Entretien avec Bernáth Ferenc à l'occasion de son concert d'ouverture du Szeged International Guitar Festival
Le Szeged International Guitar Festival (Szeged IGF) est un festival présentant différents artistes et genres autour d'un instrument commun. Au programme il y a tout autant des productions classiques ou traditionnelles que des propositions plus folk, pop-rock, finger style et flamenco, ou même des combinaisons artistiques plus étonnantes. Il a lieu à Szeged et Budapest en Hongrie ainsi qu'à Subotica en Serbie afin de divertir les amateurs curieux tout en permettant un véritable échange entre professionnels et une mise en avant des jeunes talents.
Le Szeged IGF a en effet été fondé en 1999 par le guitariste-compositeur Dávid Pavlovits qui a à cœur d'accompagner les jeunes artistes. Ce guitariste renommé qui a donné des concerts dans plus de trente pays est le chef du département de guitare classique à l'université de Szeged et de nombreux lauréats au prix Virtuosos – un spectacle international de talents développé en Hongrie autour de la musique classique – sont d'anciens étudiants de Pavlovits, qui se produisent d'ailleurs lors de l'IGF. Le festival se veut aussi une plateforme de réseautage entre les esprits créateurs et les professionnels (musiciens, directeurs d'événements ou d'institutions, producteurs, journalistes et critiques). Des masterclass sont notamment proposées par des guitaristes renommés.
Depuis 2018, le festival a diversifié ses programmes et s'est étendu au-delà de la ville de Szeged en rejoignant EuroStrings et le European Guitar Festival Collaborative, la première plateforme européenne de festival de guitare rassemblant 14 événements en Croatie, en Finlande, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Hollande, au Monténégro, en Bulgarie, en Espagne, au Portugal, en Estonie et en Bosnie-Herzégovine. Faire partie de cette plateforme à renommée internationale permet la promotion et la formation des guitaristes émergents par l'échange entre artistes mais aussi grâce à la participation à l'un des plus grands concours de guitare en Europe. L'objectif est d'aider les jeunes stars à émerger sur la scène internationale, favoriser l'échange européen et créer une ambiance de guitare classique et moderne positive avec le reste du monde. Le Szeged IGF est donc également une ode au partage entre amateurs et professionnels dans le but de partager une passion commune et poursuivre ses rêves tout en amenant chaque année des musiciens de renommée internationale au public local.
Cette année, le festival s'est ouvert le lundi 21 septembre à l'Institut français de Budapest par un concert d'une heure du musicien, compositeur, professeur et docteur en philosophie dans le domaine de l'art musical et de l'étude de l'art, Bernáth Ferenc.
Cet artiste renommé dans son domaine donne régulièrement des performances en solo ou en duo avec d'autres instruments comme la flûte, le violon, le piano ou la voix. Son répertoire musical classique est élargi par des inspirations jazz, flamenco et folk. Il s'est vu proposer plusieurs fois de travailler sur des projets internationaux de musique classique, musique jazz ou musique du monde en raison de sa technique et de sa facilité naturelle à jouer dans différents styles. Il est régulièrement invité dans divers festivals internationaux et a participé à plusieurs enregistrements de CD et de DVD, ainsi qu'à des émissions de radio et de télévision en Hongrie et à l'étranger.
Il présente souvent des morceaux contemporains revisités. La première hongroise du Concerto N°3 pour guitare « Elegiaco » présentée au Danube Palace Leo Brouwer est créditée à son nom, de même il a participé à la création du Concerto pour guitare de D. Malyj avec l'Orchestre symphonique de Harkoy. Il a également composé le Concerto N°1 pour guitare et orchestre symphonique « Hongrois ». Ses transcriptions musicales classiques et de musique traditionnelle l'ont rendu populaire auprès des guitaristes du monde entier tout en gardant une proximité avec son pays d'origine. En 2015, il fonde et devient chef d'orchestre de Palladio Orchestra, le plus grand orchestre de guitares du monde.
Bernáth Ferenc est également enseignant à l'école de musique de Budapest Egressy Béni depuis 2007 et chef du département de guitare depuis 2012, il est également professeur au Vienna Konservatorium Budapest. Il se concentre sur le soin aux jeunes talents et le soutien aux activités caritatives. Entre 2008 et 2017, ses élèves ont remporté l'une des trois premières places 55 fois lors de concours de guitare et de festivals de musique internationaux et hongrois. Il a aussi débuté une série de concerts afin de permettre à plusieurs jeunes guitaristes amateurs de se présenter au Rátkai Márton Art Club de Budapest. Il est enfin fondateur et directeur artistique du festival international de guitare « Velencei gitáros napok » (Journées de la guitare de Velence) où il donne des cours et des concerts et donne l'occasion aux jeunes guitaristes de participer aux concerts. Du côté caritatif, il a notamment joué au profit de l'Organisation nationale des grandes familles, pour l'hôpital Bajcsy-Zsilinszky de Budapest, pour Radio Mária ou pour l'Institut des personnes malvoyantes d'Ungvár. En 2015, il a présenté une série de concerts avec des amis artistes pour soutenir le peuple Subcarpathe.
