La Hongrie aujourd'hui
Le 23 janvier 2025, József Péter Martin a été fait Chevalier dans l’Ordre national du Mérite de la République française. Cette décoration lui a été remise par Jonathan Lacôte, ambassadeur de France en Hongrie, en présence de nombreux invités de marque, lors d’une réception organisée à la Résidence de France à Budapest. Journaliste réputé, ancien rédacteur en chef du magazine économique Figyélő, maître de conférences à l’université Corvinus, il est surtout connu aujourd’hui pour son combat contre la corruption en tant que directeur exécutif de Transparency Hungary, la branche hongroise de la célèbre ONG Transparency International.
Suite à cette reconnaissance officielle, couronnant 20 années d’efforts, il a accepté de répondre aux questions du JFB.
JFB : Quelle a été votre réaction en apprenant votre nomination ?
József Péter Martin : Ma première réaction a été la surprise puis la joie. J’ai été très surpris, lorsqu’en novembre 2024, lors d’un évènement de Transparency International, l’ambassadeur de France en Hongrie, M. Jonathan Lacôte, annonça que je recevrais cette distinction.
Il est évident que cette reconnaissance n’est pas destinée qu’à moi. Elle revient aussi à mon équipe, à la section hongroise de Transparency International, à mes collègues actuels et anciens, avec qui nous travaillons côte à côte depuis plus d'une décennie, malgré les problèmes, toujours à la recherche de nouvelles motivations, pour découvrir les profondeurs de la corruption. Et aussi au mouvement global de Transparency International.
JFB : En 2012, vous définissiez déjà la Hongrie comme une « démocratie niveau zéro », comment voyez-vous les choses aujourd’hui ?
József Péter Martin : Il y a eu beaucoup de définitions qui ont été proposées, je favorise celles qui considèrent le régime actuel en Hongrie comme un système hybride. Quelque part entre la démocratie et la dictature. Je dirais que ce n’est déjà plus une démocratie, c’est certain.
Non, parce qu’il n’y a plus d’élections, nous avons des élections, jusqu’ici libres, mais elles ne sont, en rien, équitables.
En dehors de cela, toutes les autres composantes de la démocratie manquent. La liberté de la presse est menacée, il y a eu des attaques contre la société civile, il n’y a pas de séparation des pouvoirs, les institutions sont sous contrôle, l’État de droit est érodé
D’un autre côté, il ne s’agit pas non plus d’une dictature, du moins pas encore, la population, y compris les critiques du gouvernement, ne sont pas menacée physiquement comme c’est le cas dans des dictatures comme la Russie, par exemple.
Certains ont parlé « d’État mafieux », de « démocratie électorale », d’autres « d’autocratie », de « régime autoritaire » …
Je qualifierai ce régime de « régime hybride », « d’autocratie », ce qui est important, ce n’est pas le terme utilisé mais le fait d’être entre la démocratie et la dictature.
JFB : Que répondez-vous à ceux qui prétendent que finalement bien peu de choses ont changé en Hongrie depuis le début des années quatre-vingt-dix ?
József Péter Martin : Je pense que c’est une opinion très simpliste. Je ne crois pas que ce soit vrai dans quelque domaine que ce soit. Malgré tous les problèmes, toutes les misères et l’affaiblissement de la démocratie, si l’on analyse les choses globalement, en dépit de la situation actuelle, de concurrence déloyale qui favorise les élites proches de Viktor Orbán, il est certain que la Hongrie s’est développée tant sur le plan économique que sur le plan social depuis les années 90.
Il est vrai que la situation a commencé à se dégrader, d’abord au début des années 2000, sur le plan économique, puis, à partir de 2010, sur le plan politique. Néanmoins, malgré la situation politique, il y a eu, entre 2013 et 2020, avant l’arrivée du COVID-19, des résultats économiques positifs même si cette croissance était artificiellement soutenue sourtout par les fonds européens. L’augmentation de 35% du salaire réel, qui est survenue à ce moment-là, a laissé croire à certains Hongrois qu’ils vivaient mieux que jamais auparavant. C’est d’ailleurs cette hausse du pouvoir d’achat qui a permis à la corruption de rester en arrière-plan dans les préoccupations de la population.
De fait, ces trois-quatre dernières années, la situation s’est détériorée non seulement sur le plan politique mais aussi sur le plan économique et devient particulièrement difficile.
