Klubrádió privée de sa fréquence : un enracinement toujours plus profond de la démocratie « illibérale » en Hongrie

Klubrádió privée de sa fréquence : un enracinement toujours plus profond de la démocratie « illibérale » en Hongrie

Klubradio

Depuis Lundi 15 février 2021, Klubrádió, la dernière radio indépendante de Hongrie, connue pour être une radio d’opposition, très critique du gouvernement et plusieurs fois menacée par le Conseil des Médias hongrois, n’émet plus sur les ondes.

C’est dans la nuit de Dimanche à Lundi, à minuit pile qu’a eu lieu la coupure de fréquence de Klubrádió, retransmise en direct. Cette coupure a été effectuée par un homme masqué. Masque sur lequel on pouvait voir l’acronyme du régime Orbán « NER », Nemzeti Együttműködés Rendszere ou système de coopération nationale, comme il se définit lui-même.

Cette coupure, déjà très symbolique, l’est d’autant plus qu’elle s’est faite au son de l’Ode à la joie, hymne européen depuis 1986.

En Septembre dernier, le Conseil des Médias, composé depuis 2010 uniquement de membres proches du Fidesz, avait refusé de prolonger la fréquence Budapestoise de la radio, en raison de deux infractions à la loi des médias Hongroise. Il lui est majoritairement reproché de ne pas avoir remis à temps un rapport hebdomadaire relatifs aux quotas de musique et de temps de parole. Somme toute, cela ne semble être qu’une « excuse » pour mettre des bâtons dans les roues de Klubrádió qui, n’a pas prévu de se laisser faire : elle conteste la décision du tribunal de Budapest la déboutant de sa demande en annulation contre la décision du Conseil des Médias et prévoit, par ailleurs, de continuer son activité sur internet.

Du fait de cet évènement tragique pour la liberté d’expression et des médias en Hongrie, nous nous sommes rendus au seins des locaux de Klubrádió Vendredi 12 Février afin de rencontrer András Arató, Président et Directeur Général de la radio ainsi que Mihály Hardy, rédacteur en chef adjoint.

Pourquoi Klubrádió se trouve-t-elle aujourd’hui dans cette situation ?

A partir de son retour au pouvoir en 2010, le Fidesz s’est lancé dans une guerre contre toute institution représentant la démocratie libérale. Les médias indépendants se situant ainsi dans sa ligne de mire principale. Son arme clé contre ces derniers était économique, s’arrangeant pour supprimer leurs revenus provenant de la publicité. Pour Klubrádió par exemple, ces revenus n’atteignent plus que 10% de ce qu’ils représentaient avant. Il y a eu une réelle intimidation des entreprises par le gouvernement, menaçant de faire pression par des pénalités financières, augmentation des taxes etc. De ce fait, beaucoup de médias ont fait banqueroute.

Cette guerre a continué ensuite par l’édiction en 2011 d’une loi sur les médias, les soumettant un grand nombre de contraintes et notamment une relative aux rapports sur les quotas évoqués précédemment. Klubrádió semble d’ailleurs être la principale cible du gouvernement au travers de cette loi, en raison de son indépendance.

Chaque semaine, un rapport sur les quotas de diffusion entre la musique et les temps de parole doit être rendu. Cela prend la forme d’un énorme fichier Excel dans lequel doivent être reportés ces quotas. Il y a aussi un quota de musique hongroise à respecter ainsi qu’un d’information. Selon Mihály Hardy il ne s’agit que d’une procédure « très bureaucratique et inutile ». Juste un moyen de contraindre encore plus les médias en définitive.

Le problème est donc qu’en 2017, Klubrádió a remis un de ces rapports trop tard, ce qui lui a valu une amende. Il a ensuite été décidé que cette amende serait payée que le l’affaire ne serait pas portée devant les juges afin de ne pas perdre plus d’argent et de temps. Cependant, cela a été vu comme une reconnaissance de l’infraction, qualifiée ironiquement de « crime » pendant notre entretien.Klubrqdio

En Novembre 2019 la demande de prolongation de son droit d’émettre a été suivi d’un long silence de la part du Conseil des Médias qui, en septembre 2020, a annoncé qu’il ne serait pas renouvelé en raison de « crimes sérieux » commis.

Cette fois-ci l’affaire a été portée devant le tribunal de Budapest qui, malgré la mise en évidence de situations similaires d’autres radios, a débouté Klubrádió de sa demande et donné raison au Conseil des Médias, sans motiver sa décision.

