Quel avenir pour les Universités hongroises ?
Coup de tonnerre pour l’enseignement supérieur en Hongrie. Les grandes universités hongroises passeront sous le contrôle de fondations privées proche du gouvernement le 1er Août 2021. Une action politique et dommageable, dénonce un professeur auprès du JFB.
Depuis le début de l’année, les Universités hongroises sont dans la tourmente. Récemment, un changement de statut leur à été imposé, les forçant à passer sous la tutelle de fondations privées. Cette réforme fait écho à une autre ayant eu lieu en 2017, interdisant les Universités étrangères en Hongrie, à moins elles n’assurent un enseignement dans leur pays d’origine. Cela a notamment obligé la CEU (Université d’Europe Centrale) de Georges Soros à s’exiler à Vienne.
« Cette réforme est entièrement politique, elle s’inscrit dans un processus du gouvernement anti-intellectuel et contre les sciences considérées comme non productives économiquement parlant », nous confie sans détour un professeur concerné.
Il n’est aujourd’hui pas simple d’interviewer des enseignants, chercheurs ou autre personnel d’Université. Beaucoup refusent de témoigner par peur de représailles ou de sanctions. Comme l’affirme notre interlocuteur, aujourd’hui, en Hongrie « il est très simple de détruire quelqu’un, d’autant plus que le gouvernement n’hésite pas ». C’est pour cette raison que l’identité du professeur avec qui je me suis entretenue ne sera pas révélée. Chef de département, il participe au conseil de sa faculté et au Sénat de l’Université, ce qui le place au premier rang pour constater ce qui se déroule actuellement.
Une origine plus ancienne
Il y a deux ans, le gouvernement Hongrois a introduit un nouveau statut pour les Universités : le statut de Fondation. Il s’agissait de quelque chose d’inédit dans le pays qui n’avait que des grandes universités publiques et quelques, plus petites, universités privées.
Petit à petit, les universités publiques ont été obligées accepter ce statut et notamment l’université Corvinus de Budapest. Au départ, nous dit-il, « nous pensions que Corvinus était une exception et que ce statut n’était réservé qu’aux plus petites universités. Cependant, au mois de Janvier 2021, est arrivée la nouvelle : Les universités de Pécs, Debrecen, Szeged, Dunaújváros ainsi que l’université de médecine Semmelweis de Budapest seront intégrées à la réforme et seront placées sous la tutelle de fondations privées. » Ce qu’il y a d’étrange, a-t-il ajouté, c’est que les universités doivent demander elles-mêmes le changement de statut alors même qu’elles n’en veulent pas et n’en avaient pas été informées au préalable. Cela montre l’ambiguïté et le caractère autoritaire de la réforme.
Le responsable de la mise en œuvre de cette réforme est István Stumpf. Membre du Fidesz, il a été nommé le 29 janvier 2021 par le Premier ministre, Viktor Orbán, commissaire du gouvernement pour deux ans à partir du 1er février. Sa mission : coordonner les tâches gouvernementales liées au changement du modèle de l’enseignement supérieur.
Précédemment, il y avait déjà eu certaines tentatives de restructuration de l’enseignement supérieur. Avant, des subventions versées selon le « niveau » du corps enseignant. Cela donnait une idée de la valeur scientifique des universités et donnait lieu à des subventions assez élevées. Cependant en 2013, le gouvernement a décidé de tout arrêter d’un jour à l’autre, handicapant fortement les universités.
La réforme dans les faits
Le changement officiel de statut est prévu pour le 1er Août, un « changement éclair » dont le cadre institutionnel est impossible à déterminer pour le moment. En effet, ce cadre nécessite la mise en place d’un « curatorium » composé de membres nommés à vie par le gouvernement et un vote du Sénat de l’Université pour être négocié. Ce dernier terme semble très ironique pour le professeur qui se scandalise « Mais que peut-on négocier ?», lorsque le changement impose une perte d’autonomie totale de l’Université et qu’aucun contrôle ne peut être effectué sur leur fonctionnement. Il sera désormais « possible de faire n’importe quoi avec les universités ».
Il sera par exemple possible de restructurer à tout moment le portefeuille professionnel à savoir des départements qui seront maintenus, les matières enseignées ou non ainsi que le contenu des cours.
La réforme va également impacter très fortement le personnel. Jusqu’à présent, les employés bénéficiaient du statut de fonctionnaire, mais à partir du 1er Aout 2021, ils vont perdre ce statut et devenir des travailleurs ordinaires. « Vu les circonstances de travail et les salaires extrêmement bas, avec la perte de protection sociale, beaucoup de personnes vont quitter leur emploi car ça ne vaut pas la peine de rester », continue-t-il. « Il y a une plaisanterie chez nous qui consiste à dire que si tu vas travailler chez Lidl ou Aldi tu vas gagner plus qu’en travaillant à l’université. Et c’est sûr ! Un Assistant universitaire gagne environ 400 euros par mois. »
A la question de savoir s’il allait ou non continuer à enseigner, la réponse du Professeur est sans appel : « Je me suis engagé pour la vie, c’est une vocation, et ce n’est pas une histoire de financement qui va changer cela ! »
Une gestion privée d’infrastructures publiques
La perte du statut de fonctionnaire favorise largement les licenciements arbitraires. On a d’ailleurs pu le voir dans les universités ayant déjà changé de statut.
