1989 : l’autre 11 septembre (32 ans déjà….)  

1989 : l’autre 11 septembre (32 ans déjà….)  

ouverture frontiere

Mardi 11 septembre 2001, Etats-Unis :  « dix-neuf terroristes détournent quatre avions en ligne. Deux sont projetés sur les tours jumelles du World Trade Center à Manhattan (New York) et le troisième sur le Pentagone. Un quatrième avion, volant en direction de Washington, s'est écrasé en rase campagne à Shanksville, en Pennsylvanie, après que des passagers et membres de l'équipage ont essayé d'en reprendre le contrôle. »  Ces attentats auront fait plusieurs milliers de blessés et près de 3 000 morts. Dix-huit mois plus tard, les troupes américaines envahissaient l’Irak (20 mars 2003). On connaît la suite….

Lundi 11 septembre 1989, Hongrie : « suite à l’ouverture de la frontière hongroise à Hegyeshalom, des milliers d'Allemands de l'Est passent en Autriche pour rejoindre l’Allemagne de l’Ouest. » Dans la semaine, plus de quinze mille réfugiés auront ainsi choisi la liberté, plus de 25 000 les semaines suivantes. Deux mois plus tard sera abattu le Mur de Berlin (nuit du 8 au 9 novembre). On connaît la suite...

Et oui…  On aurait tendance à l’oublier. Et pourtant, c’est bien en Hongrie que tout a commencé…

Un petit retour en arrière

ouverture frontiereDès le mois d´avril, le nouveau Premier ministre Miklós Németh, à peine nommé, allait surprendre son monde avec une expérience osée, mais qui eut peu de retentissement à l´étranger : cisailler un bout de barbelés du rideau de fer. Encouragé par l´absence de réaction de Moscou, il renouvela l´expérience deux mois plus tard. Cette fois en la médiatisant et la confiant à son ministre des Affaires étrangères Gyula Horn. Pour le coup, ce fut un choc. Toute la presse - invitée à l´évènement - publiant la fameuse photo où l´on voit, tout sourire, les ministres autrichien et hongrois découper ensemble un bout de barbelé.  A vrai dire, au-delà de cette action „humanitaire”, le geste avait également une raison plus terre-à-terre. Usées par le temps et dépassées au plan technique, les installations du rideau de fer nécessitaient une rénovation complète, ce qui aurait coûté une fortune.

Autre rappel : à l´occasion du transfert des cendres d´Imre Nagy, le 16 juin, devant une foule immense rassemblée sur la place des Héros, à Budapest, un jeune orateur tint un discours enflammé, exigeant le départ immédiat des troupes russes. Son nom : Viktor Orbán, jeune étudiant en droit de 26 ans, accouru pour l´occasion d´Oxford où il étudiait sur une bourse (allouée par un certain George Soros…).

Dernier rappel :  l´opposition au régime, qui prenait de plus en plus forme, organisa le 19 août, un pique-nique géant à deux pas de la frontière. Pique-nique „pan-européen”, parrainé entre autres par Otto de Habsbourg, en présence du ministre Imre Pozsgay, qui eut un grand retentissement. Opération au demeurant fort sympathique qui se traduisit par le passage en Autriche de 600 ressortissants de la RDA. Sous le nez de garde-frontière désappointés qui, après longue hésitation, décidèrent de les laisser passer. Poste frontière dont, comme par hasard, le commandant avait pris congé ce jour-là…

Car il faut savoir qu´en cet été 1989, près de 80 000 ressortissants de l´Allemagne de l´Est se trouvaient sur le sol hongrois. Qui refusaient de rentrer chez eux. Donc à la charge de l´État hongrois. Venus en touristes (le Balaton constituant un lieu idéal de rencontre entre Allemands de l´Ouest et de l´Est). Une lourde charge pour le gouvernement hongrois qui se refusait à les renvoyer chez eux.