JFB : Depuis l’adoption par la Hongrie d’une loi sur la protection de la souveraineté nationale et la création d’un Office de défense de la Souveraineté, Transparency Hongrie a subi de nombreuses tracasseries administratives, quelle est votre situation actuellement ?
József Péter Martin : Transparency International Hongrie a été la première organisation ciblée par cette attaque absurde que nous considérons, par ailleurs, anticonstitutionnelle et contraire au droit européen.
Nous pensons que l’Office de défense de la Souveraineté nationale ne défend pas l’intérêt national ou, si vous préférez, la souveraineté hongroise. Son seul objectif est d’enquêter et de dénoncer les organisations qui osent critiquer le gouvernement hongrois. C’est une violation du droit européen et s’il y avait une Cour constitutionnelle indépendante en Hongrie, cela aurait été jugé anticonstitutionnel.
Nous avons présenté une requête devant la Cour constitutionnelle qui a rejeté notre demande et nous allons maintenant nous tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
L’Office a aussi publié un prétendu « rapport » rempli de théories conspirationnistes et d’affirmations fausses. Bien entendu, nous rejetons ces accusations et affirmons que cet Office et cette loi n’ont pas leur place en Hongrie.
Je suis sûr que la CEDH jugera cette loi contraire au droit européen et le Parlement hongrois devra l’abroger. La Commission européenne a déjà intenté une action devant la CEDH et nous devrions connaître la décision de celle-ci dans quelques mois.
En attendant, nous allons avoir quelques mois difficiles. Néanmoins, l’Office de protection de la souveraineté n’a pas réellement le pouvoir de sanctionner. La seule chose qu’il puisse faire, en plus de ce qui a déjà été fait jusqu’ici, c’est de me convoquer, en tant que dirigeant de TI Hongrie, devant la Commission de sécurité nationale du Parlement hongrois.
JFB : Quels sont vos objectifs à court ou à moyen terme ?
József Péter Martin : Je suis assez pris entre mon travail de directeur exécutif de TI Hongrie et les cours que je dispense à l’université Corvinus. Mes cours ont trait à une matière intitulée « Corruption et Gouvernance » mais parfois je donne aussi des cours sur l’Institutionnalisme économique. Je voudrais me consacrer plus en profondeur à l’écriture d’articles académiques pour des revues spécialisées de haut niveau.
JFB : Pensez-vous que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis aura un impact important sur l’économie hongroise ?
József Péter Martin : C’est possible, mais il est encore difficile, pour l’instant, de prévoir quel type d’impact. Il est déjà visible que la présidence de Donald Trump sera caractérisée par une grande imprévisibilité.
Si des droits de douane supplémentaires sont réellement mis en place, particulièrement sur l’importation de véhicules automobiles européens cela pourrait avoir un impact négatif fort sur l’économie hongroise. Je ne partage pas l’enthousiasme débordant du gouvernement hongrois qui voit dans la présidence Trump la venue d’un âge d’or pour la Hongrie que rien ne permet, pour le moment, de présager.
JFB : Vous attendez-vous à des changements importants en Hongrie dans les seize mois qui nous séparent des prochaines élections législatives ?
József Péter Martin : En un an le paysage électoral hongrois a complètement changé. Pour les personnes dans l’opposition et ceux qui critiquent le gouvernement, il y a un an, il n’y avait aucun espoir, à court ou moyen terme, que le régime actuel puisse tomber. Aujourd’hui, l’opposition et les électeurs ont un nouveau candidat, Péter Magyar, du parti TISZA, qui a, pour le moins, une chance de gagner les prochaines élections. Il est difficile de prévoir ce qui adviendra mais il est probable que sa popularité va se renforcer car les moyens financiers et les réserves du régime Orbán s’épuisent, tout comme sa popularité s’érode.
Néanmoins des évènements inattendus pourraient survenir et si l’économie venait à connaître une embellie soudaine ce que l’on ne peut pas prévoir en ce moment, cela pourrait modifier la tendance actuelle. Ceci dit, il semble que si TISZA et Péter Magyar ne commettent pas d’erreurs fatales, ils ont de sérieuses chances de pouvoir gagner ces élections.
Propos recueillis par Xavier Glangeaud