La fête de la liberté de presse à Budapest

La fête de la liberté de presse à Budapest

Horváth Patricia

Rencontre avec Patrícia Horváth, journaliste et metteuse en scène

Le 15 mars -l’anniversaire de la Révolution de 1848-, c’était l’époque du renouveau, du printemps des peuples de l’Europe. C’est la grande fête nationale traditionnelle de Hongrie et la fête de la liberté de la presse qui a été célébrée en cette année 2025 à la Maison de la Presse de Budapest. Patricia Horváth, journaliste pour le Népszava et metteuse en scène hongroise, a reçu le prix du Journaliste culturel en hommage à Virág F. Éva.

C’est non sans une certaine émotion qu’Éva Vámos, rédactrice en chef du JFB, a prononcé un discours de présentation du travail de Patricia Horváth. Éva a fait l’éloge de la journaliste “elle part audacieusement à la rencontre du monde pour faire connaître le théâtre mondial libre, qui lutte contre toutes les oppressions intellectuelles et physiques”, avant qu’on lui remette son prix. 

Nous avons obtenu un entretien avec Patricia Horváth qui nous a parlé de ses projets en cours et de ses futurs projets.

JFB : Quels étaient tes sentiments en voyant cette fête de la liberté de la presse et comment tu as réagi à ton prix ?

P.H. : J’ai été très émue, je n’aurais jamais pensé recevoir un quelconque prix en tant que journaliste, et en tant que metteuse en scène j’étais sûre de ne rien recevoir. Je pensais que les récompenses du 15 mars étaient uniquement politiques donc je ne m’y intéressais pas du tout. J’ai été sous le choc quand Éva m’a appelée. En tant que journaliste je me demandais pourquoi j’écrivais et j’étais incapable de me faire une image des lecteurs. Écrire des articles culturels c’est ma façon de m’exprimer en tant qu’artiste opprimée, c’est une sorte de révolte et de signe de vie. Si je ne peux pas faire de théâtre comme j’aimerais le faire, je vais rentrer par la petite fenêtre du fond et cette fenêtre c’est le journalisme pour moi. J’ai été tellement déçue de la vie culturelle hongroise donc j’ai commencé à partir pour découvrir le monde du théâtre à Paris. Je ne m’y attendais pas, ainsi de me retrouver parmi les gens récompensés, cela m’a fait me sentir comme une petite fille parmi les grands. J’étais entourée de personnes que j’admire, je suis consciente de tout ce qu’ils font mais je n’aurais jamais pensé qu’ils auraient pu me désigner comme un des leurs.

Horváth Patricia
Cassandre Marigny, Éva Vámos et Patricia Horváth

JFB : Il y avait une ambiance particulière dans les discours lors de cette remise de prix. Quelqu’un a dit “c’est la dernière forteresse de la liberté de la presse dans la Maison de la presse à Budapest” donc j’ai pu comprendre que les gens étaient heureux.

P.H. : C’était bien de sentir ma famille avec moi, je crois que c’était même plus important pour eux que pour moi.

JFB : Tu as créé avec ton mari chanteur d’opéra une compagnie de théâtre appelée Hatan. Peux-tu nous expliquer l’origine de ce nom ? Avais-tu pensé au poème dAttila József ?

P.H. : En réalité, je n’avais pas pensé au poème d’Attila József au début. Je voulais faire du théâtre sans savoir où aller, les portes se refermaient sur moi et les quelques troupes gérées par la ville de Budapest étaient surpeuplées. Je ne me voyais faire du théâtre nulle part mais j’avais soif de monter des pièces. Je ne voulais pas refaire La Mouette de Tchekhov une millième fois. Je descends d’une famille porteuse d’histoire et il faut que je puisse utiliser ma parole. J’ai commencé à monter cette pièce pendant le Covid grâce à un prêt bancaire. Il fallait utiliser cet argent pour quelque chose d’important, j’ai traduit la pièce en demandant les droits à Paris. Comment financer la survie du spectacle ? On m’a suggéré de nous présenter au programme Déryné, nous avons d’ailleurs été rejetés. Le nom de la troupe est né à Paris. Je devais rendre le formulaire pour le programme une heure plus tard, j’étais assise dans le café Le Bûcheron à Saint Paul avec ma fille et je lui ai dit “on n’a pas de nom de compagnie”. Elle m’a répondu “Tu sais maman, il y a cinq acteurs dans Le Porteur d’Histoire (ndlr pièce d’Alexis Michalik), toi tu es la sixième, soyez Hatan car veut dire nous 6”. Mon mari n’a pas compris ce nom mais j’avais déjà envoyé le formulaire. Pendant des mois j’essayais de trouver des points de repère et un jour en faisant la vaisselle j’ai pensé au poème d’Attila József : C’est à toi d’être le septième. Nous sommes Hatan pour que le spectateur soit celui qui ferme le cercle magique. Le septième membre, c’est toujours le spectateur.

JFB : Raconte-nous ce qui t’a poussée à te rendre à Kiev en Ukraine.

