Sunshine - Quelques réflexions sur le film d’István Szabó
Le film Sunshine, réalisé par István Szabó, est un marqueur important du cinéma Hongrois. Coproduit par la Hongrie, l'Autriche, l'Allemagne et le Canada, sa sortie en 1999 fut un vrai succès sur la scène internationale. Relatant l’histoire d’une famille Hongroise juive sur trois générations, le film montre l’évolution historique et sociétale du pays depuis l’Empire d’Autriche-Hongrie à la chute du régime communiste. L’ayant visionné récemment, je me devais de mettre à l’écrit les pensées que j’ai eues pour ne pas les oublier – c’est un film de 3 heures tout de même, et qui aborde énormément de choses passionnantes.
Après avoir regardé le film Sunshine, j'ai eu le sentiment d’avoir juste achevé de lire un livre d'histoire sur la Hongrie. Le film était magnifiquement organisé, montrant l'évolution d'une famille juive hongroise au XXe siècle, à travers ses difficultés, ses espoirs et sa place dans une société en constante évolution. Bien qu'il s'agisse d'une fiction, le film s'est inspiré de situations et de personnages réels et a donc une fonction didactique.
La montée de la famille Sonnenschein
En suivant la vie d'Ignatz Sonnenschein, d'Adam et de son fils Iván, et des personnages qui les entourent - les parents juifs attachés aux traditions, sa belle-sœur et épouse Valeria, les officiers communistes etc. – le public peut acquérir des connaissances précieuses sur ce qu'était la réalité sociale de la Hongrie, et plus généralement de l'Europe, durant ce siècle de transformations. Sunshine partage le prisme d’une famille juive qui tente de s'assimiler à la majorité. Cette volonté d'être enfin considérés en tant que « vrais Hongrois » pendant la montée du nationalisme et de l'antisémitisme les a poussés à changer de nom – de Sonnenschein à Sors – et à se convertir au christianisme. Le film arbore des détails historiques, comme sur le fait qu’il était courant en Hongrie de changer un nom de famille ayant des consonnances étrangères afin de paraître plus hongrois et d'avoir accès à des opportunités. Le film rappelle également la façon dont les Juifs hongrois étaient traités pendant la période de la Seconde Guerre Mondiale, et comment les Juifs ont continué à être craints même après la libération soviétique, notamment à cause du sentiment antisioniste.
Trois générations – trois personnages joués par Ralph Fiennes
Un autre aspect brillant du film est que le même acteur, le britannique Ralph Fiennes, a joué les trois personnages d'Ignatz, d’Adam et d’Iván. Cela montre une continuité dans l'histoire de la lignée familiale, comment une génération réalise les espoirs et les luttes de la précédente. Il montre comment la crise d'identité a mis du temps à trouver une conclusion - Iván reprenant son nom juif Sonnenschein et réalisant que son individualité est plus importante que les catégorisations collectives. Le moment où il trouve la lettre de son arrière-grand-père Emmanuel, et visualise les visages de son grand-père et de son père en la lisant est particulièrement émouvant. Cette lettre générationnelle réaffirme tous les adages que sa famille a retenu à travers son existence.
« Si votre vie devient une lutte pour l'acceptation, vous serez toujours malheureux. »
« Notre vie n'est rien d'autre qu'un bateau à la dérive sur l'eau équilibré par une incertitude permanente. »
« Sur les gens que vous jugerez, sachez ceci; tout ce qu'ils font, c'est lutter pour trouver une sorte de sécurité. Ce ne sont que des gens, comme nous. Par conséquent, vous ne devez pas les juger sur la base d’apparences ou de ouï-dire. »
« Ne vous joignez pas au pouvoir. Méprisez tout rang »
Le film se concentre sur une période très sombre de la Hongrie : on assiste à l’effacement progressif de la famille Sonnenschein. Quand il y avait un succès, il était immédiatement suivi d'une tragédie familiale, et d'un tournant dans l'histoire hongroise. Tout d'abord, Ignatz gravit les échelons sociaux en devenant un juge notable, mais cela se termina par l'effondrement de l'empire austro-hongrois et son divorce avec Valeria, qu'il finit par violer. Ensuite, Adam connu également le succès en remportant la médaille d'or d’escrime aux Jeux Olympiques, mais fut rattrapé par la montée du nazisme. Sa vie amoureuse fut déchirée entre deux femmes, et il fut finalement tué par les officiers du camp de travail. Enfin, Iván rompit plus ou moins le cycle. Il « réussit » dans l’administration communiste en occupant une position de haut rang, mais la femme qu’il aime l’ignore, alors que le régime soviétique s’effondre. La branche généalogique s’achève ainsi avec lui. Cependant, cela le rend libre en tant qu'individu.
La maison familiale
Métaphoriquement, la maison familiale est de moins en moins cossue au fil des décennies, à l’image du statut de la famille, et plus généralement des Juifs en Hongrie, destitués et privés de leurs possessions et de leur liberté. De plus, la famille a progressivement rétréci : Emmanuel Sonnenschein eut trois enfants, Ignatz en eut deux, puis Adam eut un fils unique, et finalement Iván ne se marie pas et n’a pas d’enfant à la fin du film. Symboliquement, ce rétrécissement rappelle l'évolution historique de la société hongroise du XXème siècle, qui a progressivement fait effacer les différences sous les dictatures successives, au profit d’une nation homogénéisée. Au temps du nationalisme exacerbé, les seuls choix étaient de se cacher, de s’assimiler ou bien de fuir. La prise de conscience d’Iván au moment de la chute du régime soviétique est emplie de liberté. Ce moment marque la transition personnelle d’Iván en tant qu’individu au-delà de ses origines, ainsi que de la transition de régime, où la dictature laisse place à la démocratie
La scène où Valeria Sors, sur son lit de mort, se rappelle son nom d’origine, Sonnenschein, et celle où Iván change son nom au profit du nom familial juif, sont très significatives. Non seulement les individus juifs sont affranchis du stigma des autorités, mais en plus ils peuvent s’épanouir personnellement. Ils n’ont plus besoin de se cacher, d’ignorer leur histoire, d’avoir peur du jugement et des persécutions, de devoir tout faire pour être Hongrois. C’est une prise de conscience du primat de la liberté, de l’acceptance de leur identité, et du rejet de la peur.
Constantin Lu
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