La décision du festival d'ouvrir le festival par le récital de Bernáth Ferenc n'est donc pas surprenante. C'est à l'occasion de ce concert que nous avons eu la chance de le rencontrer.
Journal francophone de Budapest : Quand avez-vous découvert la musique ?
Bernáth Ferenc : On peut dire que je suis né dans la musique car mon père est aussi musicien. Bien qu'il travaille plus dans les genres de la musique légère et de la musique folklorique, il avait des amis musiciens qui l'accompagnaient aux répétitions et, partout où nous étions, il y avait toujours une guitare, un accordéon, un piano ou autre. Alors chaque rassemblement spontané avec ses amis se tournait vers la musique, j'ai donc découvert très tôt la musique et différents styles.
JFB : Pourquoi avoir choisi la guitare ?
B.F. : L'amour d'enfance qu'est la guitare vient précisément de ce que je viens de dire, et bien que j'ai joué du piano pendant un certain temps, j'ai aussi essayé presque tous les genres de guitare. Finalement c'est la musique classique qui a vraiment pris son envol, et à l'intérieur de ça la musique composée pour la guitare classique.
JFB : Lors de vos concerts, jouez-vous toujours des morceaux composés, prédéterminés ou laissez-vous place à une part d'improvisation ?
B.F. : Ça dépend. Par exemple pour une soirée solo il y a un spectacle prédéterminé que je choisis en fonction de la nature du lieu ou du style du festival. Ensuite les ajouts sont souvent improvisés, je joue souvent des paraphrases folkloriques, je me balade dans le monde du flamenco ou même du jazz. Par contre si je joue dans une galerie lors d'un vernissage, bien que je prépare à l'avance un spectacle spécifique, quand je vais dans la galerie, en voyant le style des peintures, je change souvent immédiatement de spectacle car je veux jouer quelque chose qui soit en symbiose avec les images. Le public acquiert ainsi une expérience musicale et visuelle complète par laquelle il comprend ce qu'un tableau ou un morceau particulier a à dire.
JFB : Quelle est la part de préparation et la part de spontané dans vos compositions ?
B.F. : J'écris toujours ma musique par motivation émotionnelle. Si quelque chose bouillonne déjà en moi, que ce soit une expérience vécue, plus ou moins longue, un impact émotionnel positif ou négatif, que ce soit un événement ou juste le sourire de quelqu'un, une promenade dans la nature ou tout ce qui nous enchantait autrefois pour des raisons inexpliquées, tôt ou tard un morceau de musique en naîtra. Bien sûr, il est important d'avoir suffisamment de conscience dans une œuvre écrite pour ne pas trop violer les règles écrites et non écrites de la musique, mais disons que cette partie nous est assez bien enseignée par les académies de musique.
JFB : Pour ce concert, conformément à l'esprit du lieu [l'Institut français de Budapest], un concert franco-hongrois a été offert. Comment avez-vous choisi les compositions hongroises ?
B. F. : La musique hongroise est une part essentielle de tous mes concerts, c'est aussi une sorte de mission. Notamment, beaucoup de mes propres compositions contiennent des motifs de musique folklorique hongroise. Il y a un intellect et une émotion très profonds dans la musique folklorique hongroise, je pense par exemple aux paroles des chansons folkloriques hongroises « Kis kece lányom » (Ma petite fille espiègle) ou « Tavaszi szél vízet áraszt » (Le vent de printemps fait monter les eaux). Plusieurs fois ces textes incluent l'histoire hongroise, l'amour, la douleur et la joie. Il y a aussi beaucoup de musiques de guitare magnifiquement composées par des auteurs hongrois, je les présente toujours avec beaucoup d'amour au public hautement méritant.
JFB : Parmi les œuvres hongroises, dans votre propre composition « Elégia » vous évoquez le souvenir d'un guitariste français. Comment voyez-vous l'impact de la composition et de la littérature françaises sur la guitare et quel est votre rapport avec les guitaristes français ?