L’université de Kaposvár, située à 60 kilomètres de Pécs, par exemple, est devenue part de la grande université agraire, dirigée par Sándor Csányi, PDG de la plus grande banque hongroise (OTP Bank). Treize pour cent des membres considérés comme les moins performants économiquement ont été licencés. Les universités sont gérées comme des entreprises devant générer un maximum de profits.
« La production physique est démodée, aujourd’hui on est sur une production davantage intellectuelle, qui forme des citoyens que l’on pourrait qualifier d’utiles. Mais malheureusement, cela est impossible à faire entendre aux politiciens qui possèdent encore des réflexes de l’ancien régime communiste »
Une stratégie divide et impera
« Il y avait peut-être une possibilité de lutter, si les universités concernées avaient réagi ensemble et négocié ensemble pour obtenir des conditions plus avantageuses. Mais ce n’a pas été le cas, les universités étaient divisées et donc ont toutes été vaincues les unes après les autres. »
L’acceptation, si on peut le dire ainsi, du passage sous tutelle privée s’est faite par vote des Sénats qui dirigent les universités. Cependant, ce processus s’est surtout déroulé sous la menace : les universités qui ne changent pas de statut seront reléguées à un rang secondaire voire tertiaire et ne pourront pas toucher les sommes versées par l’union européenne (environ 4 milliards d’euros). Cette menace a pesé dans le choix de certains et c’est ainsi que les universités ont finalement voté le changement de statut.
Comment profiter de l’Etat d’Urgence ?
Comme les étudiants et les enseignants ne sont pas dans les universités, « c’est le moment idéal pour le changement, et le gouvernement en a profité ». D’autant plus que les réunions de plus de dix personnes sont illégales, il est donc impossible de s’organiser pour lutter.
Pour le professeur, il est très étrange que ce soit le gouvernement qui pousse les institutions publiques vers le secteur privé qui est moins stable et plus incertain sur le long terme. Il évoque le terme de « mafia ». « Il y a des tensions dans les universités car il y a toujours des facultés se déclarent comme des facultés de réussites et leurs organes de gestion sont convaincus que la réforme va induire un changement favorable puisqu’il permettra de se débarrasser des facultés moins performantes, si l’on peut parler ainsi. »
De plus, du fait des précédentes expériences du fonctionnement du Fidesz, des rumeurs circulent sur le fait que la grande partie des sommes octroyées par l’Union Européenne pour la Recherche et le Développement seront détournées au travers des universités devenues privées, puisqu’il n’y aura pas de contrôle pour qui et comment cet argent sera versé et utilisé.
En conclusion selon lui, on se trouve aujourd’hui dans un mélange de deux systèmes. On trouve des réflexes de gestion économique, des médias etc. à la manière de l’ancien système communiste mais également, on note une certaine nostalgie du régime Horthy (régent du royaume de Hongrie de 1920 à 1944). Avec les commémorations et la réécriture des manuels d’Histoire, le gouvernement essaie de recréer une société comme pendant l’entre-deux guerres : à droite, assez autoritaire, un peu antisémite, qui n’aime pas les étrangers et qui se referme sur elle-même.
« Il y a aussi ce vieux réflexe de propriétaire terrien qui peut gérer les paysans à la manière du Moyen-Age. Si l’on regarde la façon de faire d’Orbán, on retrouve cela. »
Selon notre interlocuteur, le régime actuel est donc un modèle hybride assez étrange qui cependant, « ne reprend pas les points positifs des deux autres ». Il y a une « segmentation volontaire » de la société, on veut « éloigner les gens les uns des autres ». Et cela passe par un contrôle total de l’enseignement et des médias, deux problématiques au cœur même de l’actualité hongroise.
Reste donc à voir ce que deviendront les universités après le passage sous tutelle.
« Moi je ne suis pas dans l’opposition acharnée, ce que j’enseigne à mes étudiants c’est qu’un intellectuel doit toujours être dans une position de critique constructive. Ce n’est pas pour ou contre le gouvernement, mais pour la meilleure solution. Je ne suis pas contre le Fidesz mais pour le pays, or actuellement, cela pose problème car on n’assiste à aucune bonne décision pour le pays et au vol des biens publics. »
Remerciements tous particuliers à Mathieu Boisdron, du Courrier d’Europe Centrale grâce à qui j’ai pu réaliser cette interview.
Mathilde Houssay
Photo principale : Université Corvinus de Budapest -- By Globetrotter19
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