Cependant, la radio a bien l’intention de se battre pour récupérer sa fréquence. Un appel a été interjeté devant la plus haute cour. Si à l’issue de cet appel, la radio se voit à nouveau déboutée de sa demande, une saisine sera effectuée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Pourtant, il se pourrait que cette action soit plus symbolique qu’autre chose car la cour n’a aucun moyen de coercition réel sur les Etats Membres, comme l’ont prouvé trois précédentes décisions condamnant la Hongrie, mais dont le premier ministre a totalement fait fi.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Klubrádió perd sa fréquence, qu’elle a réussi à récupérer ensuite. La principale différence aujourd’hui selon András Arató est l’état des tribunaux, qui ne sont plus indépendants, et des lois, qui ne sont plus les mêmes. Par exemple, entre 2012 et 2013, la radio avait pu obtenir une fréquence temporaire, ce qui n’est plus possible aujourd’hui.

Cette situation est donc entièrement politique. Même si cela n’est pas censé arriver dans un pays démocratique, où les différents organes de contrôle doivent être indépendants, le Conseil des Médias est exclusivement composé de membres délégués par le Fidesz. Il faut savoir également qu’aux élections municipales de 2019, Orban et son parti ont perdu beaucoup de terrain et ils ont alors rejeté la faute sur Klubrádió sans qui ils pensent pouvoir regagner des voix.

Quel avenir pour Klubrádió ?

Pour nos deux interlocuteurs, il est évident qu’une perte importante d’auditeurs est à craindre et représente un challenge. La grande majorité sont des personnes âgées qui n’ont pas forcément accès à internet ou alors pas les connaissances nécessaires pour pouvoir écouter la radio via internet. De plus, écouter une webradio demande plus de manipulations et donc de temps. Il est donc fort probable que les auditeurs qui écoutaient Klubrádió en voiture sur de courts trajets ne se donnent plus la peine de l’écouter. Aujourd’hui on dénombre entre 150 et 160 mille auditeurs par jours sur les ondes et environ 10 mille via internet voir 18 mille lors du pic maximum, alors que les serveurs mis en place peuvent en accueillir 60 mille.

Se pose alors la question de se réinventer, d’adapter les programmes à une diffusion sur internet. Cependant, il ne s’agit pas d’une immédiate priorité. En effet, en raison du handicap économique généré par l’absence de publicité, Klubrádió est devenue participative. Aujourd’hui, 90% des coûts opérationnels sont couverts par les dons de l’audience et les frais d’adhésion. Il parait alors nécessaire de garantir à leurs auditeurs une continuité du contenu pour lequel ils paient. Dans un second temps, cependant, il est fort probable que la radio soit obligée de se réinventer en introduisant de nouveaux formats via des podcasts, des vidéos YouTube etc. mais cela ne sera pas envisagé tout de suite. L’espoir de revenir sur les ondes est fortement présent.

KlubrqdioM. Arató espère que beaucoup d’auditeurs vont les suivre sur internet, et qu’un nouvel auditorat, plus jeune, pourra être touché, notamment par le biais de live YouTube, en plus de leur webradio. Selon lui, Klubrádió est aussi populaire parce qu’elle est « colorée », diversifiée et qu’elle s’intréresse à beaucoup de problèmes sociaux, tout en permettant aux auditeurs de s’exprimer lors de l’émission de discussion de l’après-midi (Megbeszéljük) qui est sans doute la plus grande agora de Hongrie. Cela en fait une radio très proche de ses auditeurs. Un tour du pays pour les rencontrer devait d’ailleurs se tenir en 2020 mais a dû être annulé à cause de la pandémie. Néanmoins, l’idée n’a pas pour autant été abandonnée et sera mise en pratique dès que possible.

Au-delà de tout cela, Klubrádió semble gagner en popularité. De plus en plus d’auditeurs, notamment de la droite modérée, suivent les émissions afin d’avoir des informations que la radio d’Etat ne transmet pas ou modifie. Pour ces raisons, on peut aisément affirmer que Klubrádió n’est pas qu’une simple radio, grâce à ses émissions de culture, prise de parole, vulgarisation scientifique etc. elle remplit la fonction de média de service public.

Ainsi l’on espère qu’elle pourra revenir sur les ondes afin de continuer sur sa lancée, même si la route pour y parvenir semble semée d’embuches.

Klubrqdio

Mathilde Houssay