B.F. : Oui, lorsque j'ai reçu l'invitation du Festival international de guitare de Szeged j'ai été très heureux que le concert se tienne à l'Institut français. D'une part, j'étais content parce que l'un de mes compositeurs préférés, Roland Dyens, était français et c'était un sentiment agréable de jouer ses œuvres à l'Institut français. J'avais l'impression qu'il était là, avec nous au concert, et j'ai pu jouer dans ce lieu symbolique comme une digne commémoration d'adieu de mon Elégia qui lui était dédiée. D'autre part, je suis moi-même une personne infiniment romantique, même mon nom signifie « français » [Ferenc est l'équivalent de François] et tout le monde sait que Paris est la ville la plus romantique du monde. Et il va sans dire qu'à mon grand plaisir, la composition française et la littérature française autour de la guitare regorgent d’œuvres au ton si romantique. En outre, la palette stylistique des auteurs français est très large : ne prenez que le grand Napoléon Coste, guitariste virtuose du XIXème siècle, ou les œuvres de Francis Kleynjans, encore vivant aujourd'hui, qui repoussent les limites de la guitare, profitent de ses possibilités techniques ou reprennent les œuvres de Roland Dyens qui dépassent déjà largement les limites du genre jazz ou rock. D'ailleurs les artistes guitaristes français sont également bien connus des hongrois en partie grâce à Dávid Pavlovits, fondateur et directeur artistique du Szeged IGF. Au début des années 2000, j'ai joué à Szeged pour la première fois et parmi les artistes invités du festival se trouvait Jeremy Jouve – un ancien élève de Dyens – et une autre fois Judicael Perroy. Ces deux guitaristes français ont enchanté le public hongrois par leur technique brillante. A ce propos, Roland Dyens a lui-même visité la Hongrie et il va sans dire qu'il a été un énorme succès.
JFB : Un aspect intéressant de la composition française a été la performance de Villa – Lobos, vous avez mentionné que le célèbre musicien brésilien avait vécu un temps à Paris. Comment voyez-vous sa musique ?
B.F. : Heitor Villa – Lobos est l'une des figures les plus importantes de la musique classique du XXème siècle, et pas seulement en terme de guitare. Il a également écrit un certain nombre d’œuvres orchestrales, de musique de chambre, de compositions instrumentales et vocales. Il a vécu à Paris dans les années 1920 (plus précisément entre 1923 – 1924 puis entre 1027 – 1930). Les influences européennes étaient essentielles, autant pour les nouvelles connaissances amicales entre artistes que pour l'influence de la musique européenne dans la peinture ou l'architecture. Tout cela se reflète dans sa musique. Dans ses dernières années, il a composé ses cinq Préludes à l'esprit romantique qu'il dédie à sa femme. A Paris il publie aussi 12 Études dédiées à Andres Segovia, le guitariste espagnol le plus célèbre de l'époque. A peu près tout le relie à Paris. D'ailleurs, gardez à l'esprit que j'ai joué une chanson de Roland Dyens intitulée « Suite Hommage à Villa – Lobos » lors du concert d'aujourd'hui. Cela montre que Roland Dyens était aussi un grand admirateur de Villa – Lobos.
JFB : Quels sont vos prochains projets ? Vos projets les plus lointains ?
B.F. : Il y a un dicton hongrois qui dit « L'Homme planifie, Dieu fait » qui est très pertinent dans la situation actuelle. En raison du virus, plusieurs tournées prévues à l'étranger au printemps et de nombreux concerts en Hongrie ont été annulés. Puis la saison d'automne vient de commencer, nous avions programmé plusieurs concerts et nous n'en avons annulé que cinq en septembre. Il y a des concerts programmés dès 2021 mais c'est difficile à planifier de cette façon, j'espère que nous passerons cette période et que tout pourra avoir lieu. Cependant, il y a eu de nombreux concerts, conférences scientifiques ou concours organisés en ligne et ils se déroulent en continu. Alors bien sûr c'est très bien que nous vivions à une époque où, grâce aux outils de la science moderne, l'art et la culture atteignent les gens même en quarantaine et même lors de spectacle en direct, alors qu'il y a cinquante ans on aurait été dans le silence complet dans une situation similaire, mais cela ne peut en rien être comparé au moment où nous rencontrons physiquement le public, un miracle se produit.
JFB : Comment est né le festival international de guitare de Szeged et comment sera-t-il prévu à l'avenir ?
B.F. : Mon collègue guitariste Dávid Pavlovits pourrait répondre complètement à cette question car il est le fondateur et directeur du festival. En tant qu'artiste, je peux dire que le festival a une longue histoire car le Szeged IGF se tient pour la 21ème fois cette année et aujourd'hui cette série d'événements est l'un des festivals déterminants de la communauté de guitare classique dans le monde entier. Chaque année, des guitaristes de renommée internationale se produisent au festival, ainsi que de jeunes talents. Comme Eszter Rembeczki, la représentante du festival, l'a déclaré lors de la présentation du concert d'aujourd'hui, l'un des objectifs du festival est d'embrasser de jeunes artistes au talent exceptionnel, il y a donc également une compétition de guitare classique au festival. Le concours est jugé par quelques-uns des meilleurs artistes de la profession qui organisent également des masterclass. Chaque année, des jeunes qui acquièrent par la suite une grande réputation dans la profession figurent parmi les participants au concours. Ainsi, la Hongrie est à juste titre fière d'avoir un festival d'élite dans un tel contexte international.
JFB : Pour terminer une question un peu plus légère. Avez-vous donné un nom à votre instrument ?
B.F. : C'est drôle, mais oui. J'ai plusieurs guitares et j'ai un attachement particulier à chacune, et j'ai un nom pour signifier cela. Mais laissez-le rester secret. Peut-être que la prochaine fois je vous le dirai *clin d’œil*.
Maïa Casimir-Favrot
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