Sur les bords de la Seine ou du Danube le travail affranchit-il ou aliène-t-il ?

Sur les bords de la Seine ou du Danube le travail affranchit-il ou aliène-t-il ?

Travail

Imaginons que le délétère slogan francisé, le Travail rend libre, soit repris ces temps-ci par les grévistes dans les rues de nos bonnes villes. Le patronat et notre Gouvernement seraient aux anges. Et – pour conforter le projet de retraite à 64 ans – certains médias ne se sont pas privés de rappeler que la doyenne de l’humanité, une Francaise de 118 ans, sœur André, aurait travaillé jusqu’à… 108 ans, claironnait-elle. Waouh ! Sans doute n’avait-elle pas trimé.

On disait autrefois que le mot le plus prononcé chaque jour dans le monde était Dieu. Erreur ! Aujourd’hui, ce sont les mots : Retraite, Travail, Chômage, avec majuscules. Mais ce ne sont pas les mêmes personnes qui les magnifient.

Il y a environ 80 ans, dans un certain régime, le travail… des autres était prôné comme une valeur suprême, le moyen suprême de se réaliser au point que des assassins institutionnalisés avaient associé travail et liberté sur le fronton de leurs usines de mort.

Naguère, dans les défilés des travailleurs – toutes obédiences confondues – on criait « du travail pour tous ! » et leurs représentants précisaient sur les ondes que cela était « une affaire de dignité ». Certains avaient été les défenseurs d’un système collectif qui avait abouti au Goulag. Tous ces lieux de promotion de l’homme par le travail… forcé, étaient très bien organisés pour réhabiliter l’homme et la femme.

TravailHonnêtement, ne sommes-nous pas encore en 2023, nous retraités, actifs jeunes et moins jeunes, convaincus que le travail est ce qui permet d’assurer dignement une position sociale dans notre société ? Un travail, un emploi, une situation, un poste, du TAF comme disent les jeunes, c’est ce qui préoccupe la majorité des adultes de notre planète. Pourtant, pendant des siècles des femmes et des hommes se sont courbés sous la tâche, le visage ruisselant de sueur, noirci de suie, le corps douloureux sous l’effort, les mains souillées de terre. C’était un signe de reconnaissance des prolétaires mais aussi pour certains la malédiction judéo-chrétienne : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ! », imprécation aussi insistante dans notre inconscient que cette autre ânerie : « tu enfanteras dans la douleur ! »

Le chômage, le travail ? Ça n’est pas nouveau. Il y a environ deux mille ans, en Judée, un rabbi anonyme en son temps, racontait une histoire :

« Un maître de maison sortit dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux d'un denier par jour. Il sortit vers la troisième heure, et il en vit d'autres qui étaient sur la place sans rien faire. Il leur dit : ‘Allez aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera raisonnable.’ Il Travailsortit de nouveau vers la sixième heure et vers la neuvième, et il fit de même. Étant sorti vers la onzième heure, il en trouva d'autres qui étaient sur la place, et il leur dit : ‘Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ?’ Ils lui répondirent : ‘C'est que personne ne nous a loués.’ ‘Allez aussi à ma vigne, leur dit-il.’ Quand le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers, et paie-leur le salaire, en allant des derniers aux premiers.’ Ceux de la onzième heure vinrent, et reçurent chacun un denier. Les premiers vinrent ensuite, croyant recevoir davantage ; mais ils reçurent aussi chacun un denier. En le recevant, ils murmurèrent contre le maître de la maison, et dirent : ‘Ces derniers n'ont travaillé qu'une heure, et tu les traites à l'égal de nous, qui avons supporté la fatigue du jour et la chaleur.’ Il répondit à l'un d'eux : ‘Mon ami, je ne te fais pas tort ; n'es-tu pas convenu avec moi d'un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t'en. »

Pour nous Français, il est évident que si aujourd’hui on traitait ainsi des travailleurs, ils saisiraient le Conseil des Prud’hommes et demanderaient à un syndicat de les assister.

Et c’est ici que se posent les véritables questions sur le chômage, le travail et la retraite, légitime contrepartie du travail. Pour les technocrates attablés à leur bureau dans leurs confortables cabinets ministériels, habitués aux chiffres et aux statistiques, il doit y avoir nécessairement dans notre système français un équilibre mathématique entre le salaire de ceux qui travaillent et créent la richesse nationale et la pension des retraités qui ont, en leur temps, contribué de la même manière que les actifs actuels au paiement des pensions. Quel est cet équilibre ? Je suis mal placé pour répondre loyalement à cette question, moi qui ai bientôt 83 ans et bénéficie d’une bonne retraite depuis vingt-trois ans. Mais je pense, naïvement peut-être, que le financement des pensions des futurs retraités pourrait s’appuyer – outre sur l’incontournable et légitime contribution des actifs – aussi sur une participation spécifique du grand capital et une augmentation significative des charges des grandes entreprises.

Claude Donadello

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