait été la cerise sur le beau gâteau. Mais déjà, le doublé, c’était grandiose.

JFB : Cette année, votre début de saison est réussi. Vous êtes actuellement deuxièmes en championnat, avec un match de retard, et vous avez terminé deuxièmes de votre groupe en coupe d’Europe. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

B. E. : Pour moi, la fin de saison, c’est tout ou rien. Le ton va être donné dès ce week-end, avec la coupe de Hongrie. Le FTC a soulevé ce trophée trois années de suite et il faut continuer. De début mars à la fin du mois d’avril, on peut tout perdre. Je ne sais pas comment ça va se passer ce week-end, je ne sais même pas si on réussira à aller en finale. (ndlr : le FTC de Béatrice Edwige a remporté la coupe le dimanche 2 mars en s’imposant 25-24 contre Győr). Après, il faudra réussir les matchs de championnat. Le but, c’est de ne pas perdre le moindre match jusqu’au match retour contre Győr, à l’extérieur. Là-bas, il faudra gagner ou faire un nul, ou perdre avec peu de buts d'écart. A côté de cela, il y a un quart de finale de Ligue des Champions, en format aller-retour, forcément contre une belle équipe. On entre dans un moment crucial pour le club. Il faut se concentrer, être au meilleur de sa forme pour performer.

JFB : Il faut ajouter que cette année, le Final Four de la Ligue des Champions, donc les demi-finales et la finale, est à Budapest, au MVM Dome. Cela doit renforcer davantage cette envie d’être au niveau.

B. E. : Bien évidemment, ça compte. Quand on joue au Dome, on joue à domicile. Le Dome est à quatre minutes de la salle où l’on joue. C’est vraiment le quartier de Ferencváros, en face du stade. Bien sûr qu’une qualification en Final Four est très importante.

JFB : En Hongrie, comme on le répète, il y a une rivalité entre Ferencváros et Győr. Vous avez joué pour les deux clubs. Comment décrire cette rivalité ?

B. E. : Je n’ai pas beaucoup de recul pour parler de cette rivalité. Je n’ai pas assez de connaissances sur l’historique du championnat. Ce qui est certain, c’est que c’est une rivalité qui fait partie de la culture handballistique féminine historique. Quand on connaît le handball, on sait que Győr-FTC, c’est un peu le Real-Barça de notre sport. En termes de visibilité, dans le microcosme du handball féminin, je dirais même qu’un Győr-FTC résonne plus qu’un choc en France, un Metz-Brest par exemple. Quand j’ai commencé le handball, je ne regardais pas le championnat hongrois. Pourtant, je savais déjà que le Győr-FTC était la rencontre que tout le monde attendait. On sent que ce sont des moments importants. En tant que joueuse, quand Győr-FTC arrive, il y a une atmosphère différente toute la semaine. On le sent vraiment. La tension qui monte tout au long de la semaine, le soutien des supporters…On sait que c’est le moment où il faut être prêtes. Je trouve ça bien car c’est du divertissement. Bien sûr, nous, ça nous reste notre travail. Mais nous sommes là pour divertir. Quand on rentre sur le terrain d’un Győr-FTC, il y a de l'électricité dans l’air. Tout est différent. Je ne sais pas comment l’expliquer mais c’est quelque chose à part.

JFB : Quel moment de votre carrière vous a le plus marquée jusqu’à présent en Hongrie ?

B. E. : Je dirais le rapport aux fans. Ce n'est pas forcément un moment précis mais ça me marquera toujours. Je trouve vraiment qu’on a des fans géniaux. Ce week-end, on jouait au Danemark. Ils étaient une vingtaine. C’est assez fou quand on y pense. Ce sont des gens qui donnent du temps à leur équipe. D'un point de vue économique, je me dis que ça doit être aussi un budget de nous suivre sur l’ensemble de nos déplacements. Quand on voit ces gens se déplacer pour nous, on se dit qu’ils doivent faire de gros efforts pour cette passion. Je me dis qu’on doit toujours donner plus, pour eux. Leur plaisir, c’est de nous voir gagner, gagner pour leur club de cœur. Même durant les périodes difficiles, comme en début de saison l’année dernière, nos supporters ne nous ont jamais hués, jamais ne fait preuve de leur mécontentement. Au contraire, ils ont continué à pousser, à nous encourager. Je leur tire vraiment mon chapeau car je trouve ça remarquable d’avoir un tel amour pour son club. C’est ça qui me marque à Fradi, ici, au FTC.

JFB :  En dehors du handball, quelles sont vos passions et occupations ?

B. E. : Je suis plutôt casanière durant la saison. J’aime beaucoup rester chez moi. Franchement, je suis ennuyeuse comme fille (rire). Je me repose, je regarde la télévision, je me balade avec mon compagnon. Je vois aussi régulièrement les filles du club. Mais oui, d’une manière générale, je suis casanière.

JFB : Si vous n’aviez pas été handballeuse, quelle carrière auriez-vous envisagée ?

B. E. : Si je n’avais pas fait de handball, j’aurais fait de l’athlétisme. En dehors du monde du sport, j’aurais aimé travailler dans le monde du luxe.

JFB : Quel conseil donnez-vous à un jeune qui rêve de briller dans le monde du sport ?

B. E. : Il faut s'accrocher, vraiment. Les histoires de « projet Mbappé » ou « projet Léon Marchand », c’est rarement sérieux. Je ne pense pas que j'aurais répondu par l’affirmative si l'on m’avait demandé à trois ans si je pensais être championne olympique. Ce sont des choses qui se construisent, étape par étape. Il faut y mettre de l’amour et de la passion. Il faut se construire son projet, sans se mettre trop de pression. Par contre, dès lors que tu as un objectif en tête, il faut tout faire pour l’atteindre. Il ne faut pas croire que le talent arrive d’un claquement de doigts. Moi, je n’étais pas une joueuse très talentueuse, mais j’ai été une grosse travailleuse. Je n’ai rien laissé au hasard, en faisant toujours en sorte d’arriver à atteindre mes objectifs, sans jamais viser trop haut, petit à petit. C’est grâce à cela que j’ai réussi à atteindre le niveau que je voulais. Il faut aussi croire en soi. Il ne faut pas se la raconter et avoir une trop haute estime de soi, mais se dire qu’il est toujours possible de mettre des choses en place pour réussir quelque chose. Il faut aussi savoir s’entourer des bonnes personnes, et ne pas brûler les étapes. Les parents aussi ont un rôle à jouer. Il faut laisser l’enfant se diriger vers le projet qu’il souhaite. J’ai eu la chance d’être très bien entourée par mes parents, mon beau-père, mon compagnon. J’ai gardé les pieds sur terre quand il le fallait grâce à ça.

JFB : Vous avez eu un peu de temps pour découvrir Budapest. Quel est votre lieu préféré dans la capitale hongroise ?

B. E. : J’aime beaucoup cette ville. Je trouve que c’est une capitale européenne à taille humaine. Je trouve la ville belle, très propre. Pour mon lieu favori, je dirais le long du Danube, à côté du Parlement, avec une vue sur tous les ponts. C’est un endroit reposant et apaisant.

JFB : On termine avec une question gastronomique. Quel est votre plat favori en Hongrie ?

B. E. : J’aime beaucoup les pogácsa mais ce n’est pas vraiment un plat. Je trouve que leur goulash est également très bon.

JFB : Merci à vous, Béatrice Edwige, pour vos réponses et bonne fin de saison avec le FTC.

Faustin CLÉMOT

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