Tout alla alors très vite. Dès la semaine qui suivit le pique-nique, Németh, par son ambassadeur, sollicita une entrevue avec le chancelier Kohl. Entretien qui se déroula dans le plus grand secret le 25 août au château de Gymnich près de Cologne. Auquel n´assistèrent que les deux chefs de gouvernement en présence de leurs ministres des Affaires étrangères, Horn et Genscher, ainsi que de l´ambassadeur hongrois à Bonn. Németh posa alors la question de savoir si, en cas de départ des 80 000 Allemands de l´Est bloqués en Hongrie, Kohl accepterait de les accueillir en RfA. Ému, le chancelier proposa de lui accorder en échange des avantages économiques. Ce que, bien avisé, Németh se garda d´accepter. La suite, nous la connaissons. Départs en masse, suivis moins de trois mois plus tard de la chute du Mur.

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Auparavant, Németh avait pris la précaution de sonder Gorbatchev sur sa réaction dans le cas d´une transition de la Hongrie vers une démocratie parlementaire pluripartite. La réponse de Gorbatchev : „Vous êtes un pays souverain, c´est votre affaire. Pour ma part, je ne souhaite pas renouveler l´expérience de 1956”. Réponse claire.

Le dimanche 10 septembre, veille de l´ouverture, le Premier ministre hongrois Miklós Németh déclarait au quotidien allemand Bild am Sonntag : « Si nous voulons construire la maison commune européenne dont parle Mikhaïl Gorbatchev, nous ne pouvons en isoler les pièces au moyen de barbelés. » A minuit, la frontière était déclarée ouverte.

Je résidais alors en Allemagne et je me souviens de l’émotion avec laquelle la population suivait les événements. Tout d’abord avec ces milliers de « touristes » de la RDA (80 000) que les autorités de Budapest se refusaient à renvoyer dans leur pays, comme le réclamait un Honecker fou de rage. Puis avec l’ouverture de la frontière par les autorités hongroises. Emotion accompagnée d’une vive reconnaissance dans l’opinion allemande. C’est à cette époque que je découvris le visage de Gyula Horn que l’on voyait partout sur les écrans ; celui d’Orbán - et son nom même - m’étant alors tout-à-fait inconnu (ce n’est que 10 ans plus tard que je le découvrirai…). Je me souviens également de cette cérémonie de remise du prestigieux Karlspreis (Prix Charlemagne) au même Gyula Horn dès l’année suivante en présence du chancelier Helmut Kohl. Prix peu connu en France, mais tenu pour la plus prestigieuse des récompenses en Allemagne (après lui, c’est Vaclav Havel qui se le verra remettre en 1991).  (Une ville du Bade-Würtemberg, Wertheim, a même donné le nom de Gyula Horn à l’une de ses rues !…)

Alors, pourquoi Miklós Németh est-il resté dans l´ombre, du moins auprès d´une grande part des médias et de l´opinion publique ? Une raison à cela. De par sa nature discrète et réservée, il était peu porté sur la médiatisation et fermé à toute publicité. D´où, comme on l´a vu, la mise en avant de son ministre Gyula Horn. Horn qui devint vite le „héros du jour”. Qui allait par la suite être Premier ministre dans le nouveau régime. Donc tout le contraire du tempérament d´un Viktor Orbán. Viktor Orbán qui, précisément, suite à son discours du 16 juin, allait lui voler la vedette, et l´occupe aujourd´hui encore. Mais, soyons sérieux, qui peut croire que c´est sur les instances d´un jeune étudiant de 26 ans que Gorbatchev allait retirer ses troupes ? Ne rêvons pas ! Certes, il n´était pas seul, largement soutenu par les milieux estudiantins, d´où la fondation du Fidesz. Mais tout-de-même....

(Pour celles et ceux qui lisent le hongrois, nous ne saurions, pour terminer, que recommander ses souvenirs regroupés dans un ouvrage intitulé „Car c´est l´intérêt du pays” (Mert ez az ország érdeke), recueillis par András Oplatka, publiés aux Éditions Helikon  - malheureusement non traduits).

Pierre Waline