P.H. : C’était un voyage imprévu. J’ai rencontré chez Ariane Mnouchkine, Richard Nelson qui a fait sa pièce avec la compagnie du théâtre du soleil, on a discuté et j’ai réalisé une interview avec lui. Il m’a parlé de son projet d’aller faire du théâtre à Kiev où les théâtres fonctionnaient toujours. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine je me suis portée volontaire pour fournir une assistance aux réfugiés dans les grandes gares de Budapest pendant huit mois, dix heures par jour, parfois la nuit. Cela m’a fait grandir, cela m’a procuré beaucoup d’émotions et j’ai vécu des situations incroyables parmi ces gens. J’ai donc pris le train pour aller à Kiev, j’ai téléchargé l’appli des Raids sur mon téléphone. Le Theatre on Podil de Kiev où Richard a réalisé sa pièce m’a accueilli. J’ai rencontré beaucoup de gens, vu des pièces en ukrainien. Ce que j’aime c’est que même si je ne parle pas la langue, cela reste du théâtre et le langage théâtral est universel.

JFB : A Paris, tu as rencontré Matei Visniec. Peux-tu nous parler de cette rencontre ? ( ndlr : célèbre dramaturge d’origine roumaine )

P.H. : Je l’ai rencontré pour la première fois à Avignon en 2023. J’avais contacté l’attaché de presse du théâtre dont il était l’invité, et j’ai pu faire une interview avec lui et le directeur du Théâtre des Halles, son ami de longue date. L’année d’après en retournant à Paris j’ai voulu rencontrer Matei en tête à tête pour faire une interview pour Népszava. J’ai beaucoup d’estime pour ces artistes roumains qui ont quitté leur pays et se sont retrouvés dans le théâtre français.

Horváth Patricia

JFB : Nous admirons tes excellents papiers sur le théâtre d’Avignon. C’est comme si symboliquement tu avais pris le relais après nous. Nous avions rencontré Bernard Faivre d’Arcier à Avignon et toi tu as réalisé l’interview d’adieu d’Olivier Py.

P.H. : J’ai été très honorée. Tiago Rodriguez m’a accueilli deux fois, j’ai fait son interview d’entrée l’année dernière alors que normalement il ne répond peu aux journalistes. Après l’entretien que j’ai réalisé avec Olivier Py, j’ai été son interprète à Budapest l’année d’après quand il y a présenté son spectacle.

JFB : Depuis peu lorsque l’on se balade dans les rues de Budapest on peut souvent tomber sur une affiche invitant les jeunes à écrire le roman de leur vie. Peux-tu nous expliciter ce projet ?

P.H. : Je suis tombée sur un article de Libération l’année dernière à Paris qui disait que le livre d’un dessinateur américain allait paraitre en français, qui raconte l’histoire de jeunes juifs ayant postulé pour un concours autobiographique avant la seconde guerre mondiale et dont les documents ont été perdus puis retrouvés après la Shoah. J’ai lu ce livre dans l’avion en rentrant. La chose a commencé à germer, je me disais que j’aimerais beaucoup faire un spectacle même si je n’ai pas de théâtre, de moyens. Je me suis demandé : comment faire pour avoir des autobiographies des jeunes d’aujourd’hui ? Je peux demander à ma fille mais ce ne sera pas la même chose. Peut-on mettre des petites annonces pour avoir des autobiographies de jeunes ? Le rédacteur en chef de Népszava est tombé amoureux du projet. Nous faisons ce concours pour tous les jeunes de Hongrie. Comme pour le journalisme, je ne m’y suis jamais préparée. J’en ai juste parlé à des gens qui ont aimé le projet et ont aidé à ce que ça évolue. 245 jeunes ont déjà postulé, ils peuvent envoyer leurs histoires jusqu’au 2 mai. Les prix sont très importants : 1 million de forints pour le premier, 750 000 pour le deuxième. Le principal associé du projet est la fondation Esterházy, l’institut Goethe et des petits donateurs.

JFB : Est-ce que vous pensez que ce concours ira plus loin ?

P.H. : J’aimerais beaucoup que ce concours ne s’arrête pas là. Mon rêve serait qu’il y ait ce concours dans tous les pays du monde. Ce n’est pas très compliqué à faire. J’aimerais faire une production internationale, ne pas avoir seulement la réponse des jeunes hongrois d’aujourd’hui. Ce qui est sûr c’est que ce sera un spectacle d’envergure donc il faut des financements, un théâtre. Peut-être que ça viendra si il y aura un changement en Hongrie. Entre temps, les autobiographies seront cataloguées par les archives de Budapest et également publiées après le 2 mai 2025 sur le site internet.

JFB : En pensant à ton art poétique je me suis dit que tu voulais monter du théâtre engagé. Cela m’a rappelé la pièce de théâtre Naissance d’une cité montée par Jean Richard Bloch, dramaturge et militant antifasciste. A l’époque du Front populaire en 1937 en France c’était un très grand spectacle engagé avec de beaux décors, de la musique, plein de gens talentueux au Vélodrome d’hiver. Nous rendons d’ailleurs hommage à Antoinette Blum pour son dernier ouvrage intitulé “un théâtre engagé”.

P.H. : Je ne connais pas cette pièce. Mais je pense que j’aimerais faire du théâtre engagé, oui.

JFB : Merci pour tes réponses, Patricia Horváth, Nous espérons que tu obtiendras l’accréditation pour l’édition 2025 du Festival d’Avignon qui se déroulera du 5 au 26 juillet 2025 ! Et on te souhaite bon courage pour la suite de tes aventures théâtrales et journalistiques.

Image principale : Veronika Hahn, correspondante de Nepszava à Londres - récompensée également lors de la fête de la liberté, Éva Vámos et Patricia Horváth

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